ECOLES DE MANAGEMENT

« Notre business model ne dépend que de ressources internes »: José Milano (Kedge)

Depuis cet été il est directeur général de Kedge BS. José Milano revient sur la solidité financière d’une école qui fait partie des 3% des business schools les plus importantes dans le monde en chiffre d’affaires. Une école dont le socle est toujours constitué par ses étudiants issus de classes préparatoires aux grandes écoles mais présente bien d’autres dimensions du bachelor au MBA.

Olivier Rollot : A la suite des propos de l’ancien directeur général d’HEC, Bernard Ramanantsoa, qui a parlé d’écoles « au bord du gouffre », beaucoup s’interrogent sur la santé financière des écoles de management françaises. Comment se porte Kedge BS ?

José Milano : Nous avions anticipé de longue date le débat actuel en acquérant peu à peu notre autonomie financière. Aujourd’hui ni les financements extérieurs ni la taxe d’apprentissage ne nous sont indispensables, même si cette dernière permet d’amplifier notre politique sociale. Notre business model ne dépend que de ressources internes. Nous le devons aux leviers de croissance forts que nous a apporté la fusion des deux écoles et d’une optimisation de l’allocation de nos ressources. L’effet de taille nous a permis de notamment améliorer notre efficacité. Notre école de management, tout en étant une association à but non lucratif labellisée EESPIG (Etablissement d’enseignement supérieur privé d’intérêt général), doit tirer bénéfice de l’application d’outils de gestion d’entreprise. A ce titre, elle doit être capable de maîtriser sa structure de coûts pour dégager une marge qui permettent durablement d’investir. Pour avoir un ordre d’idée, nous devons être capables d’investir 15% de notre chiffre d’affaires, notamment dans le digital et l’international.

Cette maîtrise des coûts peut aussi passer par exemple par l’externalisation de certaines tâches administratives qui ne sont pas au cœur de notre métier comme la gestion des contrats d’alternance – 1500 chaque année – qui nous a permis d’accompagner les équipes vers un travail plus valorisant sur les relations avec les entreprises et le soutien à nos étudiants.

Enfin, notre performance financière nous permet de soutenir une action sociale forte par l’octroi de bourses, le cautionnement de prêts étudiants, le financement des intrêts de l’emprunt ou encore l’accompagnement d’associations oeuvrant auprès des étudiants les plus modestes.

O. R : Mais avez-vous le sentiment que les pouvoirs publics sont vraiment attentifs à la bonne santé d’écoles de management très bien classées au niveau international ?

J. M : Les pouvoirs publics ont bien pris conscience que l’enseignement supérieur est un secteur d’activité très positif pour la compétitivité en France. Aucun responsable n’a intérêt à fragiliser un dispositif d’excellence comme le nôtre qui est très présent dans les politiques publiques y compris au niveau diplomatique. Ce qui rejoint le rôle que nous jouons dans l’attractivité des territoires quand nous sommes, comme c’est le cas aujourd’hui, associés à des projets d’implantation d’entreprises chinoises notamment.

Nous devons développer des offres de formation dédiées pour nos territoires, comme nous le faisons par exemple pour la filière viti-vinicole où nous participons à l’accompagnement des acteurs, de la petite exploitation à la région viticole dans son ensemble.

O. R : La bonne gestion dont vous parlez est-elle suffisante pour continuer à progresser sur un marché de plus en plus compétitif ?

J. M : La bonne gestion fait gagner du temps mais n’est pas suffisante sur le long terme. Dans un secteur très atomisé, Kedge fait partie des 3% des business schools les plus importantes dans le monde en chiffre d’affaires. Or la question du financement de notre développement, notamment digital et international, va se poser avec toujours plus d’acuité. Nous devons adapter et transformer nos business models. Dans le domaine de la formation par exemple, nos environnements sont disruptés par de nouvelles expériences pédagogiques. Les « m2 » de bâtiments que nous construisent les chambres de commerces aujourd’hui n’ont rien à voir avec ceux d’il y a dix ans.

