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Comment faire rimer métavers et enseignement supérieur

Des étudiants présents au travers de leur avatar sur le campus virtuel de Neoma

Une école et un premier site dédiés à l’enseignement et au développement du métavers dans l’enseignement supérieur sont nés cette année. Si personne ne doute vraiment du développement de ces univers virtuels qui vont nous permettre, dotés de nos avatars et de nos casques de réalité virtuelle, de plonger dans une sorte d’Internet géant, les responsables de l’enseignement supérieur s’interrogent sur l’impact qu’auront les métavers sur leur activité. D’autant que des études, comme celle de PWC aux Etats-Unis, prouvent l’efficacité de la réalité virtuell en formation continue. On le sait : ce qui fonctionne en formation continue ne fonctionne pas forcément en formation initiale. Les primo-étudiants ont beaucoup plus besoin d’interactions réelles que leurs ainés mais l’étude de PWC n’en démontre pas moins l’efficacité de nouveaux dispositifs immersifs. « Nous construisons une école qui n’a plus rien à voir avec ce qu’elle était avant le Covid. La question du métavers est une illustration de cette nouvelle vision », résume Nathalie Hector, directrice de l’innovation et de la learner experience de Skema BS lors des rencontres EdTech organisées cette semaine par EdTech France et la Conférence des directeurs des écoles françaises de management (Cdefm).

La VR : une solution particulièrement efficace en formation continue ? En 2020 PWC a étudié l’efficacité d’un apprentissage en réalité virtuelle (VR) en formation continue. Des employés sélectionnés parmi un groupe de nouveaux managers dans 12 sites aux États-Unis ont suivi la même formation – conçue pour aborder le leadership inclusif – dans l’une des trois modalités d’apprentissage : salle de classe, e-learn et v-learn (VR). L’enquête a démontré que la réalité virtuelle peut aider les entreprises à former leurs employés plus rapidement. Quatre fois plus vite même ! Ce qui a pris deux heures à apprendre en classe pourrait en effet être appris en seulement 30 minutes en utilisant la réalité virtuelle. Lorsque vous tenez compte du temps supplémentaire nécessaire aux apprenants pour la première fois pour réviser, être équipés et apprendre à utiliser le casque VR, les apprenants en V terminent toujours la formation trois fois plus rapidement que les apprenants en classe. Et ce chiffre ne représente évidemment que le temps réellement passé en classe, pas le temps supplémentaire nécessaire pour se rendre à la salle de classe elle-même.

De plus selon l’étude de PWC « parce qu’elle offre la possibilité de pratiquer dans un environnement immersif et à faible stress, la formation basée sur la réalité virtuelle se traduit par des niveaux de confiance plus élevés et une meilleure capacité à appliquer réellement l’apprentissage au travail ». Les apprenants formés avec la réalité virtuelle étaient ainsi 40 % plus confiants pour agir sur ce qu’ils avaient appris après la formation par rapport à la formation en classe et 35 % par rapport à la formation en ligne. De plus les employés formés en réalité virtuelle étaient jusqu’à quatre fois plus concentrés pendant la formation que leurs pairs apprenants en ligne et 1,5 fois plus concentrés que leurs collègues en classe.

 

Apprendre autrement. En France, la société Simango développe des modules de formation de santé immersifs en réalité virtuelle ou en mobile-learning pour former des soignants dans un hôpital virtuel. Rassurez-vous, il ne s’agit pas d’apprendre à opérer un patient mais plus simplement de se confronter à des situations usuelles. Dans la « chambre des erreurs » l’apprenant entre ainsi dans un service de pneumologie, dans la chambre d’un patient arrivé dans le service depuis 24h, suite à 7 jours d’une hospitalisation en soins intensifs liée à une infection à SARS COV-2. Il lui faut y déceler les 10 erreurs présentes sur le thème de l’hygiène. « Tout l’enjeu est de créer des connexions entre les différents espaces: faire une formation en RV, avoir un débriefing personnalisé sur ordinateur, des fiches récapitulatives sur smartphone, obtenir un badge numérique… Nous allons progressivement ajouter des briques collaboratives, proposer des scénarios en multijoueur. Le métavers n’est pas pour demain, mais il faut informer que nous allons tous vers ça. assure dix ans, le casque de réalité virtuelle sera aussi anodin qu’un smartphone ! », explique le directeur de Simango, Vincent-Dozhwal Bagot médecin de santé publique de formation sur le site de CentreInffo.

