Dans une décisision inédite le Conseil constitutionnel « déduit du treizième alinéa du préambule de la Constitution du 27 octobre 1946 que l’exigence constitutionnelle de gratuité s’applique à l’enseignement supérieur public » tout en estimant qu’il est possible que « des droits d’inscription modiques soient perçus ». Un jugement qui découle de la saisie du conseil d’une question prioritaire de constitutionnalité par des organisations étudiantes suite à la volonté du gouvernement d’augmenter le montant des droits de scolarité des étudiants étrangers extra-communautaires. Mais une décisions aux effets largement plus larges sur laquelle le Conseil d’Etat devra maintenant s’appuyer.
Que dit le Conseil constitutionnel ? Rappelons que ce 13ème alinéa de la Constitution stipule que « La Nation garantit l’égal accès de l’enfant et de l’adulte à l’instruction, à la formation professionnelle et à la culture. L’organisation de l’enseignement public gratuit et laïque à tous les degrés est un devoir de l’Etat ». Un «tous les degrés» qui n’était jusqu’ici considéré que ne valant que pour l’enseignement primaire et secondaire. Les juges constitutionnels considèrent maintenant qu’il résulte « de la combinaison de ces dispositions que l’exigence constitutionnelle de gratuité s’applique à l’enseignement supérieur public ». Pour autant ils précisent que « cette exigence ne fait pas obstacle, pour ce degré d’enseignement, à ce que des droits d’inscription modiques soient perçus en tenant compte, le cas échéant, des capacités financières des étudiants ». Gratuit mais pas trop ! Sur son blog le professeur de droit public Paul Cassia de Paris 1 Panthéon-Sorbonne commente ainsi la décision : « Payer ne serait-ce qu’un euro symbolique de frais d’inscription interdit, en soi, d’employer de parler de gratuité ; mais c’est pourtant ce qu’a fait le Conseil constitutionnel, inventant par là-même un nouveau concept en forme d’oxymore : la gratuité payante ! Une prestation est pourtant gratuite ou elle ne l’est pas. »
La notion de droits « modiques » ? Il y a un an la Cour des comptes utilisait déjà le terme dans son rapport sur Les droits d’inscription dans l’enseignement supérieur public : « En application du principe constitutionnel de gratuité, les droits d’inscription pour la préparation d’un diplôme national ont longtemps été fixés à un niveau si modique que le service public de l’enseignement supérieur pouvait être considéré comme quasiment gratuit ». Et donc dans les clous de la Constitution à l’époque ?
Et comment tenir compte des capacités financières des étudiants ? Le Conseil constitutionnel ne vient-il pas d’ouvrir une boîte de Pandore qui risque de rendre difficile à justifier l’ensemble des droits de scolarité de l’enseignement supérieur public dès lors qu’ils ne sont pas « modiques » ? Cela alors que l’article 48 de la loi de finances n° 51-598 du 24 mai 1951 prévoit toujours que « seront fixés par arrêtés du ministre intéressé́ et du ministre du Budget les taux et modalités de perception des droits d’inscription, de scolarité́, d’examen, de concours et de diplôme dans les établissements de l’État ».
Quelles conséquences ? Si le jugement découle de la saisie du conseil d’une question prioritaire de constitutionnalité portant le montant des droits de scolarité des étudiants étrangers extra-communautaires rien n’indique que le jugement s’applique à ces derniers. La Conférence des présidents d’université (CPU) regrette ainsi que, « malgré l’objet même de la saisine, la question des droits des étudiants extra-communautaires, ne soit pas explicitement traitée ». Du côté de Frédérique Vidal on estime que cette décision ne remet pas en cause ce qui a été décidé pour les étudiants étrangers. Notamment parce que 2700€ reste une somme modique à comparer au coût moyen d’une scolarité à l’université qui atteint les 11 740€. Mais qu’est-ce qui est modique pour un étudiant sénégalais, vietnamien et, a contrario, américain ou… chinois ?
En revanche ce jugement s’applique clairement aux étudiants français et risque d’appeler de nombreux recours. « Le Conseil constitutionnel soulève une question de fond qui peut conduire à des bouleversements de grande ampleur dans les équilibres des financements de l’enseignement supérieur public », s’inquiète ainsi la CPU.
Les craintes sont encore plus fortes du côté de la Conférence des directeurs des écoles françaises d’ingénieur (Cdefi) au sein de laquelle beaucoup militent pour la fixation d’un montant des frais d’inscription aux alentours de 2500€ par an. Elle considère que « toute décision qui viserait à diminuer les financements de ces écoles remettrait en question un modèle économique déjà fragile ». En effet, rappelle la conférence si « les écoles ont choisi notamment d’augmenter leurs effectifs ces dernières années, tout en optimisant en permanence leur fonctionnement, dans un contexte de baisse du soutien de l’État (budget annuel par étudiant) cette optimisation a atteint aujourd’hui ses limites ».
