- Tout l’été nous vous proposons de retrouver des grands entretiens publiés sur ce blog en 2014-2015 et qui présentaient des stratégies d’établissements.
L’Université de recherche (communauté d’universités et d’établissements -Comue – et fondation de coopération scientifique) Paris Sciences et Lettres – PSL Research University regroupe 25 « pépites » de l’enseignement supérieur qui vont de l’ENS Ulm aux Mines de Paris en passant par l’université Paris Dauphine, l’EHESS ou encore les Beaux-Arts de Paris. Un ensemble qui a vocation à s’imposer au niveau mondial et que dirige depuis trois mois Thierry Coulhon, un mathématicien de haut niveau qui a passé les deux dernières années à diriger un département dans une université australienne. En France il a occupé de nombreux postes, dont la présidence de l’université de Cergy-Pontoise, mais est surtout connu pour avoir supervisé l’application de la loi sur l’autonomie des universités en 2008 en tant que conseiller spécial puis directeur adjoint de cabinet auprès de Valérie Pécresse quand elle était ministre de l’Enseignement supérieur et de la Recherche.
Olivier Rollot (@O_Rollot) : Qu’est-ce qui vous marque le plus en France depuis votre retour d’Australie ?
Thierry Coulhon : Cela reste un univers qui m’est familier même après deux ans et demi en Australie. Ce qui est marquant c’est la délicate évolution des rapports entre l’Etat et les universités : il faut aller plus loin dans l’émancipation de ces dernières, se montrer plus exigeants dans la définition des responsabilités et des attentes de chacun, s’ouvrir davantage à la sphère socio-économique. Pour autant nous sommes dans la continuité de ce qui avait été lancé et les Comue (communautés d’universités et d’établissements) constituent une étape supplémentaire dans la « longue marche des universités françaises ». Maintenant va-t-on assez vite et les acteurs ont-ils vraiment conscience du monde extérieur ?
O. R : Après trois mois à la tête de PSL vous devez pouvoir établir ce qu’on appelle un « rapport d’étonnement » ?
T. C : Paris Sciences et Lettres est conforme à son concept, avec un très fort potentiel et un très fort engagement des établissements qui comprennent bien tout l’intérêt de travailler dans un ensemble plus large et interdisciplinaire. Qu’est-ce qu’une université aujourd’hui ? Il fut un temps où il semblait plus efficace de se déployer dans des laboratoires plus petits et mono disciplinaires. Aujourd’hui on considère que mettre ensemble des profils disciplinaires différents est bien plus intéressant. Les Mines de Paris ont bien plus intérêt à interagir prioritairement avec Paris Dauphine qu’avec leurs homologues de Douai ou d’Alès ! Les écoles d’art de PSL se rencontrent et rencontrent les écoles d’ingénieurs. Le modèle de Paris Sciences et Lettres est parfaitement lisible à l’international : quand nous allons à Cambridge ou à New-York University, nous nous sentons très proches de leur façon de travailler.
O. R : Il y a quelques mois notre Prix Nobel d’économie, Jean Tirole, a défini l’université idéale comme ne devant pas dépasser les 15 ou 20 000 étudiants. Là encore c’est votre modèle ?
T. C : Nous comptons effectivement 18 500 étudiants et c’est parfaitement dans la jauge internationale des très bonnes universités de recherche mais je ne crois pas qu’il y ait de modèle unique. Quand l’université Pierre-et-Marie Curie (UPMC) se développe c’est bon pour tout le système. Quand Paris Saclay en compte plus de 50 000 et que l’État y investit c’est très bien aussi. Après on peut dire que PSL a la « plus belle part du gâteau » avec des établissements comme l’ENS, le Collège de France, Paris Dauphine, MINES ParisTech, l’Institut Curie, l’Observatoire de Paris, la Fémis etc. sur lesquels la France a beaucoup investi. Mais nous devons prendre garde à ne pas nous reposer sur nos acquis.
O. R : PSL est un superbe aéropage d’établissements de premier ordre mais n’est-ce pas justement difficile d’en assurer l’unité ?
T. C : Il y aussi beaucoup de points communs avec un très fort taux (70%) d’étudiants dans les cycles master et doctorat, des établissements d’à peu près la même taille et des gouvernances semblables. C’est un dimensionnement idéal dans un modèle connectiviste dont PSL est le centre et qui permet par exemple aujourd’hui de faire travailler ensemble l’ENS et le Conservatoire national supérieur d’Art dramatique. Dans notre « boîte à écrins » il n’y en a pas un au-dessus des autres et je ne veux pas entendre dire que Dauphine n’est pas assez élitiste par exemple. A l’automne dernier, quatre nouvelles écoles prestigieuses (EHESS, EPHE, École des chartes, École française d’Extrême-Orient) nous ont rejoints alors même que nous avions quelques soucis de gouvernance : la preuve que le modèle PSL plaît !