La solution de formation des soignants Simango

Plus largement la réalité virtuelle (ou augmentée) peut permettre de conserver des compétences qui se perdent à mesure que les techniciens les plus expérimentés partent à la retraite. Les déboires de construction des EPR sont là pour démontrer : on manque tout simplement en France de techniciens de soudure ! Dans un livre blanc l’entreprise spécialisée dans la mutation numérique des entreprises, PTC, explique ainsi comment la réalité augmentée « accélère la formation et le transfert des connaissances pour les travailleurs de première ligne ». Dans le même esprit JENII, le projet d’Arts et Métiers de formation à distance pour l’industrie du futur a été fondé sur des environnements immersifs et collaboratifs bâtis autour de jumeaux numériques de systèmes industriels réels. « JENII permet une interaction avec le réel industriel au travers d’un casque de réalité virtuelle. Dans sa version optimisée, le jumeau numérique développé dans le cadre du projet offrira une représentation en 3D réaliste sur le plan visuel, exacte sur le plan physique et synchrone sur le plan fonctionnel. La mise en situation sera donc similaire à la réalité ,» explique Xavier Kestelyn, directeur général adjoint d’Arts et Métiers, en charge des formations.

L’enseignement supérieur français passe au métavers. Kwark Education, solution EdTech qui permet aux établissements de communiquer, orienter, digitaliser, former et certifier, lancera le tout premier métavers éducatif ouvert en septembre 2022 : MetaKwark.  L’ESC Pau Business School, le Groupe MédiaSchool ou encore le Réseau GES / Eductive sont les premiers à s’y investir et il compterait déjà 15 campus en cours de construction, représentant plus de 180 000 apprenants. Cet univers virtuel 3D et immersif devrait permettre aux établissements et aux entreprises d’« accroitre l’apprentissage, les interactions sociales et économiques ». Dès septembre 2022, chaque établissement membre pourra ainsi bénéficier d’un campus dédié, personnalisé et interconnecté comprenant notamment des espaces communs de rencontre. Ils seront alors en mesure de proposer des masterclass, conférences, JPO, job datings, travaux pratiques notamment en groupe, et une multitude d’usages synchrones ou asynchrones.

Le métavers déjà fait ! peut-on répliquer chez Neoma qui a monté en 2020 sur campus virtuel et remporté pour sa création le prix « Best Innovation Strategy 2022 » de l’AMBA (Association of Masters of Business Administration). « Notre campus n’est pas tout à fait un métavers dans la mesure où il n’est pas nécessaire de porter un casque de réalité virtuelle pour s’y déplacer », concède Alain Goudey, le directeur de la Transformation digitale de Neoma. Partie intégrante de la plateforme Laval Virtual World, le campus virtuel de NEOMA rassemble les espaces et les usages traditionnels d’un campus physique. L’objectif ? Permettre aux étudiants munis de leurs avatars – qui restent très proches de la réalité, on ne se déguise pas ici en dinosaures ou en Wonder Woman – l’interaction au sein d’un vrai campus pour garantir une expérience académique et étudiante la plus riche et complète possible, même à distance. Et sans problème de connexions. « La plateforme peut accueillir jusqu’à 1300 étudiants en même temps équipés de n’importe quel ordinateur », ajoute Alain Goudey qui insiste : « Cela ne remplace en aucun cas le présentiel mais cela le complète. Et surtout cela les préparer à un environnement professionnel dans lequel les outils numériques sont de plus en plus utilisés. Miro pour la créativité, Wooclap pour l’interactivité, etc. ».

