POLITIQUE DE L'ENSEIGNEMENT SUPERIEUR

Comment amener les enseignants à être innovants pédagogiquement ?

A partir de la rentrée 2018, les nouveaux maîtres de conférences devront obligatoirement être formés à la pédagogie. La 2ème édition des Journées de l’innovation pédagogique dans l’enseignement supérieur (JIPES) s’est tenue la semaine dernière.  Peu avantla Conférence des grandes écoles créait une commission « Valorisation des innovations pédagogique ». L’enseignement supérieur est convaincu de la nécessité d’innover pédagogiquement mais encore faut-il en convaincre tous les enseignants…

Nouvelles incitations

C’est écrit dans le décret du 9 mai 2017. Pendant leur période de stage d’un an « les maîtres de conférences bénéficient au cours d’une formation visant l’approfondissement des compétences pédagogiques nécessaires à l’exercice du métier ». Pendant les cinq ans qui suivent ils peuvent encore demander à suivre d’autres formations à ce sujet.

Ce que les établissements d’enseignement supérieur n’ont, pour la plupart, pas attendu pour faire. En 2015 l’Institut français de l’éducation établissait ainsi dans un rapport que 66% d’entre eux avaient mis en place des mesures d’incitation pour accompagner les enseignants et enseignants-chercheurs dans la transformation de leurs pratiques d’enseignement (tableau ci-dessous). La plupart de ces incitations sont des décharges pour les nouveaux enseignants et des appels à projets ciblés. Depuis plus de dix ans l’équipe PerForm de Grenoble INP, qui réunit pas moins de huit personnes, accompagne ainsi les enseignants selon trois axes : la pédagogie, l’usage du numérique, la dimension internationale.

 

Une adhésion relative

C’est l’histoire du verre à moitié plein ou à moitié vide. « La moitié de nos enseignants sont aujourd’hui très engagés dans les innovations pédagogiques », se félicite Valérie Claude-Gaudillat, directrice de l’Institut pour l’innovation, le design et l’entrepreneuriat à Audencia Business School. Reste donc à convaincre une deuxième moitié qui hésite souvent entre fascination pour la nouveauté et l’enthousiasme des professeurs innovants et une relative indifférence sur l’air du « et ça nous rapporte quoi ? ». « C’est clair que c’est plus facile de trouver des professeurs volontaires quand il existe des financements. Mais beaucoup sont également volontaires quand nous réussissons à faire la démonstration de l’utilité des pédagogies innovantes. Il règne une vraie émulation collective dès lors qu’on peut montrer à ses pairs ces réalisations et que nous pouvons les accompagner », n’en assure de pas moins Cornelia Woll, la directrice des études et de la scolarité de Sciences Po, qui a créé en 2016 un laboratoire de « pédagogie active ».

L’Institut Mines Télécom propose de son côté à ses professeurs volontaires de ses 11 écoles de participer chaque année à son Ecole d’hiver en pédagogie, Mediane. « C’est l’occasion pour nous de rencontrer des ingénieurs pédagogiques et de travailler sur la diffusions de la culture de l’innovation chez les enseignants-chercheurs », explique Yann Busnel, responsable du département SRCD (Systèmes Réseaux, Cybersécurité et Droit du numérique) du Campus de Rennes d’IMT Atlantique, pour lequel « jeter un maître de conférence dans le grand bain des cours sans aucune formation à la pédagogie est aberrant ». Pour y remédier l’université de Haute-Alsace (UHA) construit même un learning center (photo) au cœur de son campus pour donner de nouvelles ressources à ses enseignants et faire de ses « étudiants des acteurs de leur apprentissage grâce notamment à des outils numériques à disposition », confie sa présidente, Christine Gangloff-Ziegler.

Comment évaluer les enseignants ?

L’émulation c’est bien, la satisfaction c’est mieux, réussir sa carrière c’est beaucoup mieux ! Mais voilà la qualité de la pédagogie des enseignants-chercheurs n’est guère prise en compte dans les trajectoires des enseignants-chercheurs. Dans son Livre blanc « 6 propositions pour reconnaître l’excellence et les pédagogies innovantes dans l’enseignement supérieur », le groupe de travail « Innovations pédagogiques » de la CGE constate ainsi que « le balancier entre recherche et pédagogie oscille fortement du côté des activités de recherche : l’avancement de carrière, la rémunération et la « valeur de marché » des enseignants-chercheurs reposent essentiellement sur la recherche tandis que l’introduction de nouvelles méthodes pédagogiques, de nouvelles formes d’apprentissages et d’innovations pédagogiques compte pour quantité négligeable ».

Le Livre blanc propose donc de « Valoriser les pédagogies innovantes dans le recrutement et la carrière de l’enseignant ». « Les universités britanniques délivrent une habilitation individuelle à être innovant pédagogiquement. L’idée de François Taddei de créer une à créer une « habilitation à enseigner » comme il y en a une à « diriger de la recherche » est excellente. Nous pourrions en tout cas expérimenter avec le ministère de l’Enseignement supérieur, de la Recherche et de l’Innovation un dispositif destiné à reconnaître le travail des professeurs innovants », assure son responsable et directeur adjoint de l’EM Normandie, Jean-Christophe Hauguel, qui balaye de la main l’opposition de ceux qui prétendent qu’on ne peut pas l’évaluer : « Sans parler de l’évaluation par les étudiants, qui reste taboue dans de nombreux établissements, nous disposons d’indicateurs. C’est même le BA-ba des accréditations de l’AACSB (Association to Advance Collegiate Schools of Business) de définir des critères et de vérifier qu’ils sont bien atteints ».

D’autres freins

S’il n’est pas impossible de juger de la qualité d’une pédagogie le principal frein à leur évolution sera toujours la remise en cause qu’elle implique. La taxinomie de Bloom permet par exemple d’évaluer un cours selon qu’il ne permet qu’une simple restitution des faits jusqu’à une manipulation complexe permettant aux étudiants de créer de nouveaux protocoles. « Quand on leur demande d’évaluer ce qu’apporte leur cours selon cette taxinomie beaucoup d’enseignants-chercheurs y sont rétifs et parfois sont tentés d’aller trop loin sur l’échelle », confie Gwendal Simon, professeur à l’IMT Atlantique et grand initiateur des nouvelles pédagogies au sein de son école.

Sans parler d’étudiants, sortis de prépas, qui ne « comprennent pas pourquoi le prof ne fait pas son boulot » quand on leur demande de travailler sur des projets ou en classes inversées. « En première année il faut toujours dispenser de 25 à 30% de cours « cools », qui restent dans la « zone de confort » des étudiants pour assurer une bonne transition CPGE/écoles », remarque encore Gwendal Simon, pour lequel « les trois ans de cours suffisent pour former des diplômés qui penseront « hors de la boîte » ». Comme leurs professeurs !

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Olivier Rollot est directeur du pôle Information & Data de HEADway Advisory depuis 2012. Il est rédacteur en chef de "l’Essentiel du Sup" (newsletter hebdomadaire), de "l’Essentiel Prépas" (webzine mensuel) et de "Espace Prépas". Ancien directeur de la rédaction de l’Etudiant, ancien rédacteur en chef du Monde Etudiant, Olivier Rollot est également l'un des experts français de la Génération Y à laquelle il a consacré un livre : "La Génération Y" (PUF, 2012).

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