POLITIQUE DE L'ENSEIGNEMENT SUPERIEUR

Une rentrée dans l’incertitude

« Nous sommes tous convaincus qu’il faut une reprise en présentiel. Beaucoup d’étudiants sont en difficulté, la distance a un impact sur leur santé mentale mais aussi sur leur cursus. Nous avons très peur que certains d’entre eux décrochent. La question, c’est de concilier ce contexte avec une situation sanitaire compliquée. Les universités sont conscientes que c’est un équilibre très fragile. » Pour son premier entretien à Educpros en tant que président de la Conférence des présidents d’université (CPU), Manuel Tunon de Lara a bien fixé les attentes et les limites des universités à l’aube d’une année qui n’a rien de rassurante en termes de gestion de la pandémie. Un mois plus tôt Emmanuel Macron assurait lors de son entretien à Brut que le gouvernement allait « tout faire pour pouvoir commencer un peu plus tôt, en janvier à rouvrir au moins partiellement les universités françaises ». Depuis les espoirs de retour rapide sur les campus ont rétréci au même rythme que le rythme des vaccinations anti-Covid…

Les conditions d’une reprise progressive des enseignements en présentiel. Le Premier ministre avait réuni le 4 décembre, en présence de la ministre de l’Enseignement supérieur, de la Recherche et de l’Innovation, la CPU, la CGE, la CDEFI, l’UDICE, l’AUREF et le CNOUS afin de faire un point d’étape sur la situation sanitaire et ses conséquences pour l’enseignement supérieur. Lors de cette rencontre, le Premier ministre avait confié à Frédérique Vidal la mission d’engager les concertations pour une reprise progressive des enseignements en présentiel à partir du quatre janvier 2021, « si la situation sanitaire le permet ».

Cette reprise est partielle. « Ce sont d’abord les publics prioritaires, les étudiants les plus fragiles en risque de décrochage massif, les néo-bacheliers, les étudiants étrangers et les étudiants en situation de handicap qui devraient faire leur retour les campus », précisait ainsi Gilles Roussel, à l’époque président de la CPU. Selon la circulaire ministérielle parue le 19 décembre ce sont ainsi depuis le 4 janvier seulement des groupes de dix étudiants parmi « les plus fragiles » qui peuvent être accueillis physiquement. « Les étudiants qui ont eu les plus mauvaises notes feront partie des publics ciblés pour ces groupes de dix. Ceux qui en feront la demande aussi, soit parce qu’ils vivent dans une chambre et souffrent d’isolement, soit parce qu’ils sont dans un environnement familial peu propice à l’étude à distance », commente François Germinet, président de CY Université, dans Le Monde.

C’est ainsi qu’à Aix-Marseille Université comme dans beaucoup d’universités il faudra attendre le 25 janvier pour que les étudiants de première année de licence et de DUT puissent suivre leurs cours en présentiel avec pour principe la mi-jauge d’occupation des salles (et seulement si les promotions sont inférieures à 150 étudiants). Si la situation sanitaire le permet, à compter du 8 février tous les étudiants pourront suivre toutes les activités pédagogiques de façon classique en présentiel (toujours avec la mi-jauge d’occupation des salles). Neoma va aller plus vite en rouvrant ses portes aux étudiants « vulnérables » (principalement les étudiants internationaux en rupture numérique et les étudiants français qui ont indiqué avoir du mal à suivre les cours en ligne) dès le 11 janvier dans la limite de dix étudiants par salle.

Quand les présidents et directeurs tirent la sonnette d’alarme. Depuis plusieurs semaines de nombreux présidents d’université tiraient la sonnette d’alarme : les étudiants souffrent d’être exclus de la vie universitaire. « Tous les indicateurs au niveau national et international sont au rouge pour la santé mentale. Je crois qu’à terme, ça tuera plus que le virus », s’inquiétait ainsi le président de l’université de Strasbourg Michel Deneken, dans une entretien à France Info. Avec neuf autres présidents d’universités de recherche du réseau Udice il avait d’ailleurs rédigé une tribune pour réclamer un déconfinement plus rapide dans leurs établissements.

