Un véritable débat a éclos depuis deux ans dans beaucoup d’universités dans le monde sur la pertinence de répondre aux questions des classeurs. Aux Etats-Unis c’est US News qui est boycotté depuis 2022 par de nombreuses universités telles Harvard ou Yale. En Chine c’est l’État chinois lui-même qui enjoint les universités à ne plus « copier les standards et les modèles étrangers ». La même année plusieurs établissements, dont la prestigieuse université Renmin de Pékin, ont donc décidé de ne plus participer à des palmarès internationaux qu’elles ont pourtant… largement contribué à inventer dans la ligne du célèbre Classement de Shanghai. Depuis sa création en 2004 les classements n’ont cessé de se multiplier tant du côté de QS et surtout du Times Higher Education. Thématique, géographiques, impact, les universités sont constamment classées, leurs résultats disséqués, avec des biais méthodologiques et une trop grande influence parfois donnée. Trop de classements vont-ils tuer les classements ?
L’impact majeur du classement de Shanghai. Lorsqu’en 2003 les chercheurs de l’université Jiao Tong de Shanghai publient leur premier Classement académique des universités – — devenu Academic Ranking of World Universities (ARWU) mais appelé depuis le plus souvent « Classement de Shanghai » -, ils sont bien loin d’imaginer l’impact qu’il aura. Et notamment en France où médias et politiques s’en emparent pour dresser le procès d’un enseignement supérieur bien moins qu’il pensait l’être. Pensez : première université classée, Paris 6 (Pierre et Marie Curie, aujourd’hui Sorbonne Université) n’occupe alors qu’une bien médiocre 66e place. Aujourd’hui Paris-Saclay a su intégrer le top 15 et même s’imposer en mathématiques.
En 2023, avec une seule université classée dans le top 20 la France est certes très loin des Etats-Unis (15 classées dont les trois premières avec Harvard, Stanford et le MIT) mais pas si loin du Royaume-Uni (Cambridge, Oxford et l’University College London) alors que l’ETH Zurich vient compléter ce top 20 qui ne compte aucune université chinoise (la mieux classée, Tsinghua à Pékin est 22ème).
Toujours pour la France l’Université Paris Cité gagne 10 places et atteint le 68e rang mondial, alors que l’Université Paris Sciences Lettres en perd une (41e) et Sorbonne Université trois (46e). Ensemble elles permettent à la France de conserver quatre établissements parmi les 100 meilleures universités mondiales.
Les médias anglo-saxons dominent. Hormis celui de Shanghai, les classements internationaux des universités sont dominés par les médias anglo-saxons. Dès 2004, le principal média sur l’enseignement supérieur britannique, le Times Higher Education (THE), lance ainsi son propre classement : le « Times Higher Education World University Ranking ». Au fil des ans, le média britannique a son offre au point de proposer une multitude de classements thématiques. D’abord allié au cabinet Quacquerelli Symonds (QS), le Times Higher Education s’en sépare en 2010 et ils éditent depuis chacun leur propre classement.
Le World University Rankings 2024 du Times Higher Education se distingue quelque peu du classement chinois. Notamment pour Paris-Saclay qu’il faut remonter jusqu’à la 58ème place pour trouver, largement dépassée par PSL, première université française à la 40ème place. Si le haut du classement diffère entre les universités, par exemple Oxford première pour le THE et 7ème pour Shanghai, ce n’est pas dans les mêmes proportions que pour Saclay.
Shanghai, THE, QS : trois classements, trois vainqueurs puisque pour le QS c’est le MIT (Massachusetts Institute of Technology) qui l’emportait en 2023 devant Cambridge et Oxford dans le QS World University Rankings 2024. Comme pour le Times Higher Education c’est PSL qui représente le mieux la France à la 24ème place pendant que l’Institut polytechnique de Paris se classe 38ème loin devant Paris-Saclay 71ème.
Des alternatives peinent à exister. En 2008, « l’Europe universitaire contre-attaque » promet Le Monde en contant comment « les États membres en ont assez de subir, année après année, le classement de Shanghai, qui relègue leurs universités dans les profondeurs ». Le classement U-Multirank voir le jour et porter un temps les espoirs de ceux qui rêvent de voir détrôné le triumvirat ARWU/QS/THE. S’il existe toujours il n’a pas provoqué le choc escompté. Centré sur l’impact des publications universitaires, le CWTS Leiden Ranking répond quant à lui aux attentes des experts.
Impact maximum pour les écoles de management. S’il est un domaine dans lequel les établissements sont scrutés à la loupe, c’est bien celui des écoles de management. Logique : ce sont à la fois les établissements qui reçoivent le plus d’étudiants internationaux et dans lesquels les frais de scolarité sont les plus élevés. Si les grands classements internationaux que nous avons évoqués leur réservent une certaine place, ce sont des médias beaucoup plus spécialisés qui produisent les classements les plus reconnus. Et au premier chef The Financial Times dont les classements des masters en management, MBA, e-MBA et enfin des meilleures écoles de commerce européennes sont un peu l’alpha et l’oméga du secteur. Deux animations Flourish permettent de visualiser la domination sans partage d’HEC en France comme en Europe : Les écoles françaises dans le classement des business schools du Financial Times: visualisez la domination d’HEC et Classement des business schools européennes : visualisez comment HEC l’emporte pour la onzième fois
Certes moins renommés que ceux du Financial Times, d’autres classements des écoles de commerce sont produits par de grands médias comme The Economist, Forbes, US News, Bloomberg mais aussi des médias plus spécialisés comme Poets & Quants aux États-Unis. En France, les classements des écoles fleurissent aussi dans les colonnes et sur les sites des grands médias que sont Challenges, L’Étudiant, Le Figaro, L’Express, Le Parisien et Le Point (consulter notre « Classement des classements » des écoles de management 2023-2024). Un univers relativement stabilisé dans lequel seuls Les Echos Start font bouger les lignes avec leur classement des Grandes écoles les plus engagées dans la transition écologique. Pour autant les tensions restent parfois fortes avec par exemple une demande faite en octobre 2023 par la Conférence des directeurs des écoles françaises de management (Cdefm) aux médias classeurs de garder leurs données « confidentielles » (lire l’article de Challenges). Une demande rejetée mais qui marque bien la défiance qui continue à exister entre « classeurs » et « classés ». Elle-même déjà illustrée par les débats parfois homériques qui ont eu lieu dans le passé entre écoles d’ingénieurs réunies au sein de la Cdefi (Conférence des directeurs des écoles françaises d’ingénieurs), réalisant leur propre collecte de données pour le compte des médias, et ces mêmes médias peu désireux de se voir confisqués ainsi leur marge de manœuvre. Depuis les esprits se sont heureusement apaisés.