Isabelle von Bueltzingsloewen
Ces dernières semaines on a beaucoup parlé de l’université Lyon 2 au travers de crises qui ont affecté son fonctionnement. Sans revenir sur ces événements loin d’être cicatrisés dans les esprits nous avons voulu revenir avec sa présidente, Isabelle von Bueltzingsloewen, sur l’identité de son université.
Olivier Rollot : Qu’est ce qui fait selon vous la spécificité de l’université Lumière Lyon 2 que vous dirigez depuis maintenant neuf mois ?
Isabelle von Bueltzingsloewen : Avant tout d’être une université vivante que je continue à découvrir tous les jours. Une grande université de recherche en sciences humaines et sociales leader sur le site lyonnais. Nous possédons des instituts uniques en psychologie, anthropologie, science politique mais aussi dans les arts, les arts du spectacle, les sciences de la communication, l’informatique et même dans les jeux vidéo. Autant de disciplines qui nous permettent d’avoir des partenariats scientifiques au-delà des SHS. Nous travaillons par exemple avec l’université Claude-Bernard Lyon 1 sur les questions d’archéométrie. Notre institut d’urbanisme a beaucoup en commun avec l’École nationale supérieure d’architecture de Lyon. Et nous travaillons évidemment avec l’École normale supérieure Lyon sur les disciplines traditionnelles des SHS.
Le thème de la santé est également très présent dans notre université avec, par exemple, le projet SHEP-Med@Lyon que nous co-portons avec Lyon 1 aux côtés de 10 partenaires. Lauréat d’un programme Excellence sous toutes ses formes, il développe des projets de recherche & formation transformant dans le domaine de la santé et du bien-être, faisant converger la médecine 5P et l’approche « One Health », en replaçant l’individu comme cible et acteur de son environnement.
O. R : Envisagez-vous une refonte de l’architecture de votre offre de formations ?
L.v. B. : Nous y travaillons pour l’automne 2027 afin de resserrer et rendre plus lisible une offre de formation qui est aujourd’hui trop complexe à gérer. Ce n’est pas facile pour de futurs étudiants de se repérer dans ce foisonnement sur Parcoursup. Nos enseignants sont tout feu tout flamme pour créer de nouveaux programmes mais il faut que nous nous adaptions aux besoins des étudiantes et étudiants.
O. R : Avez-vous aujourd’hui les moyens de vos ambitions alors que les moyens de l’État sont contraints ?
I. v. B. : La situation budgétaire est très difficile. Depuis 2020 le ministère de l’Enseignement supérieur et de la Recherche a pris des mesures de revalorisation salariales qu’on ne peut évidemment pas critiquer mais qui n’ont pas été compensées. Nous avons dû prendre sur notre trésorerie pour tenir, mais aujourd’hui nous sommes en déficit.
O. R : Même avec les nouvelles règles comptables que le ministère de l’Enseignement supérieur et de la Recherche (MESR) a établi ?
L. v. B. : Un décret comptable est effectivement passé qui établit le déficit sur trois critères : le pourcentage de la masse salariale, les fonds de roulement – qui sont totalement préemptés chez nous – et la trésorerie (notre compte courant doit nous permettre d’avoir 15 jours de trésorerie). Il n’y a que sur la masse salariale que nous dépassons et nous sommes bien en déficit. Depuis 2022, il n’y a plus de compensation financière de l’État et aujourd’hui ce n’est pas rattrapable. Mais on a vu régulièrement des universités renflouées par l’État.
O. R : Parlez-nous de votre grand chantier : la rénovation de votre campus de Bron.
I. v. B. : Notre campus Porte des Alpes à Bron n’avait pas été concerné par le Plan campus. Depuis 2015 nous avons entrepris de le rénover pour mieux l’inscrire dans son territoire, c’est-à-dire sur les communes de Bron et Saint Priest. Un espace de près de 20 hectares et de 62 000 m2 de bâtiments ! Avec la région, la Métropole et les communes nous y construisons un nouveau bâtiment de 13 000 m2, appelé La Ruche, qui sera non seulement une bibliothèque mais aussi un learning center ouvert sur l’extérieur comprenant différents services aux étudiants, des espaces de travail, de création artistique. C’est notre projet le plus important depuis la création de l’université.
Nous avons également entrepris tout un travail de co-construction avec le CROUS alors qu’un bailleur social construit 770 logements. Enfin nous menons un chantier de travail paysager et d’accessibilité du campus qui recevra en 2032 une nouvelle ligne de tramway. Sans oublier une nouvelle voie cyclable.
O. R : L’expérience étudiante est devenue une priorité et France Universités propose même de créer une catégorie de personnels dédiés. Comment la prenez-vous en compte ?
I. v. B. : Nous avons été parmi les premières universités à créer une direction de la vie étudiante et à mettre en place un baromètre de la vie étudiante. Aujourd’hui nous continuons constamment à travailler sur ce sujet. Nous avons ainsi développé un service de santé sur les deux campus qui permet à nos étudiants de prendre des rendez-vous avec des médecins, psychologues, une infirmière, une diététicienne, maïeuticienne ou encore une médiatrice en santé. Sous l’égide de la Comue de Lyon, soutenus par les collectivités, nous venons d’ouvrir un centre de santé mentale pour les étudiants de tous les établissements du site. Déjà saturé ! Nous encourageons le développement des associations et l’entreprenariat. Autant d’actions que nous voulons aujourd’hui stabiliser dans un nouveau schéma de la vie étudiante pour mieux la rationaliser et la coordonner.
