Comment réindustrialiser la France : l’enjeu de la formation des ingénieurs

by Olivier Rollot

Électrification des automobiles, énergie atomique, industries de défense, santé, les questions de réindustrialisation de la France sont au cœur des préoccupations du gouvernement depuis plusieurs années. Question : comment former les professionnels nécessaires alors que l’appétence des jeunes pour les formations scientifiques reste faible ?  Le rapport, Métiers de l’ingénieur : démultiplier nos ambitions, de l’Institut Montaigne trace des pistes. Le cabinet de conseil Ither Consult publie également un rapport intitulé Les formations technologiques, clés de l’avenir industriel de la France. Dans une étude Comment faire face à la pénurie de jeune diplômés en 2025 parue le 20 mai le site  Jobteaser rappelle que parmi les 10 métiers les plus en tension en France, 7 concernent des métiers d’ingénieurs et de techniciens scientifiques. Les raisons les plus souvent évoquées sont la difficulté à trouver le profil recherché (68 %), des exigences salariales trop élevées (36 %) ou les contraintes géographiques (20 %). Autant de questions auxquelles HEADway Advisory a décidé de se pencher au travers de la création d’un club dédié aux besoins de la France en compétences dont l’événement fondateur se tiendra le 12 juin à Paris.

  • Le Club Équipons la France en compétences. Créé par HEADway Advisory le Club Équipons la France en compétences est un Club de Décideurs des entreprises, de l’enseignement supérieur, de la recherche et des institutions publiques. Ce Club a pour objectif d’identifier et mettre en œuvre des solutions pour anticiper les besoins de compétences et les développer pour les jeunes et les professionnels tout au long de la vie . Son événement fondateur se tiendra le 12 juin à Paris avec les interventions de ; Hélène Garner, directrice des études et des données de l’APEC, Thomas Jeanjean, directeur général adjoint de la Chambre de Commerce et d’Industrie de Paris Ile-de-France, en charge du pôle Education et Fabrice Vaujois, directeur du programme Électrification du véhicule du Groupe Renault. Les débats seront animés par Christelle Chappaz et Olivier Rollot sous l’égide du président d’HEADway Advisory, Sébastien Vivier-Lirimont.

Le constat : il manque de très nombreux professionnels. Dans son étude prospective proposant différents scénarios de réindustrialisation, l’Institut Montaigne estime que, pour atteindre d’ici 2035 l’objectif d’une valeur ajoutée provenant de l’industrie manufacturière à 12 % du PIB, la création de 744 000 emplois serait nécessaire, dont 104 000 ingénieurs, 130 000 techniciens et agents de maîtrise et 185 000 ouvriers qualifiés ou peu qualifiés.

En outre, le développement exponentiel du numérique va continuer à nourrir les besoins en compétences digitales dans l’entreprise. L’institut Montaigne estime ainsi qu’il faudra former 130 000 personnes au numérique chaque année, tous niveaux confondus, contre 70 000 aujourd’hui.

Enfin, l’impératif de transition écologique va requérir de nombreuses compétences techniques : développement du nucléaire, des énergies renouvelables, décarbonation des différents secteurs de l’économie (aéronautique, automobile, logement, agriculture, etc.). Le seul secteur du nucléaire devrait ainsi recruter 100 000 personnes dans les dix prochaines années selon le Groupement des Industriels Français de l’Énergie Nucléaire (GIFEN).

En outre, ces transformations vont rendre plus rapidement obsolètes les compétences des ingénieurs et techniciens qui travaillent actuellement dans des secteurs ou des fonctions en déclin. La réallocation de cette main d’œuvre requerra donc des efforts d’accompagnement et de formation professionnelle importants.

