Privées d’une grande partie de leurs moyens par l’Etat, les chambres de commerce et d’industrie sont peu à peu obligées de trouver de nouveaux moyens pour financer leurs écoles, et notamment de management. D’autant qu’aux prises avec une concurrence internationale de plus en plus forte, ces dernières sont confrontées à un véritable mur d’investissements : digitalisation, nouveaux campus connectés, pédagogiques interactives, services aux étudiants s’ajoutent aux investissement traditionnels dans la recherche, la marque et les services supports. C’est tout un pan de l’enseignement supérieur français qui vit ainsi une profonde mutation. Non sans débats.
Cinq catégories. Au sein des Grandes écoles de management cohabitent aujourd’hui aussi bien des écoles « publiques » dépendant d’universités et de grands ministères (EM Strasbourg ou Institut Mines Télécom business school) que des « consulaires », c’est à dire possédant toujours un statut de service d’une CCI (ESC Pau), des EESC (établissement d’enseignement supérieur consulaire) ayant changé de statut tout en restant majoritairement détenues par leur CCI (Neoma, Grenoble EM, HEC, etc.), des associations (Skema, EM Normandie, Kedge, EBS, etc.) ou encore des entreprises (Esce). « Le statut associatif est le plus avantageux pour les écoles aujourd’hui. Dans les EESC les chambres de commerce et d’industrie gardent la majorité mais ne donnent plus d’argent. Dans une association on ne paye pas d’impôts sur les sociétés et on réinvestir tous ses bénéfices tout en ayant les mains libres pour être réactifs. Nous devons être indépendants, pas avoir une gouvernance trop lourde alors que nous ne dégageons pas des marges importantes », commente la directrice générale de Skema et présidente du Chapitre des écoles de management de la Conférence des grandes écoles, Alice Guilhon.
Mais qui dit statut associatif ne veut pas forcément dire ne relevant pas d’une SA, qui peut posséder la marque ou l’immobilier, alors que les associations ne disposent pas de capitaux longs. Face aux investissements à consentir, l’éducation supérieure a en effet un besoin croissant de capitaux longs. C’est là l’une des motivation clé de la création du statut d’EESC inspiré du modèle de la société à objet sportif qui, comme toute société, présente un capital. Le tout dans un cadre très encadré : les CCI doivent conserver 51% du capital, le versement des dividendes n’est pas possible.
Autant d’éléments qui, s’ils ne le bloquent pas, limitent les attraits de l’investissement dans les écoles relevant de ce statut. On évoque justement une évolution du statut d’EESC plus à même de faire entrer des actionnaires extérieurs en leur laissant une place plus large. « Il me semble préférable qu’on permette aux EESC de donner des dividendes plutôt que de rejoindre un statut purement capitalistique qui pourrait nous faire perdre notre mission de service public », commente François Bonvalet, directeur général de Toulouse BS qui vient justement d’obtenir que, dans le cadre de son statut d’EESC, la CCI de Toulouse monte au capital de l’école pour un montant de 27 M€, autant en bâtiments qu’en capital. L’école sera ainsi valorisée à hauteur de 50 M€. Du côté de emlyon on parle aujourd’hui de 110 millions d’euros. Et HEC vaudrait le double.
- La création du statut d’EESPIG (établissement d’enseignement supérieur privé d’intérêt général) est d’une toute autre nature puisqu’il permet seulement aux associations clairement non lucratives d’obtenir des financements publics.
Comment trouver de nouveaux financements ? Challengées dans leur économie les écoles de management françaises se sont lancées dans une course au développement qui est passée aussi bien par le développement de la formation continue (HEC étant le modèle en la matière), le développement international (Skema par ses campus, Rennes SB par son recrutement se distinguent) mais aussi et surtout par la recherche d’une « taille critique » qui fait naître des écoles d’une taille remarquable au regard des standards internationaux comme Kedge ou Neoma.
Dans le numéro spécial consacré aux « Dix grands défis de l’enseignement et de la recherche en gestion », publié par HEADway et la Fnege en mai 2018, le directeur général de Kedge, José Milano explique ainsi sa stratégie : « Nos partenaires, tel que la CCI, nous demandent d’être rentable et d’avoir des surplus pour pouvoir investir. Mais comment absorber les coûts ? Pas de réponse évidente à cette question. La nôtre, c’est pour l’instant d’être en capacité d’industrialiser la formation tout en personnalisant notre pédagogie et d’être dans une logique d’efficacité. Nous sommes au début de ce processus, nous cherchons des solutions sans pouvoir évaluer un seuil critique en termes de taille. On observe ce qui se fait ailleurs : ici, faire rentrer des partenaires financiers, là, racheter des écoles comme à l’Inseec à la seule différence que nous sommes un établissement de recherche ; nous devons trouver une voie intermédiaire : financer l’enseignement supérieur tout en préservant la qualité de la recherche. Combien de temps notre modèle va tenir ? Je ne sais pas mais on aura certainement besoin de procéder à des ajustements dans les années à venir ».