Pendant le premier confinement, le groupe Excelia avait justement mis en place des mesures pour lutter contre l’isolement et le décrochage de ses étudiants. Face au prolongement de la situation, Excelia s’est appuyé sur cette expérience pour renforcer ce plan d’actions autour de trois axes : l’éducation, l’expérientiel et le bien-être étudiant.Laxe éducation part d’un constat : si plus de 90% des étudiants sont satisfaits aujourd’hui des dispositifs de travail à distance, son prolongement dans la durée conduit à « anticiper une baisse de motivation et d’enthousiasme des étudiants ». Il s’agit donc de « réenchanter cette période difficile en proposant des activités originales, ménager des temps de respiration et renforcer la proximité de l’accompagnement ». Les enseignants ont également pour consigne d’augmenter le séquençage des cours laisser aux étudiants des temps de pause plus importants.

Des organisations à géométrie variable. A la rentrée 2020 Grenoble EM a été la seule école à prendre la décision d’organiser une rentrée 100% distancielle pour éviter la constitution de tout cluster. « Nous avons un devoir de responsabilité. Certes ce n’est pas sur les campus que se produisent la plupart des contaminations – nous sommes très vigilants là-dessus – mais cela conduit les étudiants à se retrouver et à se contaminer », rappelle le directeur général de l’école, Loïck Roche, qui pris la décision de ne rouvrir ses campus que le 8 février 2021. Avec toujours une marge de cours en distanciel. « Nous avons investi dans des sales Hyflex pour mixer physique et distanciel de façon à que les professeurs délivrent leurs cours indistinctement aux étudiants devant eux et à distance », explique le directeur général adjoint de GEM, Jean-François Fiorina.

Une réorganisation d’autant plus nécessaire que tous les étudiants n’ont pas forcément envie de revenir sur les campus comme l’a constaté présidente de l’université Paul-Valéry-Montpellier 3, Anne Fraïsse, au regard des premiers résultats d’une enquête demandant aux étudiants leur préférence entre le tout-présentiel et le tout-distanciel dont Le Monde s’est fait le relais : « Nous avons été surpris : sur 800 réponses, 40 % désirent rester à distance au deuxième semestre ». Beaucoup d’étudiants ont en effet préféré rentrer chez eux et rendre les clés de leur studio.

Comment organiser les examens ? « Chaque fois que c’est possible, il faut essayer de maintenir les examens traditionnels », estime la ministre de l’Enseignement supérieur, Frédérique Vidal dans Les Echos. Beaucoup d’établissements tiennent bon sur l’organisation des examens en présentiel. « La logique est d’essayer d’organiser des examens en présentiel coûte que coûte », assure ainsi Laurent Champaney, vice-président de la Conférence des Grandes écoles (CGE). Oui mais là aussi les étudiants ne sont pas forcément d’accord. Les étudiants en deuxième année de licence d’économie-gestion de l’université de Créteil ont par exemple lancé une pétition pour ne pas passer leurs examens en amphithéâtre raconte Le Figaro Etudiant. L’université a néanmoins décidé de conserver une organisation en présentiel. D’autant que le recours au distanciel semble bien amener de nombreux abus. Comme le montre également Le Figaro Etudiant même pour les oraux face caméra, beaucoup ont également trouvé la parade : « J’affiche les réponses derrière mon ordinateur, sur le mur, je n’ai qu’à lever la tête et faire mine de réfléchir pour voir les réponses», raconte Clément quand Yann Mercier Brunel, vice-président formation et vie universitaire à la fac d’Orléans, ne peut que reconnaître : «Nous n’avons pas les moyens de mettre un surveillant derrière chaque étudiant. Nous essayons de limiter la triche mais nous savons que certains y parviennent tout de même ».