L’Institut Montaigne imagine quatre scénarios de réindustrialisation et les besoins en formation afférents

Dans leur étude les experts d’Ither rappellent que la désindustrialisation de la France ne s’est pas forcément accompagnée d’une perte en compétences équivalente. « La recherche en développement est restée en France. Pour répondre au développement international de nos entreprises – beaucoup plus importante en France qu’en Allemagne par exemple – nos écoles se sont ouvertes sur le monde pour former des cadres à gérer une dimension internationale », explique Michel Mudry, ancien président de l’Université d’Orléans et ancien délégué général de la Cdefi.

  • 25 000 embauches prévues en 2025 en l’aéronautique et le spatial. C’est l’un des secteurs les plus porteurs en termes de création d’emplois dans l’industrie française. Alors que 29 000 recrutements ont été réalisés l’année dernière (très majoritairement en CDI), dont 6 000 jeunes alternants, représentant 12 000 créations nettes d’emplois, le Groupement des industries françaises aéronautiques et spatiales évalue à 25 000 les embauches sont prévues en 2025, dont plus de 6 000 alternants. 12 000 alternants sont aujourd’hui en poste, soit 5,4 % des effectifs, en hausse de 12 % sur un an. Et de plus en plus des femmes : 28 % des recrutements ont concerné des femmes en 2024, contre 20 % il y a dix ans.

Le constat : les écoles d’ingénieurs ont augmenté leurs effectifs mais… pas assez. Si en 2023-24 les effectifs des écoles d’ingénieurs ont baissé de 2,2% c’est uniquement en raison du passage du DUT en 2 ans au BUT en trois ans qui a mécaniquement provoqué un trou d’air dans le recrutement des école d’ingénieurs (lire la note du SIES Les effectifs inscrits en cycle ingénieur en 2023-2024). Globalement l’augmentation est forte – 65% les dernières vingt-cinq années l’augmentation – avec une forte progression des cycles préparatoires intégrés aux écoles et des admissions sur titre. En 2023-24 les élèves issus de CPGE ne représentent ainsi plus que 35,7% des effectifs des écoles contre 40,8% en 2015 quand, dans le même temps, ceux entrés par un CPI sont passés de 22,8% à 31,4%.

Forte mais jamais assez. Il y a bien longtemps que la Cdefi (Conférence des directeurs des écoles françaises d’ingénieurs) milite pour la diplomation de 10 000 ingénieurs de plus par an. Il y a deux ans le gouvernement a repris l’idée et les école d’ingénieurs tentent de suivre le mouvement comme à l’IMT Atlantique dont le directeur, Christophe Lerouge, compte pour cela sur « notre réputation – classée par le Times Higher Education dans les 400 premiers rangs mondiaux – avec un objectif de croissance de nos effectifs de 25% à l’horizon 2027. Le recrutement d’étudiants étrangers va nous aider à atteindre cet objectif ». Mais tout le monde n’est pas l’IMT Atlantique et la hausse du recrutement des écoles du haut du tableau risque d’assécher le recrutement des autres à l’image de ce qu’on voit dans les écoles de management.

Le nombre de diplômés ingénieurs par an depuis 1935 (Source : Ither Consult) et leur provenance (Source : SIES)

Dans son rapport l’Institut Montaigne triple les estimations habituelles pour atteindre le chiffre de 15 000 ingénieurs à diplômer de plus par an et y ajoute autant de titulaires d’un master. Selon lui qui « pour soutenir ses ambitions, l’économie française devra recruter près de 100 000 ingénieurs et techniciens nets par an d’ici 2035 ». Atteindre cet objectif impliquerait selon l’institut en plus de 40 000 reconversions professionnelles, la formation de quelque 60 000 diplômés supplémentaires chaque année(27 900 ingénieurs et bac +5 ainsi qu’autant de techniciens).

Mais avec quel vivier ? Constamment est reprise l’idée de faire venir plus de femmes dans les écoles d’ingénieurs en classe préparatoires scientifiques. Si elles représentent moins de 30 % des élèves en cycle ingénieur en 2023-2024, elles sont en revanche majoritaires dans les domaines de l’agriculture et de l’agroalimentaire (58 %) comme dans la chimie, du génie des procédés et des sciences de la vie. Leur inappétence supposée aux carrières scientifiques est bien une vue de l’esprit !

