ECOLE D’INGÉNIEURS, ECOLES DE MANAGEMENT, POLITIQUE DE L'ENSEIGNEMENT SUPERIEUR, UNIVERSITES

Ce que va apporter le statut d’EESPIG : les explications de Jean-Michel Nicolle (UGEI)

L’Union des grandes écoles indépendantes (UGEI) regroupe 31 grandes écoles de commerce et d’ingénieurs associatives ou privées membres de la Conférence des Grandes écoles (CGE). Aujourd’hui elles sont particulièrement concernées par la création d’un nouveau label d’« établissement d’enseignement supérieur privé d’intérêt général » (EESPIG). Jean-Michel Nicolle, président de l’UGEI et directeur de l’école d’ingénieurs EPF, nous en fait découvrir les tenants et les aboutissants tout en décrivant un enseignement supérieur contrasté pour les écoles membres de l’UGEI.

Jean-Michel Nicolle
Jean-Michel Nicolle

Olivier Rollot : Où en sont les relations des grandes écoles indépendantes avec le gouvernement ? On sait que les subventions dont bénéficiaient beaucoup de ses membres ont fortement baissé en 2013 (-15%) puis 2014 (-9,5%) avant de se stabiliser semble-t-il cette année.

Jean-Michel Nicolle : Il faut reconnaitre que nous avons eu le sentiment, pendant un temps, que le ministère de l’Education nationale, de l’Enseignement supérieur et de la Recherche ne comprenait pas le modèle des établissements privés et qu’il ne mesurait pas son importance (rappelons que les écoles contractualisées représentent 80 000 étudiants sur un total d’environ 450 000 inscrits dans l’enseignement privé) et son rôle dans notre société. Il semblait rejeter en bloc tout ce qui ne relevait pas du public. Je dois rendre hommage à Cdefi (Conférence des directeurs des écoles françaises d’ingénieurs) et à son président de l’époque, Christian Lerminiaux, d’avoir su défendre les écoles d’ingénieurs associatives en valorisant leurs identité et la qualité des missions qu’elles exerçaient. Il n’en reste pas moins qu’avec la baisse de leurs subventions les 51 écoles « contractualisées » avec l’État ont vu la contribution de l’Etat par étudiant passer de 1300 à un peu plus de 900€ en peu de temps.

O. R : Dans ce contexte que peut apporter le statut d’EESPIG ?

J-M. N : L’EESPIG est un label attribué par l’Etat qui vise à identifier pour mieux les valoriser les établissements qui répondent à des missions d’intérêt général et partagent certaines valeurs. Plusieurs critères ont été retenues pour segmenter les écoles privées, principalement les missions assurées, l’indépendance vis à vis d’intérêts privés capitalistiques, la non-lucrativité et identifier celles qui peuvent ou pas être reconnues d’intérêt général. Le Comité consultatif pour l’enseignement supérieur privé (CCESP) qui comporte quatorze membres, présidents d’associations et de fédérations de l’enseignement supérieur privés et personnalités nommés pour une durée de trois ans, a pour mission d’examiner les demandes des établissements et de formuler un avis consultatif au gouvernement qui pourra décider d’accorder ou non le statut.

Pour évaluer le sens de l’intérêt général et la mission sociale de telle ou telle école, il s’appuie, entre autres, sur les évaluations du Hceres (Haut conseil de l’évaluation de la recherche et de l’enseignement supérieur), de la CTI, ou la CEFDG.

Rappelons qu’à l’occasion de la signature des premiers contrats il y avait eu un audit indépendant « de lucrativité » qui permettait d’attester qu’une école n’était pas à but lucratif.

Dans un premier temps, le CCESP s’attache en priorité à rendre des avis sur les écoles contractualisées pour leur permettre de renouveler leur contrat mais toutes les écoles associatives pourront, à terme, postuler pour le statut d’EESPIG.

O. R : Donc le principal but de l’EESPIG c’est de permettre de recevoir des subventions de l’État ?

J-M. N : C’est une condition nécessaire mais pas suffisante. L’EESPIG est un label pas une certification. Heureusement, une école qui n’en bénéficiera pourra parfaitement exercer ses missions.

