Avec 25 à 30 000 professionnels formés chaque année Abilways est l’un des principaux groupes de formation continue français avec des marques expertes comme EFE (management, RH, banque, etc.), ACP (marchés et finances publiques) ou encore le CFPJ (journalisme et médias). Pour répondre aux questions liées à la transformation digitale, le groupe lance aujourd’hui Abilways Digital. Marie Ducastel (@MarieDucastel), présidente du directoire du groupe, explique les tenants et les aboutissants d’une révolution dont les entreprises n’ont pas encore toutes conscience.
Olivier Rollot (@O_Rollot) : Quelle évolution majeure notez-vous aujourd’hui dans l’univers de la formation continue ?
Marie Ducastel : D’abord que des métiers deviennent des compétences que tout le monde doit plus ou moins maîtriser. Aujourd’hui, on se passe de traducteurs et d’assistantes. Tous les jeunes auront sous peu le niveau d’un graphiste junior, tous les journalistes que nous formons au CFJ savent faire des vidéos et apprennent les bases du code ! Ces changements sont visibles et le seront de plus en plus dans tous les secteurs. L’enjeu pour nous est majeur accompagner cette révolution et développer les compétences tout au long de la vie alors que 60% des métiers de 2030 n’existent tout simplement pas encore et que de nombreux disparaîtront à cause de la robotisation. Aujourd’hui, il faut se former en permanence pour vivre dans un monde en perpétuel changement. C’est une habitude à prendre !
O. R : Comment votre métier évolue dans ce contexte ?
M. D : Notre première urgence c’est de comprendre les nouveaux métiers. Grâce aux jeunes diplômés du CFJ qui choisissaient cette voie nous avons ainsi été les premiers à former au community management ou en data journalisme. Nous avons créé Abilways Digital pour former tous les professionnels, des secteurs que nous touchons, aux évolutions digitales à travers quatre grands axes : la culture, les métiers, les savoir-être/le management et les outils.
La culture car les entreprises doivent comprendre comment on raisonne « digital », ce que cela impacte pour elles aujourd’hui si elles ne veulent pas se faire « uberiser ». La culture, c’est donner la compréhension du digital sur son secteur et son marché. Les métiers car se développent chaque jour de nouvelles pratiques qui débouchent souvent sur de nouveaux métiers ou plus simplement, de nombreux métiers s’exercent différemment. Un responsable de com aujourd’hui ne fait pas le même métier qu’il y a 5 ans ! Les savoir-êtres pour assimiler les changements nécessaires de posture managériales : aujourd’hui le manager n’est plus forcément le « mieux sachant » mais celui qui fait travailler le plus possible toutes les composantes de l’entreprise ensemble (marketing, vente, logistique, etc.) en évitant « l’effet silo ». De même tout le monde doit être formé au management de projet pour pouvoir en diriger un le cas échéant. Il faut être entrepreneur de son poste et chacun doit se sentir détenteur du succès de son entreprise ! Les outils enfin car nous devons aider les entreprises et les professionnels à faire le tri parmi des multitudes d’outils possibles.
O. R : Mais pourquoi créer un organisme dédié au digital ?
M. D : Jusqu’ici chacun de nos organismes de formation formait déjà bien sur au digital mais nous nous sommes rendus comptes que beaucoup d’expertises étaient transversales et qu’il était plus efficace de les rassembler dans un organisme dédié.
O. R : Dans ces conditions le présentiel est-il toujours aussi indispensable ? Les outils d’e-learning ne vont pas petit à petit le remplacer dans un contexte où les entreprises veulent de moins en moins laisser leurs employés aller se former longtemps ?
M. D : Le présentiel reste indispensable pour échanger et faire naître un savoir. Regardez les bibliothèques universitaires : elles n’ont jamais été aussi pleines. Il n’y a pas eu d’explosion du e-learning ces 15 dernières années. Mais dernièrement, les choses changent. L’expérience présentielle évolue. Elle est de plus en plus interactive mais il faut préciser qu’il y a bien longtemps que nous pratiquons une pédagogie inductive et que l’on pratique pour apprendre. Le caractère opérationnel des formations est dans l’ADN d’Abilways ; les formations sont toujours plus interactives, opérationnelles, reposant largement sur des jeux, mises en situation et un échange permanent entre le formateur et les « apprenants ». Nos formateurs sont des professionnels de leur métier qui forment…pas des formateurs professionnels !
