VSS. L’acronyme est aujourd’hui rarement développé tant il est entré dans le langage courant des acteurs de l’enseignement supérieur. Les VSS, ce sont les violences sexistes et sexuelles et depuis quelques années, des mesures ont été prises pour les combattre. A commencer par le ministère de l’Enseignement supérieur et de la Recherche qui, sur l’impulsion de la ministre Sylvie Retailleau, a lancé un plan national de lutte contre les violences sexistes et sexuelles dans l’enseignement supérieur et la recherche 2021-2025. Un plan dont la mise en œuvre a été renforcée en octobre 2022 avec un doublement du budget annuel passant de 1,7 millions à 3,5 millions d’euros.
Avant de rentrer dans le détail, commençons par définir de quoi on parle. Sur le site du ministère de l’Enseignement supérieur et la recherche, on peut lire : « Les violences à caractère sexuel recouvrent les situations dans lesquelles une personne impose à autrui un ou des comportements, un ou des propos (oral ou écrit) à caractère sexuel. En d’autres termes, ils sont subis et non désirés par la victime. Elles sont l’expression de la volonté de pouvoir de l’auteur sur la victime. Ces violences portent atteinte aux droits fondamentaux de la personne, notamment à son intégrité physique et psychologique. Elles sont interdites par la loi et sanctionnée pénalement. » Les VSS recouvrent différentes formes : agression sexuelle, viol, voyeurisme, harcèlement sexuel… Toutes, insiste le ministère, peuvent avoir des conséquences importantes et durables pour les victimes : anxiété, trouble du sommeil et/ou de l’alimentation, peurs, culpabilité, dépression…
Pour les combattre, il faut autant agir en amont de l’acte qu’en aval, de la prévention à la prise en charge de victimes sans oublier la libération de la parole.
Ainsi, dans son plan, le ministère prévoit :
– la formation massive et systématique de la communauté de l’enseignement supérieur et de la recherche ;
– le renforcement des dispositifs de signalement ;
– la communication sur l’existence des dispositifs mais aussi sur le consentement ;
– la valorisation de l’engagement des étudiantes, des étudiants et des personnels.
Plus concrètement, les établissements qui le souhaitent ont été accompagnés pour créer des cellules d’écoute et de signalement afin de permettre aux victimes de bénéficier d’un soutien en cas de violences sexistes et sexuelles. Le soutien pouvant être d’ordre psychologique, médical, juridique… Des sanctions disciplinaires peuvent également être prises à l’encontre de l’agresseur par la direction de l’école ou de l’université. En résumé, il s’agit de mettre en place le triptyque « Prévenir, réagir, sanctionner ».
Sur ces deux derniers points, un rappel de la loi s’impose. Quand un établissement de l’enseignement supérieur a connaissance d’un acte relevant des VSS, il a l’obligation (c’est dans la loi de 1992 intégrant le harcèlement sexuel dans les codes de la fonction publique, du travail et de l’éducation) de mener une enquête interne. Celle-ci doit être réalisée de façon rigoureuse – audition de la victime, des témoins directs et indirects potentiels… – tout en respectant le droit de la défense. Précision d’importance : dans le cas de sanctions disciplinaires, la notion de « présomption d’innocence » ne s’applique pas. Reste que mener ce type d’enquêtes ne s’improvise pas et qu’il est fortement recommandé de se former au préalable via des guides ou des sessions de formation. L’enjeu est de taille car une enquête mal ficelée entraînant des sanctions peut être portée devant les tribunaux par la personne accusée et sa famille. Et souvent ils gagnent.
En revanche, si la sanction est motivée et qu’elle repose sur un faisceau d’indices concordantes (des propos de la victime qui ne varient pas, des témoins directs et indirects, une multiplication d’actes commis par le même agresseur, etc.), elle ne sera pas cassée par un tribunal. Les sanctions peuvent être de plusieurs ordres, du blâme à l’exclusion définitive. Elles doivent être proportionnées au degré de gravité des VSS.
