POLITIQUE DE L'ENSEIGNEMENT SUPERIEUR

Une rentrée à distance

Au début il y a d’abord eu celle « c’est une petite grippe, ça va passer ». Puis on a fermé les campus. On commence à les rouvrir cette semaine pour quelques personnels volontaires mais le vrai choc sera celui de la rentrée. Alors que la très grande majorité des établissement envisage des modalités adaptées et adaptables, fondées sur un large recours à l’enseignement à distance, nombreuses seront les universités dans le monde à suivre le même mouvement.

Enseignement à distance : un premier bilan. « La mise en place initiale a été inégale d’une formation à l’autre. Mais le challenge a été vite relevé grâce à la mobilisation des équipes, permettant à une véritable continuité pédagogique d’avoir lieu », assure Guillaume Gellé, chargé de la commission formation de la Conférence des présidents d’université (CPU et président de l’université de Reims dans Le Monde. Pris de court les professeurs ont en effet souvent réagi en ordre dispersé. Dans les universités mais aussi dans certaines Grandes écoles. Souvent les outils étaient déjà utilisés mais essentiellement par quelques pionniers qui ont transmis leur savoir en ordre disparate. Sans parler de l’abandon des expériences en laboratoires très dommageables pour beaucoup d’étudiants dans les disciplines scientifiques. Mais l’essentiel des cours a néanmoins pu être maintenu. En s’appuyant sur son « learning management system » l’ISAE-SUPAERO s’est réorganisée pour faire basculer ses enseignants et ses étudiants en télé-enseignement. D’après un sondage mené fin avril auprès des étudiants, 40% ont jugé que la bascule s’était passée sans aucun problème, 50% qu’elle s’était bien passée après résolution de quelques soucis initiaux. Mais 5 à 10 % rencontrent encore des soucis d’ordre technique, essentiellement liés à la qualité de leur connexion Internet.

Particulièrement bien préparées du fait de leurs implantations et contacts internationaux, les écoles de management ont été les premières à transférer leurs cours. « Avec l’expérience acquise en Chine – où il nous a fallu deux semaines pour basculer tous nos enseignements en ligne – nous avons ainsi pu aller beaucoup plus vite en France où ce fut du vendredi au lundi », confie ainsi le vice-dean de Skema, Patrice Houdayer quand Delphine Manceau, la directrice générale de Neoma rappelle que « l’enseignement à distance que nous pratiquons aujourd’hui a été imposé par les circonstances et n’est pas volontaire. De plus il n’est pas blended et n’associe pas le distanciel avec du présentiel ».

Les écoles d’ingénieurs ont suivi un mouvement comparable. Certaines y étaient bien préparées. C’est le cas de l’Icam qui a développé depuis deux ans un campus numérique en investissant dans des serveurs centraux qui permettent à tous ses étudiants d’avoir accès, quelles que soient les performances de leur propre ordinateur (processeurs, carte graphique, RAM), aux logiciels les plus pointus solutions de virtualisation les plus pointues comme Catia grâce à la virtualisation. « Même sur nos campus en Afrique, pour peu que la bande passante le permette, c’est possible pour un étudiant de travailler de chez lui », explique le directeur général de l’Icam, Jean-Michel Viot, dont l’école est présente à Douala au Cameroun comme à Recife au Brésil : « Tous ensemble les étudiants de ces campus mènent des projets multidisciplinaires à distance. Par équipes multicampus de huit à dix personnes ils échangent et construisent en visio-conférence. Ils voient ainsi émerger des solutions différentes, des approches différentes dans chaque culture ».

 Une rentrée qui ne sera vraiment pas comme les autres. Alors que les universités devraient conserver leurs dates traditionnelles nombreuses sont les Grandes écoles post prépas qui vont ouvrir leurs portes plus tard. Notamment parce qu’elles reçoivent des candidats issus de classes préparatoires dont les choix ne seront pas connus avant la mi-août. S’il n’y a pas de changements de dates pour les 2ème et 3ème années la rentrée de la première année du cycle ingénieur de l’ISAE-SUPAERO est par exemple repoussée d’une semaine à début septembre. Les écoles de management iront pour certaines plus loin. C’est le cas de Skema comme l’explique Patrice Houdayer : « Nos étudiants feront tous leur rentrée mi-septembre. A l’exception de ceux qui entrent en mastères spécialisés comme cela était déjà prévu. Nous actons ce décalage de deux semaines à la rentrée pour laisser aux candidats issus de classes préparatoires un mois entre leur affectation définitive et leur arrivé sur nos trois campus en France. Nous ne pouvions pas demander aux familles de trouver un logement en une seule semaine ». Même réflexion du côté de Neoma ou Audencia quand ESCP BS, l’ICN, Grenoble EM ou l’EM Normandie maintiennent une rentrée début septembre pour leurs programmes Grande école (PGE) comme bachelor.

