ALTERNANCE / FORMATION CONTINUE

Apprentissage : où en est-on ?

D’un côté des objectifs très ambitieux (500 000 apprentis fin 2017), de l’autre la cruelle réalité des chiffres : le nombre d’apprentis stagne autour de 400 000 après avoir atteint son pic historique à 438 143 apprentis en 2012. En cause des réformes successives qui ont fragilisé le processus et des financements toujours plus opaques pour les établissements.

Le poids des régions

CFA de branches, d’entreprises, d’établissements, de CCI, CFA dans et hors les murs, le monde des centres de formation d’apprentis est parmi les plus compliqués qui soient. Rien qu’en Ile-de-France on en compte 140 qui se battent parfois les uns contre les autres pour recevoir de la taxe d’apprentissage, « vendre » des contrats ou devenir partenaires d’établissements. Le tout en dépendant plus ou moins des financements de la région. Spécialisé dans les formations en informatique, le CFA « Hors les murs » qu’est l’Afia se contente ainsi d’un financement de la région aux alentours de 30%. Même recours limité du côté du CFA « de branche », la métallurgie, qu’est l’Aforp. « Notre financement provient à 20% de la région, 40% de notre branche professionnelle, la métallurgie, et 40% de la taxe professionnelle », confie Henri de Navacelle, son directeur.

A priori rien ne peur être plus opposé que ces deux CFA : l’Afia forme essentiellement des informaticiens (Miage, écoles d’ingénieurs, risk management à l’Essca, etc.) dans des établissements extérieurs, l’Aforp des opérateurs et techniciens (bacs pros, BTS, etc.) essentiellement dans ses propres locaux. Fondé par des entreprises comme le Crédit Agricole, IBM ou Air France, l’Afia ne place ses 800 apprentis que dans l’enseignement supérieur quand, émanation du Groupement des industries métallurgiques, l’Aforp recrute ses 1600 apprentis dès la troisième. Mais tous deux sont bien certains d’un point : seule leur région peut leur donner l’autorisation d’ouvrir des places. « Les conseils régionaux ont droit de vie ou de mort sur les CFA, qu’ils financent ou non les apprentis », assure Henri de Navacelle.

Répondre aux besoins des entreprises.

« Un CFA hors les murs achète des formations aux établissements pour le compte des entreprises en s’adaptant en permanence à leurs besoins. Il peut même ouvrir une formation uniquement pour une seule entreprise », rappelle Jean-Claude Pouilly, aujourd’hui consultant pour la région Ile-de-France auprès de ses CFA après avoir dirigé le CFA Afia, quand Henri de Navacelle « répond d’abord aux demandes de sa branche ». L’UIMM (Union des industries et métiers de la métallurgie) est depuis toujours la branche professionnelle la plus impliquée dans le financement de l’apprentissage. « Aujourd’hui 65% de nos formations sont dans le postbac avec notamment le réseau des ITII (Instituts des techniques d’ingénieur de l’Industrie), qui forment des ingénieurs en apprentissage dans toute la France », explique Maurice Pinkus, directeur délégué emploi formation de l’UIMM.

En tout l’UIMM forme chaque année pas loin de 27 000 apprentis pour un budget de 100 millions d’euros issus des fonds de la professionnalisation. « Nous donnons la priorité aux bacs pro, BTS, école d’ingénieurs et les licences professionnelles. Pas aux DUT qui n’entrent pas dans notre politique car notre objectif est l’insertion professionnelle, pas la poursuite d’études. » Largement impliquée dans le développement de CQP (certificats de qualification professionnelles) mais aussi dans la définition des diplômes nationaux comme le BTS, l’UIMM travaille à la définition de leurs besoins avec les entreprises. « Dans les ITII, où nous recrutons essentiellement des titulaires de BTS et de DUT, nous voulons former des ingénieurs très orientés sur la professionnalisation, qui souhaitent travailler ensuite dans des PME, ce qui correspond également à leur profil », souligne Maurice Pinkus.

