ECOLES DE MANAGEMENT

Crise de gouvernance à emlyon

Tawhid Chtoui a annoncé le 6 janvier, lors d’une présentation télédiffusée aux 600 salariés du groupe, qu’il quittait la direction de emlyon BS. Arrivé à sa tête le 1er avril 2019 son règne n’aura duré que neuf mois. Certes ce n’est pas la première fois que pareille mésaventure survient à emlyon. En 2012 Philippe Courtier n’avait tenu que quelques mois à la tête de l’institution. Mais il venait de l’extérieur et d’une école d’ingénieurs (les Ponts) et n’avait pas forcément le profil de l’emploi. Au contraire Tawhid Chtioui est issu de emlyon, y a connu une belle réussite en développant son campus de Casablanca et est un très bon connaisseur de l’univers des business schools françaises après des expériences de direction au sein de Reims BS, l’ISC et plus récemment l’ICD. D’aucuns pouvaient gausser sur son jeune âge pour un tel poste – 41 ans – mais d’autres ont très bien réussi à son âge.

Un bilan contoversé

Tawhid Chtioui

S’il ne faisait pas l’unanimité pour lui, Tawhid Chtioui laissera aussi d’excellents souvenirs comme le soulignait le jour de son départ le site La Tribune Auvergne expliquant que « le représentant des salariés au conseil de surveillance, des élus du CSE (comité social et économique), ou du conseil de corporation des associations étudiantes, égrènent des témoignages dithyrambiques, qui mettent en exergue « sa capacité de dialogue », son « implication qui a assuré l’adhésion des différents corps de personnel et des étudiants », la qualité de « sa vision, de son management et de son dévouement ». » Sur son compte Linkedin les témoignages de soutien des personnels de emlyon sont également nombreux.

A l’autre extrémité de l’échiquier, et toujours selon La Tribune ses « détracteurs stigmatisent en revanche un exercice autocrate et « populiste » du pouvoir, le mépris des instances de gouvernance, un comportement « déloyal » à l’égard de son prédécesseur et « très dur » vis-à-vis de figures iconiques du corps professoral, une gestion dispendieuse, la volonté de bouleverser l’organigramme, la composition du comité de direction, et certains fondamentaux de l’établissement ».

Le passage à la SA

Le passage rapide de Tawhid Chtioui à la tête de emlyon – il était en poste depuis le 1er avril 2019 – aura d’abord été marqué par la prise de pouvoir du fonds d’investissement français Qualium. Pour la première fois une Grande école consulaire devenait ainsi un SA avec des actionnaires privés. Dans un entretien qu’il nous avait accordé en juin 2019 Tawhid Chtioui expliquait : « Sous l’impulsion de la CCI Lyon Métropole, nous avons souhaité transformer emlyon avec une gouvernance plus équilibrée. Avec une nouvelle dimension privée nous répondrons à nos besoins d’investissement et maintiendrons les équilibres financiers à long terme tout en affirmant notre mission centrée sur l’employabilité et en conservant notre excellence académique, nos standards d’accréditation, une marque forte, un impact sociétal et un ancrage local affirmé. C’est un modèle très différent d’une entreprise classique pour laquelle le profit est le sujet dominant ». 

Conflits en série

L’autre grand sujet aura été le départ du président de l’école, Bruno Bonnel, et de son directeur général, Bernard Belletante. Peu en phase avec le nouvel actionnariat, les deux « BB » sont partis successivement en septembre et octobre 2019. Le premier après avoir vertement critiqué le management de Tawhid Chtioui (lire Le Journal des Entreprises), le second plus discrètement mais non sans avoir fait savoir qu’il se sentait trahi alors qu’il pensait mener à bien le projet de construction du nouveau campus lyonnais de l’école pendant deux ans. Tawhid Chtioui aura également reçu un blâme de la Conférence des grandes écoles pour avoir recruté en admission sur titre des étudiants hors de toute procédure.

Et maintenant ?

Le départ de Tawhid Chtioui ne doit pas masquer la forêt de difficultés auxquelles est aujourd’hui confrontée emlyon. De gouvernance bien sûr mais surtout de modèle. Dans Challenges Kira Mitrofanoff explique que, « côté étudiants, la révolte gronde aussi. Certains ont l’impression d’être devenus des « vaches à lait  » pour attirer des fonds d’investissements » et qu’ils sont aussi surpris par un « emploi du temps très allégé en première année avec seulement quelques heures de cours obligatoires. « A plus de 14.500 euros l’année, ça fait cher »». Le tout alors que l’Edhec remontait à toute allure sur sa rivale historique dans les choix d’étudiants issus de classes préparatoires au sein du Sigem.

  • Avant d’intégrer emlyon BS Tawhid Chtioui avait présidé aux destinées de l’ICD (septembre 2014 à octobre 2016), été directeur national de l’Iseg BS, directeur exécutif de l’ISG, directeur délégué du programme Grande école et des MSc de l’Edhec et directeur des mastères spécialisés de Reims BS. Titulaire d’un doctorat en sciences de gestion de l’université de Paris-Dauphine et du « Leadership Development Program in Higher Education » de la Harvard Graduate School of Education, il est professeur de management de la performance.
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Olivier Rollot est directeur du pôle Information & Data de HEADway Advisory depuis 2012. Il est rédacteur en chef de "l’Essentiel du Sup" (newsletter hebdomadaire), de "l’Essentiel Prépas" (webzine mensuel) et de "Espace Prépas". Ancien directeur de la rédaction de l’Etudiant, ancien rédacteur en chef du Monde Etudiant, Olivier Rollot est également l'un des experts français de la Génération Y à laquelle il a consacré un livre : "La Génération Y" (PUF, 2012).

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