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L’« Alliance Lyon Grenoble Business School » décryptée : entretien avec Loïck Roche

Grenoble EM et l’EMLyon business school ont annoncé un rapprochement qui ne signifie pas fusion. aDirecteur général de Grenoble EM, président du Chapitre des écoles de management au sein de la Conférence des Grandes écoles (CGE), Loïck Roche explique quels sont les objectifs de l’« Alliance Lyon Grenoble Business School ».

Loïck Roche (Photo Pierre Jayet)
Loïck Roche (Photo Pierre Jayet)

Olivier Rollot : En compagnie de Bernard Belletante, le directeur général de l’EMLyon, vous venez d’annoncer un rapprochement stratégique entre vos deux écoles. Depuis combien de temps travailliez-vous à ce dossier ?

Loïck Roche : Début 2014 j’avais imaginé et publié dans la presse les contours d’une alliance qui ressemble beaucoup à ce que nous proposons aujourd’hui et qui est le fruit de séances de travail régulières depuis novembre dernier. Nous profitons d’une implantation sur un même territoire, la région Auvergne Rhône Alpes. D’une très bonne conjoncture liée à la fois à la bonne santé financière des deux écoles, à la proximité de nos très bonnes performances dans les classements, qui nous permet de parler en parfaite parité avec l’EMLyon, et du soutien sans faille de nos tutelles (les chambres de commerce et d’industrie de Grenoble et de Lyon ainsi que de la présidence de l’AESCRA, association de l’EM Lyon). Par ailleurs, nous avons voulu finaliser cette alliance avant les concours qui, par respect des candidats, demandent une totale disponibilité des équipes. Au-delà, les élections dans les chambres de commerce auront lieu en novembre. Comme toute période électorale il est toujours plus difficile alors de prendre des décisions fortes.

En résumé, le mouvement a été imaginé et travaillé il y a plus de 30 mois. Il s’est accéléré depuis novembre dernier pour se concrétiser aujourd’hui. Nous avons travaillé dur mais sereinement. Les écoles auraient pu continuer leur chemin parallèle encore longtemps. Mais il était de notre responsabilité de nous doter de toutes les chances pour affronter l’avenir. En quelque sorte, n’avoir de cesse de toujours vouloir « réparer avant que ce soit cassé ».

Le campus de l'EMLyon à Ecully
Le campus de l’EMLyon à Ecully

O. R : Quelles grandes actions communes allez-vous mettre en œuvre dans les deux années à venir ?

L. R : Dès septembre 2016 nous allons mettre en œuvre ce rapprochement qui sera d’abord fondé sur un axe fort, l’innovation, l’entrepreneuriat, les nouveaux business et les nouveaux moteurs de croissance. Concrètement, nos professeurs vont mailler leurs expertises, partager les innovations pédagogiques, travailler leurs complémentarités et convergences en recherche. Nous devrions également réunir nos deux programmes PhD: un mouvement fort mais aussi symbole de notre volonté de travailler ensemble dans la recherche. Ce sera le premier étage de l’alliance.

Ensuite nous souhaitons, quand cela est pertinent, c’est-à-dire que cela crée de la valeur, que nos professeurs apprennent à monter ensemble sur des appels d’offre en executive education. Attention cependant, si nous ne récusons pas les additions, il ne s’agira jamais de dire « Nous sommes meilleurs qu’HEC ». Quand bien même sur le papier, par addition, nous serions meilleurs qu’eux, par exemple en recherche, ce qui est vrai, la marque HEC n’est pas détrônable comme cela, et c’est heureux !

O. R : Vos programmes, bachelor, grande école, seront communs un jour ?

L. R : Ils sont aujourd’hui « hors zone » de l’alliance. Notre bachelor est en trois ans, celui de l’EMLyon en quatre. Surtout, je suis très attentif à respecter l’émotion — voire l’interrogation — des élèves du programme grande écoles de l’EMLyon, comme de certains de leurs anciens, qui ont choisi une école classée devant pour ce qui est du concours grande école.

