CLASSES PREPAS

Des colles en classe préparatoire et de leurs bienfaits

Par Sylvie Laurent

Professeure de Chaire supérieure (économie, sociologie et histoire du monde contemporain) au Lycée Hoche à Versailles

Une des particularités de la classe préparatoire c’est de permettre à chaque étudiant de passer des colles individuelles dans les matières des écrits des concours. Les colles sont un excellent outil pédagogique pour permettre les progrès des étudiants dans la maîtrise des connaissances mais aussi dans l’analyse d’une problématique, dans les capacités à évaluer la pertinence intellectuelle de ce que l’on expose, et dans l’aisance à l’oral.

Qu’est-ce qu’une colle ?

Une colle désigne un exercice oral, que l’étudiant prépare pendant quelques minutes avant de présenter le résultat de son travail devant son professeur, ou un intervenant extérieur.

Le rythme des colles dépend des matières : en mathématiques, en histoire ou en économie, elles ont lieu tous les quinze jours ; en lettres, en philosophie et en langues vivantes, il y en a une par mois. Les modalités de passage diffèrent quelque peu selon les matières.

  • En mathématiques trois étudiants, parfois deux seulement, traitent simultanément différentes parties d’un même exercice. Dans quelques classes préparatoires, il arrive que le sujet soit donné à l’avance, surtout en début de première année, mais le plus souvent l’exercice est traité en direct devant l’interrogateur. Cela peut sembler redoutable, mais c’est en réalité très profitable : quelle meilleure occasion de découvrir que telle ou telle façon d’aborder un problème mathématique est une fausse piste, que le théorème qui n’avait pas semblé si important que cela en cours se révèle stratégique, ou que le raisonnement qui avait paru si clair n’avait pas été bien compris ?
  • En langues, l’étudiant reçoit un texte écrit ou un document audio, le plus souvent un article de presse, et doit le présenter, en évitant la paraphrase, et en mettant en avant les enjeux d’actualité auxquels il correspond. La colle est donc l’occasion de vérifier que l’on comprend bien le document fourni, que l’on a retenu des notions de l’actualité et de la civilisation des pays dont on apprend la langue, et c’est aussi l’occasion de s’exprimer à l’oral, ce qui est fort important en langues, et pas toujours facile en cours, compte tenu des effectifs parfois nombreux.
  • Dans les autres matières, comme l’économie-sociologie-histoire, ou l’histoire-géographie-géopolitique, ou parfois la culture générale (les lettres et la philosophie) après un temps de préparation individuelle, chaque étudiant fait séparément un exposé sur le sujet qui lui a été proposé. L’objectif est de présenter rapidement le sujet, d’organiser une argumentation en construisant un plan cohérent et de conclure en une phrase ou deux. Même si le temps de préparation bref ne permet pas d’élaborer un exposé aussi bien structuré qu’une dissertation, le but est de s’entraîner à argumenter de façon précise, en mobilisant des connaissances pertinentes pour le sujet traité, à la manière de ce qui est demandé lors des épreuves écrites. Certaines colles de culture générale sont aussi l’occasion d’organiser des exercices de triptyques, où un étudiant expose un point de vue sur un sujet, un second approfondit la discussion à partir de ce qui a été dit, tandis que le troisième fait une synthèse de ce que les propos ont apporté : c’est un excellent exercice d’argumentation et d’écoute de l’autre.

Exigences du rythme de travail, plaisir de maîtriser ses connaissances

Pour un novice, une colle peut sembler un exercice intimidant, car se retrouver en tête-à-tête avec le professeur sur un sujet que l’on ne maîtrise pas toujours parfaitement provoque toujours quelques inquiétudes au début : l’étudiant sera-t-il à la hauteur des attentes de son interrogateur ? De fait, les colles font beaucoup pour inciter les étudiants à fournir un travail régulier, en évitant d’attendre les tout derniers jours précédents un exercice écrit pour se mettre à réviser certaines matières. Il faut se donner un objectif de révision précis, suivant un programme qui a été défini à l’avance, pour s’obliger à apprendre vraiment toutes les matières au fur et à mesure que les cours se déroulent.