« Modiques » mais par rapport à quoi ? Parce que la question va rapidement se poser dans de nombreux recours la Cdefi a tout de suite argumenté que les droits d’inscription des écoles d’ingénieurs publiques sont modiques puisque « s’échelonnant entre 5 et 25 % des coûts des formations d’ingénieurs, considération faite des politiques de bourses et l’accompagnement social, du coût et la qualité des formations, ainsi que de l’employabilité et les niveaux de salaires des ingénieurs diplômés ».
On voit là toute une suite d’arguments qui doivent permettre de justifier par les établissements d’enseignement supérieur de fixer des montants des droits de scolarité qui restent « modiques » au vu de ce qu’ils coûtent à l’institution et apportent aux étudiants. « Très concrètement, en analysant l’éventuelle modicité au regard du coût d’une formation et non au regard du seul principe de gratuité, il serait tout à fait possible de considérer que si un étudiant coûte en moyenne 10 000 euros à un établissement, des frais d’inscription à 9 500 euros demeurent modiques », considère également Paul Cassia rappelant que « l’enseignement supérieur public relève du statut des services publics à caractère administratif, où par essence même et à la différence des services publics à caractère industriel et commercial le montant acquitté par l’usager doit être inférieur au coût réel de la prestation qui lui est fournie ».
Selon que tu seras… Payer chaque année jusqu’à 14 500€ de scolarité en master à Sciences Po (selon les revenus de ses parents) est ce « modique » au vu coût de la formation ? Ou même de ce que ça apporte aux étudiants en termes de carrière professionnelle ? Et « seulement » 2700€ pour un étudiant étranger encore plus ? C’est en tout cas ce que défendait mercredi 16 octobre l’ancien professeur de droit constitutionnel qu’est Jean-Michel Blanquer devant le Sénat : « Le terme utilisé par le Conseil constitutionnel est « modique », et modique nous le sommes, dans les perspectives que nous avons, puisque nous avons limité à un tiers le plafond de ce qu’un étudiant étranger pourrait payer ».
Si de tels montants se révèlent justifiés alors le jugement du Conseil Constitutionnel pourrait avoir finalement des effets totalement contraire aux craintes des conférences comme aux espérances de requérants. Il pourrait en effet ouvrir la voie à la fixation de droits modulés selon le coût et la valeur de l’enseignement proposé comme des moyens financiers de chaque étudiant. Toujours devant le Sénat c’est l’analyse qu’en a faite Jean-Michel Blanquer : « Le Conseil constitutionnel a rappelé que le financement de l’enseignement supérieur devait être principalement, mais pas exclusivement, assuré par l’impôt. Et qu’il convenait de prendre en compte la situation financière de chaque étudiant ».
A contrario si ça ne l’est pas, si un montant « modique » s’entend par exemple par le montant actuel des droits universitaires – 170€ en licence et 243€ en master pour un coût moyen de 11 470 € soit un ratio moyen de 1 à 60 -, c’est toute la construction d’un enseignement supérieur public dans lequel les familles – notamment aisées – contribuent de plus en plus qui serait remis en question. Le gouvernement serait alors mis devant le défi de son financement alors que le coût investi par étudiant baisse régulièrement depuis 10 ans. On n’en saura plus qu’après le premier recours d’un étudiant contre le montant des droits devant un tribunal administratif puis sans doute devant le Conseil d’Etat. Des jugements qu’on attend avec une grande impatience…
- Sous le n° 2019-809 QPC le Conseil Constitutionnel avait été saisi le 25 juillet 2019 par le Conseil d’État d’une question prioritaire de constitutionnalité posée pour l’union nationale des étudiants en droit, gestion, AES, sciences économiques, politiques et sociales, le bureau national des élèves ingénieurs et la fédération nationale des étudiants en psychologie par Me Florent Verdier, avocat au barreau de Bordeaux.
- Rappelons qu’aujourd’hui les droits d’inscription à l’université sont de :
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- 170 € en licence (113 € à taux réduit) ;
- 243 € en master (159 € à taux réduit) ;
- 601 € en diplôme d’ingénieur (401€ à taux réduit) mais aussi 2 500 € (1 667 € à taux réduit) dans les écoles Centrales ;
- 380 € en doctorat (253 € à taux réduit).
- et… 0 € en BTS
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