Plus largement va bientôt se poser la question de l’organisation des concours d’entrée dans les Grandes écoles. En postbac la disparition des écrits « classiques » est actée. Regroupant l’ESDES, l’ESSCA et l’IÉSEG, le concours ACCÈS proposera ainsi à ses candidats en 2021 des épreuves écrites exclusivement en ligne, les épreuves étant surveillées à distance via webcam et micro. Les candidats, identifiés par reconnaissance faciale, se rendront depuis leur ordinateur personnel sur une plateforme sécurisée interdisant la connexion à d’autres services pendant la durée de l’examen. Du côté des école d’ingénieurs Puissance Alpha a choisi d’annuler ses épreuves écrites et d’adapter une partie de ses évaluations. Dans ce cadre l’étude de dossier constituera toujours 60% de la note finale mais les écrits seront, comme en 2020, remplacées par une seconde note de dossier individuelle, donnée par chaque école et pour chaque programme auquel le candidat postule. Les écoles pourront notamment intégrer des critères personnels, comme la lettre de motivation, le projet de formation motivé, l’engagement citoyen, les appréciations des proviseurs ou autres données indiquées dans Parcoursup.

Si comme en 2020 les écrits ne semblent pas menacés pour les concours post prépas les oraux pourront-ils se tenir ? D’ores et déjà le recours à des oraux distanciés est envisagé comme l’explique Sylvie Jean, la directrice du programme Grande école de emlyon : « Nous envisageons plusieurs scénarios en privilégiant les oraux en présentiel. Cependant, nous serons en capacité de les faire passer à distance si les conditions sanitaires venaient à l’exiger parce que nous tenons à ce qu’il y ait bien des oraux ». Ce que confirme Delphine Manceau, la directrice générale de Neoma : « Nous tenons aux oraux parce que cela agrandit nos critères de recrutement mais aussi parce que c’est le moment où nous faisons connaître aux étudiants ». François Dubreu, le directeur des formations initiales de Kedge BS, explique justement que le « MESRI a été rassuré par notre capacité cette année à nous organiser à distance et devrait donc valider des oraux sur le même format ». Et comment seront évaluées les candidats au bac ? Comme en 2020 encore un recours au strict contrôle continu semble bien se profiler.

Quelle insertion professionnelle pour les jeunes diplômés ? On attend encore des statistiques mais tout le monde le sait : le recrutement des jeunes diplômés risque d’être catastrophique cette année. Comme le souligne François Germinet « ma plus grosse inquiétude, c’est que les diplômés de cette promotion Covid aient plus de mal à s’intégrer sur le marché du travail car énormément d’entreprises boivent le bouillon ». S’il a réussi à limiter la casse sur l’apprentissage – 85 % de ses étudiants sont en emploi, y compris dans la restauration -, encore faut-il que les entreprises les embauchent ensuite. Et le président d’insister : « Une année blanche sur le recrutement créerait une génération sacrifiée ». Son université propose donc des compléments d’enseignement sur l’entrepreneuriat ou le management par exemple, pour des étudiants qui peuvent compléter leur CV et bénéficier d’une année tampon.

De même, les écoles de management constatent un afflux d’étudiants en mastères spécialités. « En situation de crise le supérieur reçoit toujours beaucoup d’étudiants qui veulent acquérir plus d’expertise et de compétences », analyse la présidente du Chapitre des écoles de management, Alice Guilhon. Mais ils vont bien finir par arriver sur un marché du travail où vont également débouler bientôt beaucoup d’étudiants qui ont préféré poursuivre leur cursus et leur stage jusqu’à la fin 2021 que de l’affronter en pleine pandémie. Et Alice Guilhon de conclure : « En janvier 2021 nous risquons de vivre une période compliquée ».

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Olivier Rollot est directeur du pôle Information & Data de HEADway Advisory depuis 2012. Il est rédacteur en chef de "l’Essentiel du Sup" (newsletter hebdomadaire), de "l’Essentiel Prépas" (webzine mensuel) et de "Espace Prépas". Ancien directeur de la rédaction de l’Etudiant, ancien rédacteur en chef du Monde Etudiant, Olivier Rollot est également l'un des experts français de la Génération Y à laquelle il a consacré un livre : "La Génération Y" (PUF, 2012).

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