On pourrait se demander pourquoi des étudiants de classe préparatoire sélectionnés pour leur sérieux et leur goût du travail scolaire ont besoin d’une motivation de la sorte pour garder un rythme de travail régulier. C’est que les étudiants de classe préparatoire sont des êtres humains normaux : la psychologie expérimentale nous a appris que, quelle que soit notre volonté et nos capacités intellectuelles, notre rationalité est imparfaite, et il est nécessaire d’avoir des stimulants extérieurs, pour suivre une discipline de travail rationnelle et efficace ; et même si la procrastination ne guette pas toujours l’élève de classe préparatoire, conscient qu’il ne doit pas travailler par à-coups, le danger d’être submergé par une matière, et de négliger les autres quelques temps est réel. La fréquence relativement élevée des passages en colle l’aide à maintenir un rythme d’apprentissage suffisamment régulier dans toutes les matières. C’est une exigence qui amène ensuite les anciens étudiants de classes préparatoires à présenter leur capacité à s’organiser dans leur travail comme une des premières qualités qu’ils ont développées en classe préparatoire. Ils en ont acquis bien d’autres, auxquelles les colles ont contribué, dont des capacités à rassembler rapidement des idées cohérentes sur un sujet, à synthétiser les points essentiels d’un débat et à s’exprimer avec aisance.

La colle est l’occasion de montrer que l’on est capable de raisonner correctement sur un sujet, et de présenter ce que l’on veut dire en cherchant à convaincre un interlocuteur du bien-fondé de ce que l’on avance. Comme les étudiants de classe préparatoire trouvent en général de l’intérêt aux matières qu’ils travaillent, la colle peut même devenir un moment très stimulant où l’on discute d’un sujet intéressant, avec un interlocuteur averti, en cherchant à approfondir la discussion sur le thème abordé. La classe préparatoire est un lieu où le plaisir d’acquérir des connaissances, de les approfondir, et de s’en servir pour exercer ses facultés de raisonnement est encore très largement partagé, même si l’obligation d’apprendre un grand nombre de notions dans le but de réussir un concours peut entacher parfois ce plaisir d’inquiétudes. Oui, il est possible d’être heureux d’apprendre, et oui, les colles peuvent être des moments intellectuellement plaisants.

Progresser grâce à ses erreurs

Malgré le plaisir légitime de réussir une belle prestation, à la suite de laquelle l’étudiant peut profiter du dialogue qui s’instaure en reprise pour approfondir un sujet qui l’a intéressé, les colles les plus profitables sont souvent celles que l’étudiant considère comme très difficiles, ou même ratées. C’est pourquoi il est souvent utile de solliciter un sujet sur un thème qui semble a priori difficile, soit pour se rassurer, soit pour disposer d’explications complémentaires sur des notions restées obscures.

Il arrive qu’un étudiant reçoive un sujet qui l’inquiète, car il est persuadé que ses connaissances sont insuffisantes pour le traiter : si ses craintes sont fondées, il sait qu’il doit améliorer sa méthode de travail, ce qui ne signifie pas – le plus souvent – intensifier son rythme de travail, mais plutôt veiller à ce que ses séances de travail soient bien dosées, régulières, et bien centrées sur l’essentiel. Mais souvent, si l’étudiant n’a pas négligé la matière dans laquelle il est interrogé, il découvre, en affrontant le sujet qu’il trouvait difficile, qu’il est capable de l’analyser, et qu’une fois son sang-froid retrouvé, il dispose de bon nombre d’idées tout à fait adaptées au sujet qu’il doit traiter. La colle est une excellente opportunité de remplacer la récitation automatique d’un certain nombre de notions apprises par cœur, sans que leur sens soit vraiment compris, par l’exposé réfléchi de connaissances que l’étudiant s’est appropriées : être confronté à un sujet que l’étudiant pense mal connaître l’oblige souvent à prendre le recul nécessaire pour bien juger de ce qu’il a vraiment compris et de ce qui est pertinent pour la question à traiter. Et lorsqu’il est capable de finalement livrer une prestation convenable sur un sujet qui lui a tout d’abord semblé difficile, c’est une excellente occasion de se convaincre qu’il dispose de bonnes capacités de raisonnement, et que ses connaissances sont moins médiocres qu’il ne le croyait.

Lorsque la colle se révèle finalement peu réussie, il peut être désagréable pour l’étudiant de découvrir qu’il n’a pas défini une problématique correcte pour le sujet proposé, ou qu’il n’a pas les connaissances nécessaires pour être capable de le traiter, ou qu’il a mal compris certains passages du cours, mais c’est bien plus enrichissant qu’un exercice parfaitement exécuté. Il est précieux de prendre conscience lors d’une colle que des erreurs et contresens ont été faits au moment de la prise de notes ou de l’apprentissage du cours ; c’est l’occasion de recevoir grâce à la reprise qui suit la colle des explications sur quelque chose qui n’était pas clair jusque-là. Le travail avec le colleur permet de recevoir des explications personnalisées qui tiennent compte au mieux des raisons pour lesquelles l’étudiant a mal compris certaines notions ou n’a pas su s’en servir à bon escient.