Pérenniser les financements

Sans apprentis, sans taxe d’apprentissage, sans subventions… pas de CFA. Chaque année les CFA partent ainsi à la course aux financements. « C’est un vrai challenge de convaincre les entreprises de nous apporter leur taxe et de trouver une entreprise à chaque apprenti », se souvient Chantal Barbier, longtemps en charge des relations entreprise de l’Afia. « Une quinzaine de CFA ont été fermés ces vingt dernières années en Ile-de-France faute de financement suffisants. Mais aujourd’hui la plupart s’en sortent bien avec la réforme de la taxe d’apprentissage », certifie Jean-Claude Pouilly. Oui mais parfois après des réajustements… L’Aforp a ainsi connu des heures délicates en juillet 2015 quand, sur un budget de 6 millions d’euros, près d’1,3 lui faisait défaut. « Heureusement la région a pu constater que la taxe rentrait mieux qu’elle l’espérait et combler le déficit avec la branche, mais l’été a été difficile », se souvient Henri de Navacelle. D’autant qu’un CFA comme le sien se doit aussi d’investir pour rester au niveau technologique attendu par les entreprises. Cette année l’Aforp sera ainsi le premier CFA à s’équiper d’une imprimante 3D métal, un investissement de près de 300 000€.

Pour éviter des « mauvaises surprises » en dépendant uniquement des seuls financements de la formation initiale, l’Aforp a développé une formation continue qui représente aujourd’hui 20% de son budget. Par exemple pour former des salariés, qui sont mêlés à des plus jeunes en BTS, ou permettre à des intérimaires de Renault de passer le CQP nécessaire à leur embauche par l’entreprise.

Juguler les échecs

L’un des principaux soucis des CFA est d’assurer au maximum d’apprentis de trouver une entreprise puis d’éviter les ruptures de contrat. Et chaque année des apprentis se retrouvent finalement privés d’entreprise acceptant de les recevoir. « Force est de constater que certains n’ont tout simplement pas un comportement adapté lorsqu’ils se présentent dans une entreprise », remarque Jean-Claude Pouilly. Un constat fait également par Henri de Navacelle, désolé de constater que, chaque année, 100 à 120 jeunes ne trouvent finalement pas d’entreprise : « Nous les sélectionnons en amont mais nous ne pouvons pas être motivés à leur place ». Dans tous les cas la région fournit une couverture santé jusqu’à la fin décembre puis les ex-futurs apprentis doivent retrouver leur ancienne scolarité.

Au CFA Afia les ruptures en cours de contrat sont seulement de 3 ou à 4%. « Et encore parce que des apprentis préfèrent entrer dans l’entreprise tout de suite, et obtenir une meilleure rémunération, plutôt que de poursuivre leur formation », regrette Jean-Claude Pouilly. D’excellents chiffres qu’on ne retrouve pas en bac pro, et même en BTS, où les taux peuvent monter en flèche et où environ 28% des contrats sont rompus en moyenne.

Réorienter l’apprentissage ?

Alors que c’est l’enseignement supérieur qui porte aujourd’hui largement le développement de l’apprentissage (de 2004 à 2010, la progression globale de l’apprentissage n’était due qu’à une hausse de 24% de l’apprentissage dans l’enseignement supérieur et un quart des apprentis sont aujourd’hui dans l’enseignement supérieur), tout un mouvement s’est dessiné ces dernières années pour favoriser les niveaux infra bac. « Le développement de l’apprentissage dans le supérieur est certainement une évolution souhaitable. Pour autant, dans un contexte budgétaire très contraint, il ne semble pas nécessaire que les pouvoirs publics subventionnent ce mouvement », assumait l’Institut Montaigne dans son rapport sur l’apprentissage de 2005. Fondateur du groupe IGS. Roger Serre, estime également que « dans le supérieur on devrait concentrer le financement des formations par l’apprentissage à bac+3, et au-delà, faire contribuer les entreprises et les jeunes ». Reste que les taux d’échec sont inversement proportionnels au niveau où s’effectue l’apprentissage et que le taux d’emploi des apprentis du CAP au BTS  baisse : 62% en 2014 pour 69% en 2012.

