ALTERNANCE / FORMATION CONTINUE

Apprentissage : « Nous passons d’un système administré à un système très ouvert », entretien avec Jean-Philippe Leroy (Groupe IGS)

Depuis 1981 l’apprentissage est le fer de lance du Groupe IGS et de ses 18 écoles et centre de formations. Alors que la réforme de l’apprentissage s’apprête à entrer totalement en vigueur il était tout naturel d’aller à la rencontre de son directeur général adjoint en charge de l’alternance et de l’apprentissage, Jean-Philippe Leroy, pour faire le point.

Jean-Philippe Leroy

Olivier Rollot : La réforme de l’apprentissage voulue par le gouvernement entre peu à peu en vigueur. Elle devrait être totalement opérationnelle début 2020. En quoi change-t-elle radicalement le système actuel ?

Jean-Philippe Leroy : Depuis début 2019 nous passons d’un système administré à un système très ouvert qui va complétement se substituer au système actuel le 1er janvier 2020. Alors qu’il était jusqu’ici géré et mutualisé par les régions ce sont les branches professionnelles qui prennent la main De leur côté les centres de formation d’apprentis (CFA) vont être rémunérés pour chaque contrat signé et non plus globalement. De plus l’âge limite pour entrer en apprentissage est passé de 25 à 30 ans. Enfin n’importe quelle entreprise va pouvoir demain ouvrir CFA.

Les CFA devront seulement respecter un référentiel de compétences qui sera validé a posteriori par des organismes habilités par le Cofrac. Il leur suffit de se déclarer comme organisme de formation auprès de leur Directte (directions régionale des entreprises, de la concurrence, du travail et de l’emploi) en présentant un numéro UAI (unité administrative immatriculée) de référence.

Il reste à établir comment les 11 nouveaux opérateurs de compétences (OPCO) de branches, qui remplacent les 20 anciens OPCA, vont fonctionner et quels seront leurs ressources financières exactes. Les entreprises vont verser en effet maintenant leur taxe d’apprentissage inclue dans leur contribution alternance à l’Urssaf qui la redistribue ensuite aux OPCO.

O. R : Mais alors toutes les entreprises vont-elles ouvrir des CFA ? On parle de 600 ouvertures rien que pour 2019.

J-P. L : Ce n’est pas si facile. Il faut pouvoir délivrer un diplôme ou un certificat, avoir du personnel dédié, des salles, un environnement de travail, etc. Ce sont essentiellement les grandes entreprises qui sont susceptibles de le faire. Et le font déjà comme Adecco qui a déjà ouvert son propre CFA.

Aujourd’hui nous sommes sollicités par des grandes entreprises qui y réfléchissent tout en se demandant si elles ont vraiment intérêt à ouvrir leur propre CFA ou à utiliser des CFA externes comme prestataires.

Pour revenir aux 600 ouvertures de CFA que vous évoquez il ne s’agit que de simples déclarations. Il n’y a pas forcément d’activité derrière.

O. R : Pourquoi de nombreux CFA se disent-ils inquiets de l’application de la réforme ?

J-P. L : Parce qu’on passe d’un monde administré à un monde concurrentiel. Il y a encore deux ou trois ans il était interdit de parler de commercial dans les CFA. Qui ne devaient pas gagner d’argent et trouvaient pour beaucoup l’équilibre uniquement avec les « subventions d’équilibre » qu’apportaient les régions. Aujourd’hui, même si la plupart resteront comme nous des associations, ils peuvent être gérés comme des entreprises et même faire des bénéfices. Mais beaucoup risquent surtout de souffrir s’ils ne s’adaptent pas.

O. R : Le contexte semble très porteur pour les contrats d’apprentissage. Pensez-vous qu’ils vont prendre encore plus largement qu’aujourd’hui le pas sur les contrats de professionnalisation ? (pour mémoire il y a aujourd’hui en France un peu moins de 200 000 contrats de professionnalisation pour près de 460 000 d’apprentissage).

J-P. L : C’est clair que l’apprentissage a aujourd’hui l’avantage. Initialement les contrats avaient des objectifs différents. La professionnalisation devait plutôt permettre de compléter une formation l’initiale quand l’apprentissage représentait en soi une formation initiale et était plus contraignant pour l’employeur. Les frontières se sont peu à peu estompées et aujourd’hui les branches professionnelles gèrent les deux dispositifs. Le contrat d’apprentissage devrait donc progresser au détriment de la professionnalisation. Sans qu’on ait à les fusionner comme on l’avait évoqué au début des réflexions sur la réforme de l’alternance.

O. R : L’autre point de friction qui est apparu dans l’application de la réforme est celui du « coût contrat ». Après consultation des branches professionnelles, le nouvel organisme qui a été créé pour gérer l’ensemble des dispositifs de formation continue, France Compétences, a parfois signifié des verdicts significativement en-dessous des coûts pratiqués jusqu’ici. Notamment dans les Grandes écoles de management. Comment analysez-vous ces tensions ?