Que les dates de rentrée changent ou pas, les modalités de cours vont évoluer. Sur le modèle de la PACES actuelle, Frédérique Vidal demande ainsi la généralisation des cours d’amphithéâtre en ligne. Les travaux dirigés seraient quant à eux dédoublés : une partie des étudiants les suivraient en présentiel, l’autre en ligne. A Sorbonne Université le président Jean Chambaz espère pourtant pouvoir accueillir les étudiants dans les campus en septembre prochain (lire l’article du Parisien) : « Le seul enseignement à distance est vain, ce n’est pas la solution, répond-il. Il doit être un élément complémentaire à l’enseignement présentiel. On n’apprend jamais mieux qu’en collectif. On a besoin du contact et des échanges avec les étudiants. L’enseignement doit être hybride ».

A ESCP BS plusieurs solutions sont envisagées en fonction de l’ouverture ou non des frontière et de la nécessité de distanciation sociale. Sera sans doute privilégiée une méthode « blended » avec des cours réalisés en présentiel tant que possible et retransmis en ligne en direct ou de manière asynchrone pour les étudiants qui ne pourraient se rendre sur les campus. Ainsi, les étudiants peuvent suivre les cours du campus dans lequel ils étaient inscrits soit pour l’année, soit pour le semestre.

Là comme ailleurs il va de toute façon falloir réduire le nombre de personnes par salle. ESCP envisage ainsi un système de rotation, pour permettre aux étudiants d’assister au plus de modules en présentiel possible. A ICN sa directrice, Florence Legros, anticipe ainsi : « Nous proposerons aux étudiants français de suivre les cours dans des groupes réduits. Avec une partie de e-learning. Nous n’aurons en effet pas assez de place pour recevoir tous les étudiants avec une distanciation suffisante. Sans parler du temps qu’il faudra pour faire entrer des étudiants dans les salles au goutte à goutte en cours. Ce n’est pas comme pour un concours où on peut leur demander de venir deux heures avant ».

Que faire pour les étudiants internationaux ? Dans l’hypothèse où les frontières extra-européennes resteraient fermées en septembre, les écoles travaillent à la création de cours 100% en ligne. A Kedge, l’ensemble des programmes a ainsi été adapté pour pouvoir accueillir les étudiants internationaux en format distanciel pour leurs cours et leurs examens sur le premier semestre. « Ils seront libres d’intégrer le campus à tout moment lorsque leur situation leur permettra. Sur deux MSc (Brand Marketing et International Business), les étudiants qui ne pourraient intégrer le programme qu’au deuxième semestre pourront débuter le cursus en janvier 2021 et le poursuivre en septembre avec la promotion suivante », explique le directeur des programmes de l’école, Pascal Vidal. Après inscription et paiement de l’acompte, les étudiants internationaux auront accès à des cours en ligne via des plateformes d’enseignement à distance comme Crossknowledge.

Comme l’analyse Minh-Hà Pham, la vice-présidente de PSL en charge des relations internationales, « dans beaucoup de cas la meilleure solution sera de repousser les arrivées des étudiants internationaux au deuxième semestre. Les étudiants pourraient ainsi d’abord suivre une partie de leurs cours en ligne. Des discussions sont en cours pour développer une telle offre et l’ouvrir aux étudiants internationaux ». A l’ISAE-SUPAERO les rentrées de la première année du Master of Aerospace Engineering et des mastères spécialisés sont ainsi décalées de quelques semaines à début octobre pour « faciliter l’arrivée et l’installation des nombreux étudiants en provenance de l’étranger ».

Dans le monde nombreuses sont aussi les universités à annoncer qu’elles resteront largement en ligne à la rentrée. C’est le cas d’une des plus grandes universités du monde, la California State University, dans laquelle de nombreux cours démarreront en ligne pour ses quelques 480 000 étudiants explique le chancellor de l’université, Timothy P. White, au site University Business : « Cette approche est nécessaire car un cours qui pourrait commencer en face-à-face devrait probablement être passé à un format virtuel au cours du trimestre si une deuxième vague grave de la pandémie se produit, comme c’est prévisible ».

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Olivier Rollot est directeur du pôle Information & Data de HEADway Advisory depuis 2012. Il est rédacteur en chef de "l’Essentiel du Sup" (newsletter hebdomadaire), de "l’Essentiel Prépas" (webzine mensuel) et de "Espace Prépas". Ancien directeur de la rédaction de l’Etudiant, ancien rédacteur en chef du Monde Etudiant, Olivier Rollot est également l'un des experts français de la Génération Y à laquelle il a consacré un livre : "La Génération Y" (PUF, 2012).

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