O. R : Demain si une entreprise ne forme pas correctement ses salariés elle pourra être condamnée aux prud’hommes ?
M. D : C’est déjà le cas aujourd’hui mais cela le sera encore plus demain. D’autant que les critères de cette « bonne formation » restent encore difficiles à estimer. Chez ABILWAYS nous allons par exemple former l’ensemble de nos 350 salariés au digital. Nous voulons que tous nos salariés disposent des clefs de compréhension du nouveau monde et par exemple comprennent ce qu’est le codage !
O. R : Mais dans un monde où tout change si vite, cela en vaut toujours la peine de se former si longtemps en formation initiale ? Aujourd’hui c’est un peu un « master sinon rien » !
M. D : Bien se former après le bac c’est savoir se former toute la vie. On le constate chaque jour : plus on est formé, plus on se forme ! La formation initiale donne goût à l’effort, au travail collaboratif et à la réflexion. Pour bien se former il faut avoir acquis une mécanique. Maintenant la question est de savoir ce qu’il faut absolument avoir appris à l’ère de Wikipedia. Pour ma part je suis persuadé qu’on ne peut avoir de bons raisonnements sans une bonne base de connaissances pour les étayer.
O.R : Si votre activité est essentiellement consacrée à la formation continue vous formez également de jeunes journalistes. Une autre réforme, celle de l’apprentissage, ne va-t-elle pénaliser le CFJ ?
M. D : D’un côté on nous demande de ne pas dépasser les 5000€ de droits de scolarité (somme qui ne couvre pas du tout les frais réels dépensés par étudiant) pour ne pas être une « école qui sélectionne par l’argent », ce qui est louable ; donc on nous incite à prendre plus de boursiers et on nous pousse à développer l’apprentissage, mais de l’autre côté, on réduit l’affectation de la taxe d’apprentissage pour les niveau master au motif qu’elle serait plutôt destinée aux formations infra-bac. Comment doit-on faire ? c’est contradictoire …
O. R : Aujourd’hui tout le monde veut faire de la formation continue et prendre sa part d’une espèce d’énorme « gâteau » dont le montant atteindrait les 35 milliards d’euros. Qu’en dites-vous ?
M. D : Ces 35 milliards d’euros ce sont des montants agrégés qui n’ont pas de sens ! C’est un peu comme si on mélangeait dans un même fourre-tout les activités d’un industriel du Yogourts avec les boulangeries et les fermes normandes ! Le marché de la formation continue, qui nous concerne en tant qu’organisme de formation privé est de 13 milliards d’euros et plus de la moitié est composée de salaires. Le vrai montant du marché de la formation continue privée en France est d’environ 6 milliards d’euros.
O. R : Que change le nouveau dispositif de compte personnel de formation (CPF) dans le choix des formations ?
M. D : Il promeut clairement le diplômant long alors qu’on aura de plus en plus besoin de formations courtes pour se mettre rapidement à jour. De plus, le nouveau système ponctionne davantage les entreprises qui pourtant dans le même temps ont des enjeux accrus d’adaptation des compétences de leurs collaborateurs.
O. R : Qu’est-ce que l’obligation de formation qu’institue la réforme de la formation professionnelle va changer pour les entreprises ?
M. D : Elle remplace une obligation fiscale de se former [jusqu’à la fin 2014 les entreprises devaient consacrer un pourcentage de leur masse salariale à la formation] par une obligation sociale. Aujourd’hui, tout entreprise doit accompagner ses collaborateurs et il est à craindre que beaucoup de PME n’aient vu que l’aubaine de la fin de l’obligation fiscale en occultant une obligation sociale au moins aussi contraignante.
O. R : Tout le monde doit se former mais tout le monde le peut-il ?
M. D : On est dans une forme de bataille pour l’employabilité de chacun et il faut de l’argent pour former des professionnels qui vont travailler jusqu’à 67 ou 70 ans. Ce n’est pas facile de se réinventer ainsi tout au long de la vie. L’enjeu c’est de donner à la fois une chance à ceux qui n’ont pas réussi à se former jeunes tout en maintenant dans la course ceux qui ne pensaient pas travailler si vieux !