ECOLES DE MANAGEMENT

Les écoles consulaires se réinventent

C’est un petit entrefilet dans Challenges « Burgundy School of Business (ex-ESC
Dijon) veut ouvrir son capital et lever 5 à 10 millions d’euros d’ici deux ans. » « Être
un EESC (établissement d’enseignement supérieur consulaire) nous a permis
d’être doté de capitaux propres. Notre chambre de commerce et d’industrie a été
remarquable en nous permettant d’être propriétaires de nos bâtiments. Ainsi nous
avons pu rénover nos locaux et en acheter d’autres à de faibles taux. Cette année
nous nous sommes également ouverts à des actionnaires extérieurs – à hauteur de
350 000€ – auquel nous rendrons des comptes », explique son directeur, Stéphan
Bourcieu. Sur tout le territoire les chambres de commerce et d’industrie, privées de
moyen par l’Etat, se désengagent peu à peu d’écoles consulaires qui doivent en
retour trouver de nouveaux modèles économiques.

Qu’apporte le statut d’EESC ? En proclamant en septembre 2017 que « les écoles de management étaient au bord du gouffre », le directeur général honoraire d’HEC, Bernard
Ramanantsoa, a levé le voile sur les évolutions des business models que doivent effectuer bien des écoles de management « consulaires », y compris ses plus beaux fleurons que sont HEC, Essec ou ESCP Europe. De 10 millions d’euros aujourd’hui par an pour ESCP Europe, la dotation de la chambre de commerce et d’industrie Paris Ile-de-France devrait ainsi passer à zéro dès 2022. Devenue EESC début 2018, ESCP Europe est toujours à 99,90% possédée par sa CCI. Comme HEC d’ailleurs. Leur maison mère, la CCI Paris Ile-de-France, va créer début 2019 un holding de tête regroupant toutes ces écoles pour y faire entrer des investisseurs, notamment publics, tout en gardant la majorité.
Aujourd’hui la majorité du capital des EESC doit rester aux chambres de commerce et d’industrie, aucun investisseur ne peut y dépasser les 33% du capital et les EESC n’ont pas le droit de verser de dividendes. Tout le profit qu’elles effectuent doit y être réinvesti. Moyennant quoi les EESC ne payent pas d’impôt et ne sont pas soumises à la TVA. Mais n’ont, à l’exception notable de Burgundy School of Business, pas réussi à attirer d’investisseurs.
Le 1er janvier 2018, un peu plus d’un an après être devenue une EESC (en novembre 2016), celle-ci a été la première école de management à procéder à l’ouverture de son capital. Deux banques mutualistes (la Caisse d’Épargne de Bourgogne Franche-Comté et la Banque Populaire de Bourgogne Franche-Comté) y ont souscrit ainsi que trois dirigeants d’entreprises. « On oublie parfois qu’au-delà de la distribution de dividendes un actionnaire peut également être intéressé par la valeur créée. Ce qui serait des dividendes est réinvesti dans une entreprise dont la valeur augmente le jour de la sortie de l’actionnaire », relève Stéphan Bourcieu. Le statut d’EESC a notamment permis à BSB de lever des fonds pour rénover tout son campus et pour acheter un petit immeuble près de l’école pour y implanter son incubateur. 650 m2 dans lesquels sont installées 15 entreprises avec trois salles de réunion. « Un lieu d’incubation parfait pour faire du co-working. Il nous fallait 1 million d’euros pour acheter l’immeubleet le statut d’EESC nous a permis d’emprunter dans des conditions très favorables », reprend Stéphan Bourcieu.
En théorie toute personne physique et morale, aussi bien des fondations que des associations d’anciens, des collectivités locales, des entreprises, des particuliers ou même d’autres écoles dans le cadre de participations croisées, peut investir dans une EESC. En pratique HEC n’a aujourd’hui comme actionnaire que son association d’anciens et sa fondation qui accroitra sa participation au capital au fur et à mesure des investissements qu’elle pourra réaliser. « Le statut d’EESC donne plus de flexibilité, notamment pour la gestion des RH. Mais ce statut ne facilite pas l’entrée au capital d’autres parties prenantes. Nous sommes aujourd’hui dans une phase (peut-être intermédiaire) où les CCI ont toujours, de par la loi, la majorité absolue, et donc le pouvoir : difficile avec ça d’attirer des investisseurs », commente Bernard Ramanantsoa.