 

Des apprentis qui peuvent couter cher aux établissements

Les critiques contre le développement de l’apprentissage dans l’enseignement supérieur s’accompagnent de plus en plus de récriminations des établissements de formation. Ceux-ci se plaignent d’être mal payés par les CFA comme par les entreprises qui sous estiment le coût de leurs formations voire… s’abstiennent de payer. Bordeaux INP est ainsi aujourd’hui engagé dans un bras de fer avec sa région pour changer de CFA. Chaque année, Bordeaux INP serait en effet contraint à transférer 1,5 millions d’euros pour équilibrer le budget et financer ses cinq formations d’ingénieurs par apprentissage. « Le développement de l’apprentissage est mortifère pour les écoles de management dans la mesure où les entreprises refusent de payer les frais de scolarité à leur juste prix. On ne peut pas continuer comme cela ! », remarque de son côté Bernard Belletante, le directeur de l’EMLyon, qui préconise d’autres dispositifs comme celui qu’il vient de monter avec Adecco.

Fusionner contrats pro et d’apprentissage ? lycées professionnels et CFA ?

Parmi les pistes régulièrement évoquées pour simplifier le monde de l’alternance, la fusion des contrats de professionnalisation et d’apprentissage est régulièrement évoquée par la Cour des Comptes. Une fusion que ne préconise pas l’Institut Montaigne en constatant que « les différents contrats correspondent souvent à des besoins différenciés aussi bien des entreprises que des jeunes ». « Les contrats de professionnalisation sont plus simples à mettre en œuvre car c’est l’entreprise qui les finance », remarque également Maurice Pinkus, rejoint en cela par Philippe Grassaud, président du groupe Eduservices (Pigier, Iscom, Tunon, etc.), qui y voit « le meilleur dispositif, entre autres parce que le gouvernement n’y a aucun pouvoir et qu’il est géré par les branches professionnelles ».

La question du rapprochement entre CFA et lycées professionnels est également de plus en plus posée. L’Institut Montaigne préconisait ainsi la création de « lycées des métiers ». L’économiste Bertrand Martinot, délégué général à l’emploi et à la formation professionnelle de 2008 à 2012, préconise de se « diriger vers un système unique, où les lycées pros seraient transformés en CFA, branche par branche et en plaçant l’entreprise au cœur du système, sur le modèle allemand » (lire dans Les Echos). Oui mais cela signifierait aussi de fusionner les statuts des personnels. C’est à dire de les rapprocher de ceux du public avec donc un coût très important pour les CFA… Ce que réfute l’Institut Montaigne : « Le recyclage des budgets consacrés aux lycées professionnels vers l’apprentissage pourrait alors, toutes choses égales par ailleurs, aboutir à une économie annuelle de l’ordre de 1,6 Mde pour les finances publiques ».

Enseigner autrement

Le postulat est connu : beaucoup de jeunes exclus du système pourraient y réussir grâce à l’apprentissage. Mais encore faut-il que l’enseignement soit adapté à leur profil… « Ce n’est pas une question de valeurs mais de qualité différentes. L’apprentissage correspond bien à des profils inductifs », insiste Henri de Navacelle, qui propose tout de suite à ses apprentis de travailler en mode projet.

C’est bien dans cet esprit que l’université Cergy-Pontoise et l’Ecole supérieure de la banque, membre du réseau CFA banques, ont créé la licence professionnelle intégrée Banque, assurance, finance : conseiller de clientèle de particuliers multicanal, une licence pro spécialement créée pour former des étudiants qui, sinon, auraient bien pu finir dans les statistiques des décrocheurs. « Ce programme nous l’avons conçu avec les banques qui recherchent des profils de chargé de clientèle qui vont au-delà des BTS et des licences professionnelles classiques », explique le responsable du programme, Arnaud des Abbayes, lui-même un ancien cadre de haut niveau de Natixis, qui insiste : « Nous partons de cas pratiques pour enseigner les grands fondamentaux et, en quelques mois, les étudiants évoluent vers un comportement très professionnel ».

Olivier Rollot (@ORollot)

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Olivier Rollot est directeur du pôle Information & Data de HEADway Advisory depuis 2012. Il est rédacteur en chef de "l’Essentiel du Sup" (newsletter hebdomadaire), de "l’Essentiel Prépas" (webzine mensuel) et de "Espace Prépas". Ancien directeur de la rédaction de l’Etudiant, ancien rédacteur en chef du Monde Etudiant, Olivier Rollot est également l'un des experts français de la Génération Y à laquelle il a consacré un livre : "La Génération Y" (PUF, 2012).

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