O. R : Une fusion entre vos deux écoles est-elle un jour envisageable ?

L. R : La fusion était ce qu’il y avait de plus simple à réaliser. Mais cela aurait été pour réparer quelque chose qui n’est pas cassé alors que ce dont ont besoin nos deux écoles c’est d’un accélérateur de croissance ! Surtout, cela aurait détruit de la valeur. À commencer pour le territoire. Grenoble EM est une marque qui apporte beaucoup à son territoire avec, pour exemple, plus de 4000 publications presse et donc des milliers de fois où la ville de Grenoble est citée chaque année. Y renoncer serait criminel.

Quant aux possibles économies d’échelles que permettrait une fusion, ma ligne de conduite est sans aucune ambiguïté : tout faire pour créer de la valeur par la croissance et donc créer des emplois. Nous avons une responsabilité sociétale. Vouloir créer de la valeur sans travailler mais simplement par fusion des équipes et donc réduction d’emplois, ce serait « dégueulasse » ! Dans une entreprise, dans une école de management, on peut être bien sûr amené un jour à licencier. Cela fait partie de la vie des organisations. Mais cela doit toujours être en dernier ressort et non par confort tragique de son incompétence à diriger.

Le hall de Grenoble EM
Le hall de Grenoble EM

O. R : Il n’y aura donc jamais de fusion ?

L. R : Il n’y a pas de fusion aujourd’hui pas plus qu’il n’y en aura à deux, trois ou cinq ans. Pour autant, on ne peut pas dire « fontaine je ne boirai pas de ton eau ». Si plus tard, il apparaît qu’au contenu très riche créé ensemble par nos deux écoles au sein de l’Alliance Lyon Grenoble Business School, il conviendra d’imaginer un autre contenant en remplacement de l’alliance et je serai le premier à y travailler.

O. R : Ce qui différencie encore vos écoles c’est leur statut. Aujourd’hui service de la chambre vous devenez un établissement d’enseignement supérieur consulaire (EESC) le 1er juillet quand l’EMLyon est une association. Qu’attendez-vous de ce nouveau statut ?

L. R : Dans une EESC la chambre de commerce et d’industrie est toujours majoritaire : adopter ce statut pour l’EMLyon ce serait en quelque sorte revenir là où ils étaient avant d’évoluer d’établissement consulaire en une association. Je crois profondément que l’avenir des écoles de management passe par leur capacité à se doter d’une gouvernance au plus près de celle que l’on trouve en entreprise. L’EESC est une évolution prometteuse. Là aussi, l’avenir nous dira si cette nouvelle forme est un aboutissement ou si c’était une étape vers autre chose.

Aujourd’hui nous évoluons d’établissement consulaire à une filiale de la CCI. Nous allons gagner en capacité d’autonomie et donc en capacité à répondre aux enjeux qui sont ceux des grandes écoles. Garder un lien fort avec la CCI, c’est aussi répondre à notre devoir d’être solidaire du devenir de notre CCI. Ils nous ont créé, ils nous ont aidé. Aujourd’hui, à l’heure où leurs ressources baissent, à l’heure où elles doivent se réinventer, les autres établissements de la CCI de Grenoble doivent pouvoir compter sur GEM.

O. R : Beaucoup d’écoles consulaires souffrent de la baisse des subventions de leur CCI. Où en êtes-vous ?

L. R en 2016, la subvention de la CCI sera de 0 euro. Les bâtiments en revanche appartiennent à la CCI et sont mis à notre disposition. La construction de notre budget est sans ambiguïté aucune : 55% proviennent des frais de scolarité et 45% du travail que nous faisons avec les entreprises.

O. R : Parlons de l’enseignement supérieur grenoblois. Quels sont vos rapports avec la Communauté d’universités et d’établissements (Comue) Université Grenoble-Alpes ?