Quelle évolution du statut d’EESC ? La question d’une évolution du statut, permettant de faire entrer dans leur capital des actionnaires privés – majoritaires ? -, est aujourd’hui posée. Mais possédée par des actionnaires forcément désireux d’un retour en dividendes, pourront-elles garder leur niveau d’excellence ? A ce jour aucune école privée non issue du monde consulaire n’est par exemple titulaire du label d’excellence Equis que délivre l’EFMD. Et seule l’ISC Paris est accréditée par l’AACSB (Association to Advance Collegiate Schools of Business). Interrogé sur la remise en cause de la participation majoritaire des CCI, le directeur général de Toulouse BS, François Bonvalet, préférerait qu’on permette aux EESC de « donner des dividendes » plutôt que de rejoindre un statut purement capitalistique qui « pourrait faire perdre notre mission de service public ».
Et justement la CCI de Toulouse s’apprête à monter au capital de Toulouse BS pour un montant de 27M€, autant en bâtiments qu’en capital. « Cet apport va nous donner une sécurité financière nous qui va nous permettre d’investir », se félicite François Bonvalet, qui espère trouver d’autres actionnaires. Sous forme d’augmentation de capital : « La CCI conservera ses parts. Elle ne souhaite pas les vendre. Sa participation sera diluée ». Jusqu’ici TBS ne possédait pas ses murs à la différence d’HEC, à laquelle la CCI Paris Ile-de-France a apporté l’ensemble des bâtiments du campus et du foncier en pleine propriété ainsi que la marque HEC, ou de la Burgundy School of Business. « Cela nous paraissait nécessaire puisque, de toute façon, nous devons payer pour l’entretenir et l’agrandir. De plus c’est
une décision structurelle puisqu’il n’y a qu’au lancement de l’EESC que le patrimoine de l’école peut lui être dévolu sans payer ni taxes ni impôts », indique Stéphan Bourcieu. ESCP Europe ou Neoma BS ne sont toujours pas propriétaires. Ce qui n’empêche pas cette dernière de se lancer dans un plan de construction  de bâtiments de quelques 300 millions d’euros…

De nouvelles gouvernances. Devenir des EESC permet aux écoles de disposer d’une identité juridique propre – le directeur général en étant le mandataire social -, et de se doter de gouvernances jugées plus efficace. BSB a par exemple opté pour un directoire à deux, dont Stéphan Bourcieu, dont les membres prennent ensemble toutes les décisions. Quant au conseil d’administration il ne compte que quatre administrateurs issus de la CCI sur quinze. Composé de 24 personnes, le conseil d’administration d’ESCP Europe est en revanche majoritairement composé de membres désignés par sa CCI Paris. Il est complété par la doyenne du corps professoral, deux représentants élus du corps professoral, un représentant élu de l’administration, un autre des étudiants, ainsi que deux représentants de la Fondation et des Alumni et un membre du board de chacun des campus (Londres, Madrid, Berlin et
Turin). L’école est également dotée de trois comités de gouvernance pour la stratégie, l’audit et les nominations. A Grenoble EM la chambre de commerce et d’industrie est majoritaire au sein du conseil d’administration et s’appuie sur un comité exécutif composé de 5 hommes et de 5 femmes. A ses côtés un International Advisory Board compte également des anciens et des deans français et étrangers.
Comme toute entreprise les EESC possèdent des instances représentatives du personnel. « Cela nous a permis d’acquérir de la maturité dans nos relations sociales et de constater l’adhésion au projet », note François Bonvalet quand le directeur général de Grenoble EM, Loïck Roche, explique : « Ce passage en EESC a modifié nos capacités d’agir. Nous pouvons faire désormais ce que nous enseignons ! A commencer par les basiques, récompenser, sanctionner. Là où auparavant on travaillait avant tout sur la bonne volonté de chacun. Plus précisément, nous disposons désormais de vrais leviers de management et de leadership, communs en cela à ceux que l’on peut trouver dans une entreprise privée ».

Un statut associatif évolutif. Mais l’EESC n’est pas le seul statut possible pour les écoles issues des CCI qui, pour beaucoup, sont des associations. C’est le cas de Skema, l’Essec ou encore Kedge. « Nous avions anticipé de longue date le débat actuel en acquérant peu à peu notre autonomie financière. Nous ne recevons aucun financement extérieur ni directement ni indirectement. Nous le devons aux leviers de croissance forts que nous a apporté la fusion des deux écoles et d’une optimisation de l’allocation de nos ressources. L’effet de taille nous a permis de notamment améliorer notre efficacité », explique son directeur général José Milano, qui insiste : « Notre école de management, tout en étant une association à but non lucratif labellisée EESPIG doit tirer bénéfice de l’application d’outils de gestion d’entreprise. A ce titre, elle doit être capable de maîtriser sa structure de coûts pour dégager une marge qui permettent durablement d’investir. Pour avoir un ordre d’idée, nous devons être capables d’investir 15% de notre chiffre d’affaires, notamment dans le digital et l’international ».
Également associative, emlyon s’apprête à aller plus loin avec la création, en avril 2018 d’une société anonyme, la « SA Early Makers group », qui a vocation à contrôler l’association sur laquelle repose emlyon. Et est susceptible de s’ouvrir ensuite à des investisseurs privés. Sur le modèle des groupes privés d’enseignement supérieur français, une société anonyme aurait ainsi le contrôle d’associations et de l’immobilier d’écoles. Le modèle à suivre pour les EESC ?

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Olivier Rollot est directeur du pôle Information & Data de HEADway Advisory depuis 2012. Il est rédacteur en chef de "l’Essentiel du Sup" (newsletter hebdomadaire), de "l’Essentiel Prépas" (webzine mensuel) et de "Espace Prépas". Ancien directeur de la rédaction de l’Etudiant, ancien rédacteur en chef du Monde Etudiant, Olivier Rollot est également l'un des experts français de la Génération Y à laquelle il a consacré un livre : "La Génération Y" (PUF, 2012).

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