Dans le domaine de la recherche également, les questions sont nombreuses. Quel impact peut avoir la recherche ? Peut-elle être pour partie financièrement rentable ? Peut-on vraiment développer le fundraising avec la sociologie des dirigeants et des entreprises en France ? Sans doute, mais ce doit être l’aboutissement d’une politique de long terme avec les alumni que seule HEC a su mener significativement pour l’instant.

O. R : Kedge BS pourrait-elle un jour devenir un établissement d’enseignement supérieur consulaire (EESC) ?

J. M : Nous regardons ce que pourrait nous apporter ce statut notamment en observant nos confrères, mais ce n’est pas à l’ordre du jour.

O. R : L’executive education paraît la piste de développement la plus prometteuse. Où en êtes-vous ?

J. M : Nous réalisons une croissance de 30% cette année avec un chiffre d’affaires qui atteint les 8 millions d’euros (sur 110 M€ en tout). Nous pouvons encore largement progresser comme à Bordeaux où nous avons procédé par croissance externe et possédons aujourd’hui 15% du marché. A Paris, notre développement a été plus rapide qu’attendu et nous voulons déménager pour disposer de locaux beaucoup plus importants et adaptés à cette activité.

Comme nous y a engagé la loi de 2014 sur la formation professionnelle, nous avons apporté de la modularité dans nos programmes afin de proposer nos diplômes sous forme de certificats. L’executive education a aussi la vertu de confronter les enseignants aux demandes des entreprises et d’ouvrir ainsi de nouveaux terrains de recherche. Elle nous permet également de tester des pédagogies particulières, notamment grâce au digital.

Aujourd’hui si nous avons reconquis l’un des principaux armateurs mondiaux, CMA-CGM, c’est grâce à notre capacité à délivrer des programmes en France et à l’étranger en supply chain management et maritime. C’est donc une combinaison de compétences qui fait la différence.

O. R : Il y a des domaines particuliers dans lesquels vous vous sentez le plus légitime pour développer votre formation continue ?

J. M : Nous cherchons à nous développer autour de nos expertises qui sont particulièrement fortes dans la supply chain management, le marketing and brand management et la RSE (responsabilité sociale des entreprises). Dans ces domaines d’excellence, nous sommes au coude à coude avec les meilleurs acteurs européens en termes de production de recherche académique. Et nous avons d’autres domaines d’expertise en plein développement dans le vin, les industries culturelles, la santé, l’entrepreneuriat ou encore la finance autrement.

O. R : Mais quelle est la spécificité de Kedge qui porte son image ?

J. M : Nous bâtissons cette image pas à pas. Acquérir une image cela ne se fait qu’au terme d’un long processus, d’autant plus quand cette image s’appuie sur le développement d’une recherche d’excellence. C’est vrai pour toutes les écoles qui ont fait ce choix qui peut nécessiter une dizaine d’années, voire plus, avant d’obtenir des résultats. Je vous rappelle que Kedge n’a que 4 ans et doit encore développer ses « capabilities ». Nous incitons pour cela nos enseignants-chercheurs à se fédérer autour de projets car c’est autant la reconnaissance académique que leur réussite qui feront prospérer nos centres d’excellence dont certains bénéficient déjà d’une belle notoriété, tant auprès des entreprises que de nos étudiants.

Nous sommes dans un marché mondial concurrentiel et cette globalisation est une évidence pour nos étudiants comme nos professeurs. Pour autant nous sommes aussi une école ancrée dans nos territoires. Une école proche des entreprises : quand nous lançons un nouveau master, en « marketing digital » par exemple, il est co-construit avec les entreprises leader sur ce marché. C’est ainsi que nous développons une différenciation par la pédagogie.

O. R : Vous l’avez dit Kedge BS est née en 2013 de la fusion d’Euromed Marseille et de Bordeaux EM. Peut-on affirmer aujourd’hui que cette fusion est une réalité ?

J. M : KEDGE est bel et bien une réalité pour nos étudiants, pour nos diplômés, comme pour l’ensemble des collaborateurs, du corps professoral ou de nos partenaires académiques ou entreprises. C’est cette réalité ambitieuse qu’a constaté EQUIS en nous accordant une accréditation de 5 ans, sans aucun « below standard » ce qui est très rare. C’est le projet d’avenir porté par Kedge comme unité qui a emporté la conviction des accréditeurs.