J-P. L : Les branches professionnelles ont pu proposer des tarifs trop bas, mais aussi trop haut, et ont été rappelées à l’ordre par France Compétences. Aujourd’hui les coûts contrat satisfont la plupart des acteurs. C’est en tout cas le cas du Groupe IGS.

Le vrai risque pour les CFA interprofessionnels est que les branches réduisent demain leur contribution à des contrats liés à des formations tertiaires pour se concentrer sur leur cœur de métier.

O. R : Parlons plus précisément du parcours d’un futur apprenti qui cherche à trouver une formation et une entreprise. Comment doit-il procéder ?

J-P. L : Les CFA ont une mission d’information. Cela fait 20 ans que nous le faisons à l’IGS. Ils doivent estimer si les prérequis du candidat sont adaptés à la formation envisagée. Si une formation ne leur correspond pas nous pouvons envisager une autre orientation. Nous sommes également là pour donner aux candidats des codes utiles pour réaliser leurs entretiens et trouver une entreprise. Leur apprendre à réaliser un CV ou à se comporter. Nous pouvons même leur faire faire du théâtre.

O. R : Vous aidez vos futurs étudiants à trouver une entreprise ? Et à y rester…

J-P. L : Nos services commerciaux sont chargés d’aller dans les entreprises pour voir quels postes sont disponibles et comment ils peuvent correspondre aux profils des jeunes qui nous sollicitent. Nous avons beaucoup plus de candidatures en BTS que de places alors que nous ne parvenons pas à répondre à la demande des entreprises à bac+5.

Ensuite nous mettons en œuvre tout un processus pour éviter les ruptures de contrat. Au niveau national 20% des contrats sont rompus. Dans le groupe IGS on est descendus à 4% Difficile de faire mieux.

Pour y parvenir, au-delà des conseils que nous donnons à nos alternants, nous adaptons nos formations aux besoins précis des entreprises et nous organisons régulièrement des réunions avec tuteurs et formateurs référents. Surtout dans les quatre ou cinq premiers mois qui sont cruciaux.

Nous formons également les maîtres d’apprentissage. C’est une mission qui donne du sens à leur travail mais prend également beaucoup de temps. C’est très compliqué pour une petite entreprise, un agent d’assurance par exemple, qui est à la fois le patron et le tuteur.

O. R : Quel calendrier faut-il respecter pour trouver un contrat d’apprentissage l’année suivante ?

J-P. L : Jusqu’à présent – si on excepte l’Ile-de-France qui autorisait des rentrées toute l’année – il n’y avait qu’une rentrée en septembre-octobre. Aujourd’hui nous pouvons  intégrer des apprenants toute l’année et c’est ce que nous essayons de faire sur nos 28 certifications professionnelles. Pour les diplômes nationaux, le ministère de l’Education s’est d‘ailleurs engagé à organiser plusieurs sessions de BTS pour répondre à la demande du ministère du Travail.

Si on prend l’exemple d’un élève de terminale c’est dès sa rentrée, dès septembre-octobre, qu’il peut commencer à se renseigner. Il peut passer des entretiens et se former dans les CFA aux techniques de recrutement. Cela permet également aux CFA de rechercher des postes qu’ils leur correspondent.

En janvier il sera temps de commencer à passer des entretiens dans des entreprises. Si les banques recrutent très tôt, dès mars-avril, il est encore possible de passer des entretiens jusqu’à la mi-novembre. Tout dépend de la façon dont opèrent les entreprises.

O. R : Il faut postuler sur Parcoursup ?

J-P. L : Cela dépend des formations et nous recevons également des candidatures en direct. Mais de toute façon les nos CFA sont tous présents sur Parcoursup quels que soient leurs formations.

O. R : Etre alternant c’est être salarié dans une entreprise. Cela demande donc de la maturité. Vous proposez des contrats dès le bac ?

J-P. L : Et même dès la seconde pour préparer des bacs professionnels. En tout 60% de nos étudiants sont en alternance dès le début de leur formation. Parfois il est plus simple de commencer par une année de formation « classique » mais ce n’est pas du tout notre objectif. Dans le groupe IGS tous les étudiants peuvent être en alternance à un moment ou un autre de leur scolarité.

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Olivier Rollot est directeur du pôle Information & Data de HEADway Advisory depuis 2012. Il est rédacteur en chef de "l’Essentiel du Sup" (newsletter hebdomadaire), de "l’Essentiel Prépas" (webzine mensuel) et de "Espace Prépas". Ancien directeur de la rédaction de l’Etudiant, ancien rédacteur en chef du Monde Etudiant, Olivier Rollot est également l'un des experts français de la Génération Y à laquelle il a consacré un livre : "La Génération Y" (PUF, 2012).

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