L. R : Les Comue sont une création que je crois très intelligente du ministère de l’Education nationale, de l’enseignement supérieur et de la Recherche. Les Comue ont été en quelque sorte remises dans les mains des universités et force est de constater — c’est vrai pour nous, pour l’EM Lyon, et même HEC, c’est vrai d’ailleurs de la plupart des grandes écoles de management — que celles-ci donnent peu de place aux écoles de management. Dans la Comue grenobloise nous sommes « satellisés » dans le troisième et dernier cercle ; orbite que nous partageons avec une seule autre entité, l’école supérieure d’art et design Grenoble-Valence quand nous aurions dû être, c’est une évidence, dans le deuxième cercle avec la plupart des autres établissements hors naturellement l’université fusionnée, et c’est normal, qui elle est dans le premier cercle.

Quand on sait que nous avons dû faire des pieds et des mains pour pouvoir être accepté à l’extrême périphérie, quand on sait qu’il a fallu que les politiques — la droite et la gauche confondues (région et métro) —, pèsent de toutes leurs forces pour nous faire accepter, cela pose question. Travailler à une vraie politique de site exige de tout mettre en œuvre pour donner le meilleur aux partenaires. Comme GEM se réjouit des succès des universités grenobloises et maintenant de l’université fusionnée UGA, les souhaite, mieux même les appelle de ses vœux car ce qui est bon pour l’enseignement supérieur et la recherche à Grenoble est bon pour GEM. Je ne désespère pas qu’un jour nos collègues universitaires nous considèrent comme un morceau structurant de l’université grenobloise.

O. R : Vous êtes également président du Chapitre des écoles de management au sein de la Conférence des grandes écoles et vous vous représentez aux élections en mai prochain. Comment jugez-vous l’action de la CGE ?

L. R : La CGE, si elle n’y prend garde, risque de perdre de vue un certain nombre de réalités. La première d’entre elles financière : si 75% des écoles de la CGE ont un statut essentiellement public et sont donc très très largement financées par l’Etat, les écoles de management ne partagent pas cette réalité.De fait nos combats ne peuvent pas être tout à fait les mêmes. Là où la plupart des écoles de management luttent pour leur survie, les écoles financées par l’Etat luttent éventuellement pour mieux vivre. La différence est de taille.

Ainsi quand nous, écoles de management, mettons en garde la CGE contre les effets de la réforme de l’année de césure nous parlons essentiellement à des écoles d’ingénieurs pour qui cette année césure n’existe quasiment pas. Ainsi là où il faudrait faire le forcing avant que la loi ne passe et non essayer de corriger ce qui est souvent incorrigible une fois la loi passée, nous nous retrouvons, si nous voulons maintenir l’année césure, avec 200 heures de cours à dispenser à des jeunes qui ont justement choisi l’année de césure pour être dans une entreprise en France et aujourd’hui le plus souvent à l’international. L’année de césure fait partie des atouts forts des écoles de management pour permettre la meilleure insertion des étudiants. Les grandes écoles de management sont aussi, ne l’oublions jamais des écoles professionnelles qui forment à un métier ! Je sais bien que l’emploi en France peut ne pas être toujours une priorité, il n’empêche, le législateur lorsqu’il impose en année césure 200 heures de cours, qui plus est en présentiel à l’heure de la révolution numérique, commet une double faute.

O. R : Certaines écoles ne devraient-elles pas se contenter d’être des « teaching institutions » et laisser le statut de « research institutions » aux meilleures ?

L. R : Cette différence « teaching / research » n’a pas de sens. La vraie différence entre les écoles c’est leur capacité à recruter de très bons professeurs. Créer des « teaching institutions » ce serait repartir vingt ans en arrière, quand les ESC faisaient peu ou pas de recherche. Les écoles ont pris du modèle des universités en apprenant à faire de la recherche, et les universités ont pris du modèle des grandes écoles en portant une attention à l’insertion professionnelle des étudiants. Aujourd’hui les modèles se rapprochent. La force des écoles de management vient paradoxalement de leurs contraintes et notamment financières. Seule survie possible: avoir un souci extrêmement élevé de la satisfaction clients. Qu’il s’agisse des étudiants, qu’il s’agisse des entreprises. Exactement comme un entreprise, notre vrai patron ce ne sont pas les CCI mais bien nos clients.