La mise en avant de l’intérêt général de nos établissements doit renforcer la reconnaissance des missions de service public qu’elles assument, au même titre que les écoles publiques. Il doit permettre de changer le regard porté par certains sur la qualité de notre modèle économique et social. Cela me semble d’autant plus important aujourd’hui quand nous constatons les difficultés, voire les obstacles, auxquels sont confrontées nos écoles en mal de reconnaissance lorsqu’il s’agit d’intégrer certaines Comue (communauté d’universités et d’établissements) par exemple. Labellisées EESPIG, les autres membres des Comue devraient être incités à favoriser leur intégration.

Un traitement plus équitable des établissements ainsi labélisés devrait aussi conduire à mieux les protéger dans l’avenir en évitant les baisses brutales et successives de financement public qu’elles ont subies alors que le budget de l’enseignement supérieur était, lui, en augmentation.

Je ne souhaite pas que ce label divise, notre monde de l’enseignement supérieur l’est suffisamment ! Il est temps de partager l’idée que nous œuvrons tous pour former notre jeunesse, que nos concurrences ne se trouvent pas au sein de la communauté éducative nationale et que les enjeux sont ailleurs. Ce qui doit nous préoccuper c’est la défense de notre modèle de liberté et de qualité vis-à-vis d’opérateurs de formation internationaux qui disposent d’une forte puissance financière.

O. R : Mais cela n’enlève rien au fait que la plupart des établissements d’enseignement supérieur connaissent de vraies difficultés financières !

J-M. N : Nous devons changer de paradigme pour accéder à de nouveaux droits et de nouvelles ressources. Il est urgent que nos établissements retrouvent le droit de délivrer le diplôme national de master (DNM) car il nous faut capter de nouveaux marchés, en particulier à l’international. Nos établissements doivent pouvoir mieux valoriser leur recherche et pour cela, les coopérations public-privé sont nécessaires. Il faut que nous tentions de prendre notre place sur le marché de la formation continue même si nous avons bien conscience des difficultés que nous devrons affronter. Ces actions nécessitent de mobiliser des ressources financières que nous avons en partie perdues au cours de ces dernières années. Cette situation économique est aggravée par les conséquences de la réforme de la taxe d’apprentissage qui touchent l’ensemble des établissements publics et privés.

Quand on nous dit qu’il suffit d’augmenter les droits de scolarité, il faut bien avoir conscience que 40% de nos étudiants financent seuls leurs études par un job ou un emprunt. Notre société subit des prélèvements fiscaux et sociaux lourds et toute augmentation des droits entraine une levée de bouclier.

Nos écoles veulent préserver leur engagement social, favoriser la diversité, accompagner la réussite de tous vers l’emploi. En toute responsabilité, elles ne peuvent pas reporter sur des familles déjà ponctionnées le prix de leurs difficultés.

O. R : Parlons de l’UGEI. Qu’apporte-t-elle à ses adhérents de différent que la CGE ou la Cdefi ?

J-M. N : Ces deux conférences sont des espaces macroscopiques qui défendent les intérêts corporatistes de leurs membres. Elles jouent un rôle essentiel même si parfois on peut regretter l’insuffisance de leur coopération. Il est essentiel que les grandes écoles, dont le modèle abouti suscite quelques convoitises, restent mobilisées face aux fortes transformations de la société. Mais toutes les réponses ne se trouvent pas dans leurs actions. Nos écoles sont souvent isolées, ont besoin de d’échanger ou de confronter leur vision, rechercher des solidarités, parfois inventer des synergies. Elles ont besoin de se retrouver dans un espace de confiance fondé sur des valeurs partagées. Cet espace, l’UGEI (ou la Fesic) le propose. Il est fondé sur une vision partagée de nos missions au service d’un enseignement républicain, d’excellence, innovant, d’humaniste et laïque. Bien sûr les relations interpersonnelles sont importantes et favorisent la confiance. Nous travaillons ensemble et avons créé des groupes de travail pour partager nos expériences et progresser ensemble. Les thèmes y sont très variés : l’apprentissage, l’hybridation des parcours, les relations sociales, les nouvelles pédagogies, ou encore les achats en commun, par exemple.

