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« Créons un système cohérent en 3 ans après le bac pour former des cadres intermédiaires » : Laurent Batsch


A la tête de l’université Paris-Dauphine depuis 2007 Laurent Batsch va passer la main dans quelques semaines à une nouvelle présidence. L’occasion de revenir sur les spécificités d’une université qui est si différente des autres qu’elle est aujourd’hui adhérente à la Conférence des grandes écoles en plus de la Conférence des présidents d’université.

Olivier Rollot : Dans une tribune parue récemment vous préconisez la création d’une « licence polytechnique » pour concurrencer les bachelors. Qu’en attendez-vous exactement ?

Laurent Batsch : Nous avons aujourd’hui près de 500 000 étudiants dans des cycles de niveau bac+2 (BTS, DUT, CPGE) quand il faudrait depuis longtemps proposer d’aller à bac+3. Une licence professionnelle cela peut être un bon complément mais elles sont souvent trop spécialisées. Ce que nous proposons c’est de créer un système cohérent en 3 ans après le bac pour former des cadres intermédiaires. Il s’agit de créer une voie de réussite étudiante et d’ouverture sociale, dont l’accès ne serait pas plus sélectif que celui des IUT aujourd’hui.

Il y aurait alors deux types de licence complètes : l’une « polytechnique », l’autre « préparatoire » pour donner aux universités les mêmes armes qu’aux grandes écoles. Il suffirait d’ailleurs de décider que les prépas sont dorénavant dans les licences. Il faudrait une vraie réforme des premiers cycles et faire cesser cette sélection par défaut.

O. R : Que pensez-vous de l’accord qui vient d’être conclu entre le gouvernement, les organisations syndicales et la Conférence des présidents d’université pour permettre la sélection en master ?

L. B : Paris-Dauphine, par son statut de grand établissement n’est pas directement concerné. Mais, à mon sens, cela ne résout pas tout à fait les problèmes pour l’ensemble des universités : d’un côté on permet de refuser un étudiant en master mais de l’autre il doit être accepté si le rectorat le demande. Cela pourrait conduire à la création de masters de niveaux moindres qui récupéreront les étudiants qui n’ont pas été acceptés ailleurs.

O. R : Mais le droit que vous avez de sélectionner ne vous conduit-il pas à être une université de l’élite ?

L. B : Pas seulement, car notre programme « égalité des chances » est très ambitieux et ouvre le système.10% de nos promotions de licence sont aujourd’hui issues des Cordées de la réussite que nous organisons. Ce qui signifie que nous ne nous contentons pas d’envoyer des étudiants soutenir des lycéens sans les prendre ensuite mais que nous les recrutons vraiment. Nous nous appuyons pour cela sur un réseau de 120 professeurs de lycée rémunérés par notre fondation qui donnent deux à trois heures de cours supplémentaires par semaine à ceux qui ont le plus de potentiel. Cela permet aussi que ces élèves restent dans leurs établissements d’origine.

Cette année ce sont 61 de nos étudiants de première année de licence qui sont issus de ce dispositif sans que nous ayons eu à recourir à un dispositif de discrimination positive. S’ils n’ont pas le niveau en maths, nous ne les prenons pas. Et parce que nous ne leur faisons pas de cadeau à l’entrée ils réussissent aussi bien que les autres étudiants par la suite.

O. R : Vous proposez à ces étudiants d’être soutenus par un tuteur étudiant et un alumni.

L. B : Ils peuvent les aider dans leur cursus ou à trouver un stage. Récemment nous avons l’exemple de cette étudiante, à laquelle nous avons accordé une bourse de mobilité internationale pour partir en échange à New York. Parce qu’elle est également boxeuse, elle rencontre via son club une entreprise qui la prend en stage là-bas. A son retour l’alumni qui la coache, et a créé le site NeverEatAlone, la soutient. Aujourd’hui cette étudiante veut également créer son entreprise. Selon ses propres paroles « la boxe et Dauphine m’ont sauvée ».

O. R : Pour les aider à s’intégrer, vous proposez des programmes de soutien à tous vos étudiants dès la première année et même des logements.