Deux procédures. Si l’on se place du côté de la victime, celle-ci a le choix entre deux procédures, différentes mais cumulables. Elle peut en informer son établissement via les cellules d’écoute évoquées plus haut. Celles-ci ont l’obligation de recueillir son témoignage. Si le personnel dédié juge que la plainte est recevable, il en informe la direction qui aura à charge de mener l’enquête et de se prononcer sur d’éventuelles sanctions. A noter que si la victime requiert l’anonymat, le droit de la défense ne pourra pas être respecté – le présumé agresseur doit pouvoir lire les déclarations à son endroit – et la sanction difficile à notifier.
En attendant la décision des instances dirigeantes, des mesures d’éloignement peuvent être appliquées. Dans les universités publiques, soumises au code la fonction publique, s’applique l’article 40 du code de procédure pénale obligeant les fonctionnaires à donner avis au procureur de la République quand ils acquièrent la connaissance, dans l’exercice de leur fonction, d’un crime ou d’un délit. Rien de tel dans le privé. Mais les établissements doivent garantir à leurs étudiants des conditions d’études exemptes d’atteintes à l’intégrité physique et psychique. C’est dans le code de l’éducation. Un étudiant se sentant menacé peut donc attaquer son établissement pour ne pas avoir mis en place de campagnes de prévention ou des dispositifs d’accompagnement.
Deuxième procédure : la victime peut également déposer une plainte auprès des services du procureur et, si elle le souhaite, être accompagnée dans sa démarche par son établissement. Les écoles et universités peuvent se porter partie civile.
Et sur le terrain, comment ça se passe ? Difficile de quantifier le nombre d’établissements ayant mis en place les dispositifs suscités. Ce que l’on peut dire, en revanche, c’est que certains étaient plus en avance que d’autres. Question de volonté politique des directions en place mais pas seulement. « A l’université Lumière Lyon 2, il y a beaucoup de spécialités sur les questions de genre en sciences humaines et sociales. Nous sommes particulièrement sensibilisés sur ces sujets, en lien avec les recherches menées et nos enseignements », explique Christine Morin-Messabel, vice-présidente Égalité et lutte contre les discriminations. Dès 2019, la faculté a mis en place des cellules de signalement pour le personnel. Celle pour les étudiants l’a été en 2021. L’université déploie par ailleurs des campagnes de communication sur les différents dispositifs, propose des modules d’auto-formation aux étudiants et aux personnels ainsi que des outils de sensibilisation pour les enseignants-chercheurs… « L’ensemble des services s’est beaucoup engagé sur la question des VSS. C’est une réflexion commune qui anime tout notre écosystème. Nous appartenons également à un réseau d’échanges régional sur les VSS, réunissant des écoles et des universités, qui nous permet de mettre en commun nos bonnes pratiques. Bref, les choses évoluent mais il y a encore une marge de progression sur le rapport à l’autre, l’éducation et le sexisme. C’est un travail de longue haleine », poursuit Christine Morin-Messabel.
Dans certains établissements qui ont défrayé la chronique pour des cas de viols, comme à Sciences Po Paris et CentraleSupélec, les mesures mises en place sont impressionnantes. Quid de leur efficacité ? C’est ce que les deux écoles cherchent à évaluer dans le cadre d’enquêtes menées auprès des élèves. En septembre 2022, CentraleSupélec témoigne ainsi d’une « baisse significative des VSS » par rapport à l’année précédente. Parmi les étudiants ayant déclaré avoir été victimes de VSS, ils étaient 28 en 2021 à avoir témoigné d’un viol contre 7 en 2022. Dans le même temps, les contacts physiques ou agressions ont également diminué, mais ce n’est pas le cas des propos sexistes, au nombre de 135 environ d’une année sur l’autre. L’école assure maintenir son objectif « zéro VSS » en poursuivant ses efforts, tels que la mise en place d’un collège d’experts extérieurs pour valider la méthodologie des enquêtes menées.