Par ailleurs, nous faisons face à un vrai problème d’alimentation chez nos étudiants avec des restos U saturés depuis l’instauration du repas à 1€. Pour y palier nous avons créé un restaurant coopératif et une épicerie solidaire sur le site de Bron mais c’est forcément plus cher qu’un repas à un euro.
C’est d’ailleurs une problématique que nous travaillons également dans un cadre plus scientifique dans le cadre de la chaire Transitions alimentaires (TrALIM) que nous avons développée avec l’institut Lyfe (ex-école Paul Bocuse).
O. R : Votre prédécesseure a quitté l’université pour prendre la direction de la Comue lyonnaise. Quelles seront les relations de Lyon 2 avec la Comue ?
I. v. B. : Nous avons d’excellentes relations avec la Comue et nous échangeons très régulièrement avec ses membres. Son rôle est de structurer des projets et des services comme le Collegium de Lyon, de proposer des services aux étudiants internationaux (l’opération Welcome Students), de présenter un schéma directeur de développement durable et bien sûr de fédérer un collège doctoral. Il n’est plus aujourd’hui question de fusion entre les universités de Lyon et Saint-Etienne.
O. R : A l’international vous faites partie d’une alliance européenne ?
I. v. B. : Nous sommes très investis dans l’alliance BAUHAUS4EU que nous avons inaugurée le 1er janvier dernier aux côtés de 9 établissements partenaires. C’est une université européenne qui s’articule autour des écosystèmes régionaux des universités membres pour créer ensemble des solutions autour de thématiques partagées telles que le patrimoine bâti, les disparités entre zones urbaines et zones rurales, l’économie solidaire ou encore le multilinguisme.
O. R : Que représente l’apprentissage dans vos formations ? La baisse du financement de l’apprentissage vous pose-t-elle problème ?
I. v. B. : Ces dernières années nous avons beaucoup développé les formations en alternance et tout au long de la vie. Nous avons même un IUT 100% en alternance. Nous allons bientôt atteindre notre rythme de croisière avec 1 100 alternants sur près de 28 000 étudiants (y compris la formation continue) dans 70 formations. Nous montons en ce moment un master littérature dédié à l’IA en alternance. Mais ce n’est pas notre politique de créer des formations en alternance pour nous financer mais plutôt ayant un véritable intérêt pédagogique.
O. R : Une question plus politique. Quel regard portez-vous sur la politique de l’administration Trump vis-à-vis des universités américaines ? Pourriez-vous recevoir des doctorants, post doctorants, professeurs qui souhaitent quitter les Etats-Unis ? Avez-vous déjà reçu des demandes en ce sens ?
I. v. B. : Les SHS, la santé et l’environnement sont les disciplines les plus attaquées aux Etats-Unis. Pouvons-nous accueillir des collègues américains ? Il ne me semble pas que nous ayons des demandes en ce sens. Je crois qu’ils imaginent plutôt aujourd’hui prendre des années sabbatiques en attendant des élections, les midterms, à venir. De toute façon les différences salariales sont telles que nous serions bien en peine de nous aligner. C’est un sujet que doit porter le MESR.
O. R : Cela peut-il également jouer sur les flux d’étudiants ?
I. v. B. : Beaucoup d’étudiants internationaux, Indiens, Africains, du Golfe, s’interrogent aujourd’hui sur le fait de partir aux Etats-Unis à partir du master. C’est un sujet sur lequel nous allons devoir travailler.
De notre côté nous avons toujours eu peu d’étudiants qui partaient aux Etats-Unis. Nous accueillons quelque étudiants américains chaque année mais nous avons par exemple beaucoup plus de relations avec le Brésil ou le Canada.
O. R : Pensez-vous qu’en France aussi un mouvement de remise en cause de la liberté académique et de la recherche puisse avoir lieu ?
I. v. B. : Une remise en cause est toujours possible dans des circonstances particulières. La science est très contestée aujourd’hui partout dans le monde, y compris en France. La science n’est pas sacrée !
La grande différence que nous avons avec les Etats-Unis ou l’Argentine c’est que nous avons développé depuis longtemps des politiques de science pour la société. Nos chercheurs sont conscients de ce qu’ils doivent à la société et cela se matérialise par exemple dans la Fête de la Science. Nous portons également le projet LYSiERES (LYon Saint-Étienne Recherche et Expérimentation sur les Sciences avec et pour la Société) destiné à favoriser de nouvelles interactions entre les sciences et la société. L’Université Lumière Lyon 2 a d’ailleurs une direction sciences et société et nous avons reçu le label SAPS.
Nous ne sommes pas enfermés dans nos universités et nos collègues américains sont très surpris du temps que nous passons à travailler à l’extérieur. Nous n’avons pas non plus de phénomène de campus loin des villes qui font que nous ne discutons qu’entre nous.
Mais malgré tout il y a toujours le risque d’être remis en cause comme nous l’avons été sur le vaccin Covid ou aujourd’hui sur les questions d’environnement.
Nous devons être les plus solides possibles. C’est aussi pour cela que nous menons une politique d’intégrité scientifique qui doit nous permettre de produire des données incontestables. Notre référent intégrité scientifique est d’ailleurs directement rattaché à la présidence de de l’université.