O. R : La montée de l’enseignement supérieur privé est-elle une menace selon vous ?

L. R : Avec la raréfaction des ressources des tutelles, avec l’effet assassin pour les écoles de la réforme de la taxe d’apprentissage où, mécaniquement, les écoles perdent 60% de leurs recettes liées à cette collecte, ou l’école a les reins suffisamment solides pour mettre en place un modèle économique pérenne, ou elle encourt le risque d’être rachetée par un groupe privé. Risque dès lors mortel si l’exigence de rentabilité oblitère la capacité de l’école à faire de la recherche, à recruter de très bons enseignants-chercheurs, à mettre les moyens adaptés au support des étudiants (stages, emplois, …), à développer l’international, à respecter les critères qualité des accréditations, etc.

O. R : Les ex écoles de France Business school (FBS) ont beaucoup souffert ces dernières années. Certaines s’en remettent doucement, d’autre pas, et vous êtes justement partenaire avec l’ESC Clermont. Pourquoi ?

L. R : Il existe une vraie culture partenariale de Grenoble EM. C’est pour nous un devoir de faire profiter l’ESC Clermont de notre image. Parmi les « ex-FBS », les ESC Brest et Clermont s’en sortent le mieux car elles bénéficient d’une direction solide et aujourd’hui éclairée, et d’un environnement local solidaire et porteur. Le soutien de Michelin et Limagrain pour Clermont est remarquable. En reprenant l’Escem Tours Poitiers, le groupe Sup de Co La Rochelle agit également très intelligemment. Tout autant il participe à sauver ce qui peut l’être encore: les quelques emplois qui n’ont pas été supprimés, la marque.

Pour revenir à GEM, nous sommes la grande école qui propose le plus de doubles diplômes avec son environnement immédiat (avec l’UGA avec GINP, etc.). Quel dommage que l’IAE de Grenoble n’ai jamais répondu à nos demandes d’intégrer leur laboratoire de recherche, première étape à ce qui aurait pu être la constitution d’un corps professoral commun. Mon prochain ouvrage (après la publication cet hiver d’un Essai sur le suicide) et dont le titre est La Théorie du lotissement, les clés pour réussir le monde de demain (ouvrage qui paraît le 1er mai aux éditions des PUG), explique pourquoi nous devons apprendre à changer de logiciel. Et pourquoi plutôt que de souhaiter, comme trop souvent, l’échec de l’autre, nous devons au contraire apprendre à nous réjouir de la performance de l’autre. Comprendre que ce qui est bon pour la maison de l’un est bon pour la maison de l’autre. Comprendre, sans rien gommer de la compétition, parce que pour un observateur extérieur, l’enseignement supérieur en gestion à Grenoble ne fait qu’un, un seul et même lotissement composé de la maison IAE et de la maison GEM, que souhaiter le meilleur pour l’autre, c’est vouloir faire gagner l’ensemble du lotissement enseignement supérieur en gestion à Grenoble. Que c’est donc aussi créer de la valeur pour sa propre maison. Pour les uns, la maison IAE, pour les autres la maison GEM.

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Olivier Rollot est directeur du pôle Information & Data de HEADway Advisory depuis 2012. Il est rédacteur en chef de "l’Essentiel du Sup" (newsletter hebdomadaire), de "l’Essentiel Prépas" (webzine mensuel) et de "Espace Prépas". Ancien directeur de la rédaction de l’Etudiant, ancien rédacteur en chef du Monde Etudiant, Olivier Rollot est également l'un des experts français de la Génération Y à laquelle il a consacré un livre : "La Génération Y" (PUF, 2012).

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