Emlyon change de modèle. Emlyon BS entend aujourd’hui aller plus loin après avoir créé une SA pour gérer son association et son immobilier. Il sera donc possible pour un actionnaire d’apporter du capital et d’en sortir s’il le souhaite. « Pourquoi ne pas faire appel à des actionnaires privés intéressés par notre vision ? Avoir comme actionnaire une CCI ne garantit pas plus son désintéressement qu’une entreprise qui s’engage sur le long terme », explique l’actuel président du directoire, Bernard Belletante quand Tawhid Chtioui, qui lui succédera en avril prochain, assure : « C’est une logique financière que nous vivons déjà avec nos partenaires qui nous aident à nous développer à Shanghai ou Casablanca ». S’il entend faire « subsister l’association pour les programmes sociaux ou le doctorat » ce dernier « ne sait pas qu’elle sera la structure idéale pour les investisseurs » tout en reconnaissant tout l’intérêt des avantages financiers qu’apporte le statut associatif.
Privé le groupe Inseec U. l’est depuis longtemps tout en conservant des écoles associatives en son sein. « Nous fonctionnons comme une entreprise : nous créons des écoles quand nous constatons un besoin sur le marché de l’éducation (émergence de nouveaux métiers qui nécessitent des formations adaptées en amont et en aval), ce qui demande beaucoup d’agilité, 20% de nos programmes sont modifiés chaque année », explique Catherine Lespine, la présidente de Inseec U dans le même numéro spécial d’HEADway et la Fnege. Après une croissance interne le groupe passe à une croissance externe en 2016 en achetant les écoles du groupe Laureate Education (ESCE, EBS, ECE Paris et IFG). « Nous créons ainsi une nouvelle plateforme d’enseignement supérieur multidisciplinaire mais ce n’est pas un conglomérat d’écoles. Il y a derrière cette stratégie un projet pédagogique avec, par exemple, des programmes passerelles, des doubles cursus, des actions communes. Les destins de nos 16 écoles sont liés, chacune garde sa marque mais nous défendons des valeurs globales que sont la pluridisciplinarité, l’harmonie, l’employabilité… », précise Catherine Lespine.
Est-il risqué de privatiser ? Dans une tribune (« La privatisation des écoles de commerce, une réforme à double tranchant ») publiée sur le site de La Tribune deux professeurs de l’Essec, Marc Guyot et Radu Vranceanu, remarquent : « Des segments comportant des éléments de service public ou d’externalités positives pour la population comme la santé ou l’éducation ne peuvent être privatisés sans s’assurer des conséquences sur l’accès des citoyens à ce service (…) Si l’évolution de l’EM Lyon en société anonyme pilotée par le profit est suivie, la dynamique du secteur va devenir une dynamique classique de concurrence entre entreprises de service où la différenciation par la réputation et la qualité est le facteur clef de succès ». Et de rappeler que « dans le reste du monde, la grande majorité des écoles de très haut niveau, même lorsqu’elles sont indépendantes des universités, comme la London Business School, sont des organisations non-profit de type fondation ». Et de s’interroger : « Il est fort probable que des investisseurs privés, basés sur la rentabilité, cessent de financer de la recherche de pointe qui fait la marque de fabrique des meilleures écoles, si celle-ci est estimée non rentable ».
Mais la question ne se joue-t-elle pas ailleurs que sur les statuts qui ne sont que des moyens ? Certains pensent que l’enjeu fondamental est l’objectif qui porte l’institution avec une ligne de partage entre ce qui relève du « for profit » et du « non profit ». Pourtant, rien n’est moins clair ici. « On trouve des institutions privées et associatives soutenues par des capitaux de fonds d’investissement comme le Groupe Inseec, ou encore des écoles associatives privées indépendantes sans histoire consulaire qui sont des EESPIG comme l’ISC. Si les écoles en format sociétés sont peu nombreuses, on peut facilement multiplier les exemples de celles dans ce statut rendant un service éducatif exemplaire », analyse Sébastien Vivier Lirimont, fondateur et directeur du cabinet HEADway qui rappelle que « la France a su développer de très nombreux services dits publics en les déléguant à des acteurs privés qui rendent un service efficace et de qualité » : « C’est là peut-être une source d’inspiration pour une réponse pertinente à ce débat : l’enjeu est celui de la régulation des acteurs et d’une gouvernance adaptée qui doit être trouvée et non de règles de capital ou de majorité. Les débats passionnés sur les statuts et la structure actionnariale ne pourront jamais faire disparaître une double réalité : l’enseignement supérieur français est une source essentielle de compétitivité et il a besoin de beaucoup plus de moyens pour continuer à se développer. Et ce n’est certainement pas l’Etat qui pourra apporter les capitaux nécessaires ».