Parmi les mesures que propose la ministre de l’Éducation nationale, de l’Enseignement supérieur et de la Recherche, Elisabeth Borne, pour augmenter leur nombre dans les classes préparatoires scientifiques hors BCPST revient l’idée d’imposer des quotas aux lycées. Ce qui fait bondir le président de la Conférence des Grandes écoles (CGE) et directeur général des Arts et Métiers, Laurent Champaney :  « S’il faut 30 % de jeunes femmes là où il y en avait 10 % auparavant, cela veut dire que, sur un groupe classe de 100 personnes, pour avoir 30 filles, on mettra moins de garçons pour respecter les quotas ». Une idée que refuse évidemment la ministre mais qui risque de se produire si les classes n’offrent pas plus de places, rendant in fine l’effort pour l’objectif d’augmentation des effectifs sans effet.

Michel Mudry regrette lui la place trop importante toujours donnée aux mathématiques : « Les mathématiques sont une discipline au service d’autres disciplines. Sinon on fait peur à beaucoup dont les filles. Heureusement pour elles les écoles postbac ont la liberté totale de leurs programmes contrairement aux classe préparatoires tenues par les matheux purs ». Des « prépas intégrées » dont la part ne fait qu’augmenter ces dernières années en même temps que se développent les écoles postbac.

Répartition des effectifs et part des femmes en cycle ingénieur, selon le domaine de formation (Source : SIES)

L’Institut Montaigne propose également de doubler le nombre d’étudiants étrangers en école d’ingénieurs d’ici 2030. Les étudiants étrangers représentaient 14 % des diplômés des écoles d’ingénieurs en 2022, soit 6 510 ingénieurs. Mais ce ne sera pas suffisant. Selon l’Institut l’insuffisance des viviers de recrutement actuels « imposera aux écoles de faire preuve d’une plus grande adaptabilité dans leurs procédures de recrutement ».

L’autonomie « mère des batailles ». Dans leur étude les experts d’Ither insistent particulièrement sur la nécessité de donner plus d’autonomie aux écoles d’ingénieurs, notamment quand elles sont universitaires ou dans des regroupements type Paris-Saclay. Il est selon eux « urgent de donner à la recherche technologique un statut clair et reconnu » en rendant « visible, dans l’offre de recherche locale au sein d’un regroupement, un pôle dédié à la recherche guidée par les applications ». Ainsi, au sein de l’Université englobante, un consortium d’écoles devrait « se charger de ce pôle de recherche », et deviendrait alors l’interlocuteur privilégié des organismes de recherche partenaires de ses laboratoires. Dans le même ordre d’idées, le pilotage de la structure de valorisation de l’ensemble « devrait être confié à l’école ou au groupement d’écoles en question ».

En termes de ressources humaines, le rapport préconise que les écoles d’ingénieurs du MESR soient dotées d’un statut dérogatoire leur permettant de recruter leurs enseignants-chercheurs fonctionnaires indépendamment du CNU.

Enfin l’autonomie dans la gestion financière des écoles du MESRI, comme de celles des ministères techniques pourrait être transformée si les écoles publiques se dotaient d’un statut proche de celui des EPIC (établissement public à caractère industriel et commercial) dans la mesure où « la gestion de la formation continue, celle de la recherche partenariale et des plateformes technologiques, sont « autant d’activités qui font des écoles de tous statuts de véritables acteurs socio-économiques ».

Une autonomie que prône également l’Institut Montaigne en préconisant d’« octroyer un droit à l’expérimentation aux écoles d’ingénieurs déjà accréditées par la CTI pour créer de nouvelles formations, afin d’améliorer la réactivité de l’offre de formation d’ingénieurs aux besoins de l’économie dans un contexte de mutations technologiques rapides ».

Related Posts

Leave a Comment