O. R : Mais que doit-on attendre d’une structure comme PSL ?
T. C : Loin d’être une couche administrative supplémentaire, PSL permet d’agir de façon agile et peut être ou pas opérateur. D’où aussi le plein investissement des établissements dans des projets que nous avons menés comme le CPES [« cycle pluridisciplinaire d’études supérieures », une formation postbac]. Lancé au début par le lycée Henri IV il a depuis été rejoint par d’autres. Notre diversité, de l’astrophysique aux sciences humaines et sociales ! – est un formidable atout dont il faut pouvoir tirer parti. Ceux qui font de la recherche en art rencontrent ceux qui font de la recherche sur l’art ! L’EPHE et l’EHESS regardent ensemble vers le Campus Condorcet [qui doit réunir la plupart des grands acteurs des SHS].
Là encore nous ne sommes pas loin du modèle international avec un niveau de subsidiarité proche de celui qu’on peut rencontrer à Cambridge ou au Massachusetts Institute of Technology (MIT). Seul bémol : notre équipe est encore un peu petite si nous voulons avoir une politique de relations internationales vigoureuse par exemple.
O. R : Quel bilan tirez-vous aujourd’hui du CPES ?
T. C : Les élèves sont ravis comme les professeurs et en plus nous avons beaucoup plus de filles que dans les classes prépas ou les autres formations scientifiques. C’est autant dû à l’absence de concours qu’à la pluridisciplinarité de la formation. Maintenant si nous voulons y conserver 40 à 50% de boursiers dans cette formation de très haut niveau, il faut rester dans le périmètre actuel.
O. R : Il règne en France une certaine « obsession » de monter dans le classement de Shanghai des meilleures universités. Paris Sciences et Lettres sera-t-elle bientôt classée comme une seule entité ?
T. C : Symboliquement c’est important pour nous d’entrer dans le classement de Shanghai en tant que PSL. Des simulations sur la place que nous et Paris Saclay pourrions y occuper montrent que nous serions aux 26ème et 27ème places. Atteindre ce niveau, cela change tout; la vision de l’État comme celle de la société à laquelle nous rendons confiance dans son enseignement supérieur. Maintenant il faut convaincre tous nos établissements mais je n’ai pas trop de soucis. Le mieux classé, l’ENS Ulm, est aujourd’hui 67ème. Elle sait qu’elle peut ainsi beaucoup progresser tout en laissant à chaque marque sa force.
O. R : Reste à résoudre l’épineuse question de la signature des articles de recherche. Qui doit apparaître en premier ? PSL ? L’école ou l’université ? L’organisme de recherche ?
T. C : Il suffit qu’il y ait la mention « Paris Sciences et Lettres », quelle que soit sa place. En 2014, 5% des articles de recherche étaient signés PSL et nous en sommes cette année à plus de 17%. Maintenant il faut faire basculer complétement le comportement des chercheurs et discipliner les moteurs de recherche. Enfin il faudra discuter avec les chercheurs chinois qui font le classement de Shanghai, seul ou avec les autres Comue, pour les tenir au courant de notre évolution et calculer quel sera notre rang. Il faut leur montrer que notre système est fédéral avec des écoles doctorales communes.
O. R : Dès votre arrivée vous vous êtes fortement opposé à la volonté de l’Institut Mines Télécom d’intégrer toutes ses écoles, dont les Mines de Paris qui font partie de PSL, dans une structure juridique unique. Où en est la situation sur ce point ?
T. C : Nous espérons que l’Etat comprendra que l’espace naturel de développement de MINES ParisTech se situe véritablement dans PSL. Cela n’empêchera pas, bien sûr, cette école de garder des liens privilégiés avec l’IMT.
O. R : Justement, que pensez-vous du récent rapport Attali sur l’École polytechnique qui préconise un rapprochement avec MINES ParisTech ?
T. C : Il est très intéressant mais il me semble que la page du déménagement de MINES ParistTech à Saclay est définitivement tournée. Et je doute qu’il soit pertinent de regrouper plusieurs grandes écoles d’ingénieurs au sein d’une Ecole Polytechnique de Paris.
O. R : Les relations entre la Conférence des Grandes écoles et le Conférence des présidents d’université se sont tendues ces derniers mois, notamment sur la question du master. Vous avez dirigé une université, vous dirigez aujourd’hui un ensemble de grandes écoles avec une université qui a le double statut. Comment analysez-vous ces querelles ?
T. C : Nous devons bâtir quelque chose de nouveau sans s’identifier à un camp et taper sur l’autre !
O. R : On parle beaucoup du développement de la formation continue pour les établissements d’enseignement supérieur. Est-ce possible pour vos institutions ?
T. C : Nous avons créé un Institut de la responsabilité, présidé par Augustin de Romanet, Président-Directeur Général d’Aéroports de Paris, et c’est un véritable axe de développement si nous parvenons à convaincre les entreprises. Notre modèle de formation de l’esprit a vocation à rayonner en réactualisant le concept d’ « école philosophique » pour former les futurs cadres dirigeants. C’est un très beau projet avec un réseau d’intervenants extérieurs très solide. Si on s’en tient à la seule formation technique, l’obsolescence des formations est telle qu’on sera vite dépassés. Il faut miser sur la formation de l’esprit !
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