En février 2023, c’est au tour de Sciences Po Paris de réaliser un point d’étape un an après l’instauration de son dispositif de lutte contre les VSS. Ici, pour chaque signalement, une enquête interne est menée par la cellule d’enquêtes internes préalables (CEIP) afin de vérifier la matérialité des faits portés à sa connaissance. Au cours de l’année 2022, le CEIP a lancé 51 enquêtes dont 42 ont été finalisées. Le délai de traitement moyen était de 2,3 mois contre 5 avant sa mise en place. Le directeur de Sciences Po a saisi la section disciplinaire dans le cadre de 4 dossiers. Au final, deux sanctions ont été prononcées (une exclusion d’un an et des mesures de responsabilisation pour 3 étudiants). La dernière enquête REMEDE (recueil extensif des mesures des établissements contre les discriminations et pour l’égalité), réalisée auprès de 63 établissements, révèle, quant à elle, qu’en 2022, il y a eu 1543 signalements ; 5% ont abouti à une sanction disciplinaire et 1,4% à une sanction judiciaire.
Des études intéressantes… à croiser avec le Baromètre 2023 des violences sexistes et sexuelles dans l’enseignement supérieur. A en croire l’Observatoire étudiant des violences sexuelles et sexistes dans l’enseignement supérieur, qui en est l’auteur, on serait loin du compte. Publié en avril dernier, le rapport dresse « un état des lieux alarmants des VSS et LGBTQIA+phobies dans l’enseignement supérieur ». Fondé sur les expériences de plus de 10 000 étudiants, il publie des chiffres démontrant « que dans l’ensemble la situation ne s’est pas amélioré » depuis la publication de leur première enquête nationale il y a trois ans. On peut y lire que des violences graves et systémiques perdurent dans tous les établissements et que 6 étudiants sur 10 ont déclaré avoir été victimes et/ou témoins d’au moins l’une des douze violences citées (outrage sexiste, viol, injure, etc.). Plus d’un quart des personnes interrogées (27% précisément) disent avoir subi au moins un fait de violence sexiste, sexuelle ou LGBTQIA+phobe. Autre chiffre : la moitié des viols rapportés ont eu lieu lors de la première année d’études, dont 16% durant les évènements d’intégration.
Le rapport met par ailleurs l’accent sur le manque de reconnaissance des violences de la part des étudiants. Celles-ci seraient banalisées ou minimisées, entrainant une déresponsabilisation des auteurs. Un constat que partage Barbara Haddou, responsable RSE au sein de l’école de management Audencia. « La libération de la parole est importante. Il faut lever les tabous. Mais il faut aussi former et informer sur ce que sont les VSS. Il y a une méconnaissance de ce que représente une violence sexiste ou sexuelle et sur la notion de consentement, notamment dans le cadre de festivités alcoolisées. Les personnes mises en cause parlent souvent de maladresses », explique-t-elle. L’école a, par ailleurs, rejoint un groupe de travail mis en place par la Conférence des grandes écoles pour améliorer l’interface entre le disciplinaire et le judiciaire. Une interface jugée floue et qui peut être préjudiciable pour la victime.
Sur le plan des dispositifs, l’école nantaise n’est pas en reste ; elle s’est en effet dotée de tout un arsenal de mesures pour lutter contre les VSS – écoute et accompagnement des victimes, formations obligatoires des premières années mais aussi des associations étudiantes qui doivent nommer un référent VSS, prévention… Des mesures pas toujours suffisantes. Audencia a ainsi fait la une des médias quand, en juin dernier, une association étudiante a été dissoute pour des faits graves. Depuis quinze ans, elle diffusait des vidéos rendant publics des actes sexuels, l’occasion de moquer ou de harceler certains élèves. « On est tombés de haut », témoigne Barbara Haddou. De quoi redoubler de vigilance. Tant qu’il restera un fait de VSS dans l’enseignement supérieur et la recherche, la mobilisation restera intacte, assure le ministère.