Je souhaiterais que nous puissions créer une revue de recherche à vocation internationale pour valoriser la dimension scientifique de nos écoles.

Ce lieu de rencontre favorise aussi les initiatives, l’EPF, le Cesi, le GIM et le Syntec ingénierie se sont associés pour créer l’Institut de la ré industrialisation.

O. R : Parlons de l’EPF qui est aujourd’hui l’une des écoles d’ingénieurs les plus internationales.

J-M. N : Nous sommes effectivement, depuis plus de 25 ans, l’une des écoles les plus engagées dans la coopération internationales. L’international c’est un semestre obligatoire à l’étranger, des cursus entièrement déclinés en anglais après un bachelor, plusieurs doubles diplômes actifs, un diplôme conjoint franco-allemand avec la Hochschule de Munich, une formation franco-québécoise et cette année plusieurs nouveaux accords qui permettent l’accès à des diplômes anglais de spécialité après nos filières, la possibilité pour quelques élèves talentueux d’intégrer le master de Georgia Tech, un cursus très original intégrant un enseignement de FLE et de mathématiques réservé à des lycéens chinois destinés à intégrer l’EPF en 1ere année.

Outre une deuxième langue obligatoire, nous insistons pour que nos étudiants maitrisent la langue anglaise. En 2014, le score moyen des élèves en fin de 4ème était supérieur à 890 points au TOEIC !

Nous accueillons plus de 15% d’élèves étrangers et développons depuis 15 ans avec l’ESTP un programme FLE qui réunit chaque année près de 600 étudiants. Enfin je rappelle que nous avons ouvert une classe prépa au Burkina Faso pour promouvoir l’accès des jeunes filles aux sciences et technologie. L’esprit EPF est bien vivant !

O. R : Pensez-vous développer un bachelor un jour ?

J-M. N : La plupart des écoles d’ingénieurs s’intéressent aujourd’hui à ce marché. Pour notre part, nous envisageons d’innover avec une école de management également membre de l’UGEI, l’ICD, en proposant, dès la rentrée 2016, une formation pour former des professionnels totalement hybrides qui sauront intégrer les sciences et techniques, le management et le marketing pour accompagner les entreprises dans la distribution de biens et services technologiques. Pour dévoiler quelques secrets de fabrication, dès la première année, les étudiants seront amenés à suivre un stage de recherche, la langue anglaise sera omniprésente dans la formation, la dernière année pourrait être réalisée dans le cadre d’un contrat de professionnalisation.

 

Les neuf premiers EESPIG

Le 23 juillet a été publiée la liste des neuf premiers établissements d’enseignement supérieur privés ayant obtenu «la qualification d’établissement d’enseignement supérieur privé d’intérêt général à compter de la date de publication du présent arrêté et jusqu’au 31 décembre 2019 ». Il s’agit de :

  • École de hautes études commerciales du Nord (Edhec) ;
  • École des hautes études d’ingénieurs (HEI), Institut supérieur du numérique et de l’électronique de Lille (Isen-Lille) et Institut supérieur d’agriculture (Isa) ;
  • École internationale des sciences du traitement de l’information (EISTI) ;
  • École spéciale des travaux publics, du bâtiment et de l’industrie (ESTP) ;
  • École supérieure d’ingénieurs des travaux de la construction de Cachan (ESITC) ;
  • École supérieure des sciences économiques et commerciales (Essec) ;
  • Institut catholique de Lille (ICL) ;
  • Institut d’économie scientifique et de gestion (Ieseg) ;
  • Skema Business School.

 

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Olivier Rollot est directeur du pôle Information & Data de HEADway Advisory depuis 2012. Il est rédacteur en chef de "l’Essentiel du Sup" (newsletter hebdomadaire), de "l’Essentiel Prépas" (webzine mensuel) et de "Espace Prépas". Ancien directeur de la rédaction de l’Etudiant, ancien rédacteur en chef du Monde Etudiant, Olivier Rollot est également l'un des experts français de la Génération Y à laquelle il a consacré un livre : "La Génération Y" (PUF, 2012).

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