L. B : 800 étudiants suivent le programme « Trajectoires ». Ce programme de trois ans vise à lutter contre le stress, gérer l’expression orale et le relationnel et débouche sur un travail d’orientation ou de rédaction de CV pour conduire les étudiants à l’emploi. Quant aux logements nous venons d’en construire 55 avec l’aide de notre fondation juste derrière l’Arche de La Défense. On pense maintenant en construire 190 autres de façon à aider à se loger des étudiants étrangers ou venus de province qui ont du mal à s’installer à Paris. Cela nous semble faire partie de nos missions. Proposer des logements est essentiel pour attirer les étudiants français comme étrangers qui sont dans une logique de campus.

O. R : Sciences Po lance son « Ecole de management et d’innovation ». Un nouveau concurrent pour Paris-Dauphine ?

L. B : Pas vraiment, nous sommes très différents de Sciences Po. Par la taille tout d’abord, Science Po a 220 professeurs permanents quand nous en avons 350 avec plus de 160 doctorants-enseignants et par nos programmes déjà très reconnus dans le monde de l’entreprise. Nous avons choisi de travailler en étroite relation avec les autres établissements de notre Comue, Paris Sciences et Lettres, pour nous donner les moyens de réussir et d’avoir une visibilité de haut niveau à l’international. L’excellence de PSL contribue à notre différence.

O. R : Justement un classement virtuel réalisé par des universitaires français et espagnols indique que la place de Paris Sciences et Lettres dans le fameux « Classement de Shangaï » serait 23ème. C’est crédible selon vous ?

L. B : Bien sûr et nous serions même 18ème si on y incluait l’Institut Pasteur. C’est pourquoi nous sensibilisons tous nos professeurs à signer « PSL » l’ensemble de leurs travaux. Le classement de Shangaï doit bien intégrer que nous sommes aujourd’hui une seule et même entité.

O. R : Paris Dauphine est également implantée à l’étranger. Récemment à Madrid et le 18 octobre à Casablanca en plus de Tunis.

L. B : Nous nous installons effectivement dans le Technopark de Casablanca avec 300 m2 qui seront dédiés à la formation continue. Paris – Dauphine a traditionnellement un flux important d’étudiants marocains et un groupe de diplômés très important, on a donc un lien très fort avec le Maroc. Casablanca tout comme Tunis est une porte ouverte sur l’Afrique subsaharienne, nous avons une stratégie de long terme. A Casablanca, nous proposerons 7 diplômes, dont « principe et pratique de la finance islamique » ou « systèmes d’information de l’entreprise étendue », que nous délivrons déjà à Paris. Nous espérons y accueillir une centaine d’étudiants Marocains mais aussi Africains. Ce sera différent de la Tunisie où nous avons commencé par lancer des licences de formation initiale. Nous recevons également 130 étudiants à Londres, essentiellement issus des lycées français à l’étranger mais aussi Parisiens. A Madrid nous sommes installés sur le campus de l’université Carlos Tiercero pour y délivrer le diplôme de licence.

O. R : Pour obtenir les accréditations internationales – Dauphine est accrédité Equis – et, plus largement, pour être visible à l’international il faut recruter des professeurs étrangers. En avez-vous toujours les moyens financiers ?

L. B : Les professeurs recrutés à l’international font souvent l’objet du statut de contractuel qui doit être accepté par le corps professoral. Mais l’aspect financier n’est pas la priorité pour la majeure partie d’entre eux, l’important c’est d’abord d’assurer la visibilité des travaux de recherche et de donner les moyens de les déployer : c’est ce que nous essayons de faire à Paris-Dauphine.

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Olivier Rollot est directeur du pôle Information & Data de HEADway Advisory depuis 2012. Il est rédacteur en chef de "l’Essentiel du Sup" (newsletter hebdomadaire), de "l’Essentiel Prépas" (webzine mensuel) et de "Espace Prépas". Ancien directeur de la rédaction de l’Etudiant, ancien rédacteur en chef du Monde Etudiant, Olivier Rollot est également l'un des experts français de la Génération Y à laquelle il a consacré un livre : "La Génération Y" (PUF, 2012).

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