Si c’est l’enseignant en charge de la classe qui fait passer la colle, il peut découvrir que tel ou tel passage du cours a été curieusement interprété (et c’est parfois une opportunité de revenir sur un point précis en classe entière lors du cours suivant, s’il est vraisemblable que l’erreur d’interprétation a été partagée par plusieurs étudiants.) Lorsque la colle est confiée à un intervenant extérieur, cela oblige l’étudiant à être d’autant plus clair dans ses explications que son interlocuteur n’a pas assisté au cours, et ne pourra pas deviner à demi-mots les sous-entendus de l’exposé : cela amène donc aussi l’étudiant à savoir s’exprimer avec clarté sans pouvoir compter sur la référence sous-jacente au cours qu’il partage avec son professeur.

Acquérir de l’aisance à l’oral

Les professions d’encadrement auxquels se destinent les étudiants de classes préparatoires commerciales nécessitent non seulement une très bonne maîtrise de l’expression orale, mais aussi une bonne capacité à contrôler son expression corporelle, et une aisance dans les interactions avec autrui. Les colles sont une excellente opportunité de progresser dans tous ces domaines. En début de première année, les étudiants sont très souvent fort inquiets à l’idée de passer leur première colle, et ne se montrent alors pas du tout à l’aise à l’oral. Il n’est pas rare qu’ils fuient le regard de leur interlocuteur, ou fassent des bévues inhabituelles par manque d’habitude de l’exercice, même s’ils ont déjà passé des épreuves orales au moment de leur baccalauréat. Il suffit en général de quelques séances de colles pour que ces symptômes de malaise disparaissent et qu’ils comprennent qu’il n’y a rien de dangereux à discuter d’un sujet pendant quelques minutes pour vérifier qu’ils sont capables de traiter ce sujet.

Les temps de préparation sont courts, et ne leur permettent pas de rédiger intégralement l’exposé qu’ils présentent, donc ils doivent être capables de trouver comment formuler correctement leurs idées à partir du canevas qu’ils ont construits pendant leur préparation : ils acquièrent ainsi l’habitude de mobiliser rapidement le vocabulaire technique nécessaire à leur argumentation, et découvrent aussi qu’il est souvent plus facile de s’exprimer clairement lorsqu’on s’adresse à une personne présente devant soi, que lorsqu’on cherche une formulation savante pour un texte écrit . C’est l’occasion de se convaincre que la clarté d’expression est plus utile pour convaincre que les tournures alambiquées et obscures qu’ils sont parfois tenté de croire savantes quand ils écrivent.

Les colles des classes préparatoires jouent donc un rôle très important dans les progrès des étudiants, et contribuent sans doute à ce que le taux de réussite en classe préparatoire soit particulièrement élevé, puisque malgré quelques légendes issues des temps lointains, presque tous les étudiants admis en classe préparatoire commerciale après leur baccalauréat passent en deuxième année, et réussissent ensuite à intégrer une Grande Ecole de management, si c’est bien leur objectif. Le suivi régulier des étudiants lors des colles est fort précieux pour rendre les classes préparatoires très efficaces dans la réussite de leurs étudiants.

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Olivier Rollot est directeur du pôle Information & Data de HEADway Advisory depuis 2012. Il est rédacteur en chef de "l’Essentiel du Sup" (newsletter hebdomadaire), de "l’Essentiel Prépas" (webzine mensuel) et de "Espace Prépas". Ancien directeur de la rédaction de l’Etudiant, ancien rédacteur en chef du Monde Etudiant, Olivier Rollot est également l'un des experts français de la Génération Y à laquelle il a consacré un livre : "La Génération Y" (PUF, 2012).

1 Comment

  1. De manière générale, le principe pédagogique en classe préparatoire est très problématique : préparation d’un concours qui incite au bachotage, volume énorme de cours (le double de ce qui se pratique dans les meilleures universités mondiales), uniformité du programme imposée par le concours… Les colles sont une assez heureuse exception : faire travailler des étudiants sous le regard direct de professeurs ou d’étudiants avancés est très profitable. Oxford et Cambridge pratiquent les « tutorials » — une différence étant le fait que les tutorials ne sont pas accompagnés par des notes.

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