Nous suivons notre plan stratégique 2016-2020 en le réactualisant régulièrement en fonction des résultats pour responsabiliser nos équipes et nous ajuster aux évolutions du marché. Nous poursuivons notre transformation et avons pour objectif de contribuer à celle de notre éco-stystème.

O. R : Parlons plus spécifiquement des classes prépas. Etes-vous satisfait de votre recrutement 2017 ?

J. M : Nous avons atteint nos objectifs tout en remontant la barre d’admission. Cela démontre la qualité des jeunes que nous recrutons. Au-delà de l’employabilité, les candidats sont aujourd’hui bien conscients de notre capacité particulière à les aider à construire un projet professionnel abouti.

Avec l’APHEC (Association des professeurs des classes préparatoires économiques et commerciales) et les proviseurs de lycées possédant des CPGE nous travaillons aussi à la création de nouvelles modalités d’évaluation. Différentes études démontrent que les différentiels de notes entre le dernier entrant et le dernier admissible sont très ténues.

O. R : La notion de « continuum » CPGE / grandes écoles est également très prégnante dans ces discussions. Pourriez-vous faire évoluer votre pédagogie pour que le « fossé » entre la prépa et la grande école soit moins difficile à franchir pour vos étudiants ?

J. M : Nous sommes favorables à ce que les cours fondamentaux en début de cycle soient renforcés, avec plus de place pour les « humanités digitales », de conférences d’ouverture et de remédiation. Le socle de première année doit être robuste pour permettre ensuite à nos étudiants d’affiner leur projet. Mais ce « continuum » repose selon nous aussi sur le service d’accompagnement que nous apportons à nos étudiants. Notre dispositif Be-U relève d’une pédagogie spécifique à KEDGE qui mixe développement personnel et accompagnement à la professionalisation. En proposant un coaching personnalisé lié à la mise en action (les projets-actions que réalisent nos étudiants), nous leur permettons très rapidemment d’expérimenter leurs connaissances et leurs compétences, et d’apprendre de leurs erreurs. L’objectif de cette personnalisation du cursus est d’apporter la même qualité de service à tous les étudiants où qu’ils se trouvent sur nos campus.

N’oublions pas également que nos étudiants sont à un âge de leur vie très sensible. Au travers de notre processus « wellness », avec des psychologues et des pédagogues dédiés, nous les accompagnons dans cette transition globale.

O. R : Vous êtes satisfait des résultats du Concours Ecricome que vous partagez avec Neoma BS ?

J. M : Les chiffres sont là pour démontrer son attractivité et sa sélectivité. Cette année nous modernisons encore notre offre avec l’ouverture à de nouvelles écoles, par exemple pour recruter leurs bachelors, en marque blanche. Aujourd’hui Ecricome est une alternative nécessaire à la BCE pour des étudiants qui ne veulent pas tout miser sur un seul concours et peuvent avec lui accéder à deux écoles de très haut niveau.

O. R : Vos recrutements pourraient-ils évoluer ?

J. M : Il faut sans doute aussi s’ouvrir davantage à des voies de recrutement par dossier pour donner leur place à des profils différents, notamment à l’international. En complément des entretiens par Skype, nous réfléchissons également à implémenter d’autres solutions technologiques, d’une part pour recruter les étudiants là où ils sont, et d’autre part pour adopter des modes de recrutement qui correspondent aux usages de nos candidats. Par ailleurs, les admissions sur titre nous permettent déjà de recruter des étudiants de très bon niveau. Il ne faut pas opposer volume et excellence. Nous pouvons avoir des diplômés nombreux de haut niveau. Il ne faut pas se contenter d’une élite malthusienne.

O. R : Kedge est challengé par des écoles, notamment Skema BS, qui proposent des modèles différents. Pourriez-vous vous en rapprocher en ouvrant par exemple plus de campus à l’étranger sachant que vous êtes installés en Chine ?