De nouveaux métiers, de nouvelles formations. Les métavers vont générer de nouvelles attentes de consommateurs, déjà prêts à payer des milliers d’euros pour que leurs personnages arborent des NFT exclusifs dans les jeux. La ligne sportive Linea Rossa de Prada propose déjà à la vente des tenues et équipements virtuels (skis, motoneige ou fat bike) – les skins – sur le jeu vidéo de sports extrêmes Riders Republic. Gucci comme Carrefour viennent ainsi d’acheter des terrains sur la plateforme digitale dédiée au jeu vidéo The Sandbox pour y créer des « expériences immersives ». Carrefour pourrait y créer un supermarché de skins pour ses clients, ou une expérience ludique comme dans Fortnite. L’autre enjeu de l’enseignement supérieur est donc de former aux nouveaux métiers que le développement des univers virtuel va générer.

Une école dédiée, le Metaverse College, vient même d’être créée par le Collège de Paris à La Défense. Elle propose des formations du niveau bac+3 à bac+5 en lien avec l’univers du métavers, des NFT (non-fungible token) ou encore des cryptomonnaies. Sans donner lieu à la création d’écoles dédiées, bien d’autres formations suivent, notamment dans l’univers du luxe et de la mode qui sont premiers à s’y investir.

Pour quels projets ? Sur quelle plateforme ? Comment les établissements d’enseignement supérieur peuvent-ils s’intégrer dans ce mouvement ? Si la dimension communication parait évidente les métavers peuvent-ils également être des espaces d’apprentissage ? Il y a quelques années l’EM Normandie avait tenté, pendant deux ans, une expérience de formation sur l’ancêtre des métavers actuels, Second Life. Toujours en ligne le site propose aujourd’hui des expériences immersives sans VR mais sans aucun lien avec l’éducation. Avec de nouvelles ressources informatiques, les métavers devraient permettre de générer de nouveaux usages. Conçu avant la pandémie le campus virtuel de Neoma aura été une précieuse aide pour la traverser. Aujourd’hui les étudiants aiment par exemple se réunir près de leur plage pour travailler ensemble. « Le vrai sujet ce n’est pas la plateforme mais tout ce qu’il y a à concevoir autour en termes de pédagogies pour guider les étudiants. C’est un espace hybride entre un outil numérique pur et dur type Teams et un espace de la vraie vie » insiste Alain Goudey, pour lequel « structurellement Neoma a besoin de créer une unité de lieu pour tous ses professeurs, ses étudiants qui suivent des cours à distance partout dans le monde ».

L’association France Immersive Learning réunit justement des grands acteurs de l’enseignement supérieur comme le Conservatoire national des arts et métiers (Cnam), l’Institut Mines Télécom (IMT) ou encore l’université de Nantes aux côtés d’entreprises comme Orange ou Natexis. Leur but est de « contribuer à structurer une filière d’excellence en immersive learning » tout en concourant à « l’établissement d’un modèle économique profitable à tous ». Parce que, vous l’avez noté, les plateformes les plus citées aujourd’hui sont américaines. En attendant la plateforme révolutionnaire que nous promet Facebook, ce sont les grands acteurs américains du jeu qui captent le marché émergent des métavers. « Il ne faut pas tout laisser aux Gafam. Il faut promouvoir une solution européenne. Quelle maîtrise des données garantissons-nous aux utilisateurs alors que les avatars sont de véritables prolongements numériques de notre propre identité », demande Alain Goudey, qui « étudie l’idée pour Neoma de s’implanter sur un métavers ».

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Olivier Rollot est directeur du pôle Information & Data de HEADway Advisory depuis 2012. Il est rédacteur en chef de "l’Essentiel du Sup" (newsletter hebdomadaire), de "l’Essentiel Prépas" (webzine mensuel) et de "Espace Prépas". Ancien directeur de la rédaction de l’Etudiant, ancien rédacteur en chef du Monde Etudiant, Olivier Rollot est également l'un des experts français de la Génération Y à laquelle il a consacré un livre : "La Génération Y" (PUF, 2012).

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