J. M : Et également en Afrique, où nous pouvons nous appuyer sur notre campus de Dakar, une école très bien classée par Jeune Afrique et que nous comptons encore renforcer. Mais d’abord pour y recevoir des étudiants africains. Nous nous positionnons sur un autre modèle que Skema. En Chine nous sommes déjà un acteur reconnu – notre MBA y est classé à la 37ème place par le Financial Times – avec un potentiel de développement considérable.

A Suzhou, près de Shanghai, nous intégrons chaque année une promotion importante d’étudiants chinois au sein de l’Institut franco-chinois « finance, économie et gestion » que nous avons créé avec l’université Renmin et les universités Paris-Sorbonne et Paul-Valéry de Montpellier. Des étudiants d’excellent niveau qui nous choisissent alors que leurs résultats leur permettraient d’intégrer des universités du top 10 chinois. Nous y recevons également un grand nombre d’étudiants du programme grande école venant de nos campus français afin qu’il y ait une vraie mixité de profils à l’IFC Renmin.

Aujourd’hui nous menons un nouveau projet d’IFC en compagnie de l’Académie Nationale des Beaux-Arts de Pékin – qui fait partie du top 3 mondial dans sa discipline – Paris-Sorbonne, les Arts Déco et le Musée d’Orsay pour développer une filière de management des entreprises culturelles. Nous sommes une ETI qui s’internationalise avec la capacité de gérer des consortiums internationaux.

O. R : Ce ne serait pas plus logique de monter ces projets avec les universités Aix-Marseille et Bordeaux ?

J. M : Nous le faisons aussi. Le Master « Vin » par exemple est réalisé en partenariat avec l’Institut des Sciences de la Vigne et du Vin (ISVV) de l’université de Bordeaux. Il faut se retrouver sur des projets. Cela peut se faire avec avec les universités de nos territoires, mais cela ne doit pas nous empêcher d’aller trouver des compétences ailleurs en compagnie de dirigeants avec lesquels nous entretenons d’excellentes relations.

O. R : Quel regard jetez-vous sur les communautés d’universités et d’établissements (Comue) ?

J. M : Les Comue participent d’une politique nécessaire à la dynamique de nos territoires, et nous sommes d’ailleurs ravis d’être membre de la Comue Aquitaine et travaillons étroitement avec l’université Aix-Marseille en PACA. Comment se pilotent opérationnellement des ensembles qui semblent être de bonnes idées sur le papier ? Dans un pays comme la France, le danger est que nos tendances bureaucratiques l’emportent. Pour donner du sens aux Comue, il faut d’abord développer des projets concrets pour éviter ce que le sociologue Norbert Alter a parfaitement analysé comme la « lassitude des acteurs de l’innovation » si les organisations l’empêchent. La réussite des Comue passera surement, comme dans certaines entreprises, par un modèle d’innovation par business units dédiées que l’on analyse très bien dans les sciences de gestion.

O. R : Vous parlez management organisationnel. Mais comment faut-il gérer une école de management ?

J. M : Une école de management se caractérise par la diversité et la complémentarité de son encadrement qui comprend aussi bien des enseignants-chercheurs – 180 chez Kedge – demandeurs d’implication que des équipes support souvent composées de profils variés issus du monde de l’entreprise et du milieu consulaire. Le comité de direction d’une école doit être le reflet de cette diversité : un corps professoral indispensable qui s’appuie sur des fonctions support professionnelles. Nous devons travailler tous ensemble pour faire réussir cette entreprise académique. J’apprécie beaucoup ce proverbe africain qui dit « Si tu veux aller vite, vas-y seul mais si tu veux aller loin, alors va avec les autres ».

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Olivier Rollot est directeur du pôle Information & Data de HEADway Advisory depuis 2012. Il est rédacteur en chef de "l’Essentiel du Sup" (newsletter hebdomadaire), de "l’Essentiel Prépas" (webzine mensuel) et de "Espace Prépas". Ancien directeur de la rédaction de l’Etudiant, ancien rédacteur en chef du Monde Etudiant, Olivier Rollot est également l'un des experts français de la Génération Y à laquelle il a consacré un livre : "La Génération Y" (PUF, 2012).

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