POLITIQUE DE L'ENSEIGNEMENT SUPERIEUR

« Face à la réforme de l’apprentissage, l’inquiétude est forte dans les écoles »

Parcoursup, regroupements d’établissements, apprentissage, action à la tête de la Conférence des grandes écoles (CGE)… en ce début 2018 la présidente de la CGE, Anne-Lucie Wack, fait le point sur les dossiers qui vont l’occuper cette année. Et ils sont nombreux !

Olivier Rollot : La Conférence des grandes écoles a participé à la concertation sur la création du tout nouveau Parcoursup qui va remplacer APB en 2018. Qu’en attendez-vous ?

Anne-Lucie Wack : L’objectif premier est d’améliorer la réussite en premier cycle universitaire grâce à la définition d’attendus, pour désengorger les filières universitaires sous tension et résorber l’échec lié à un déficit d’information ou à de mauvais choix d’orientation.

C’est un premier cap franchi pour une meilleure adéquation entre souhaits des étudiants et places offertes mais il reste encore beaucoup à faire, à la fois en amont du bac sur l’accompagnement de l’orientation, et en aval du bac sur l’attractivité des filières dans lesquelles les jeunes ne se projettent pas spontanément, alors qu’elles sont porteuses en termes d’emploi, notamment les filières numériques.

Côté Grandes écoles, notre principale inquiétude sur Parcoursup concernait les inscriptions en CPGE pour lesquelles nous souhaitions, avec les associations des classes prépas, que des vœux puissent être groupés, ce qui a été acté.

O.R : Et que pensez-vous de l’obligation, adoptée par un amendement, qui pourrait être faite à toutes les formations postbac possédant le visa du gouvernement de participer à Parcoursup ?

A-L. W : Un portail permettant aux étudiants d’avoir un panorama d’ensemble sur les parcours possibles présenterait un intérêt indéniable. Toutefois un certain nombre de formations postbac d’écoles de commerce, sciences po, ou art n’étaient pas accessibles sur APB. Elles avaient fait ce choix du fait de problèmes de compatibilité de calendriers, de communication avec les candidats, ou pour des questions de visibilité. Il faudrait donc d’abord arriver à résoudre ces questions pour que ces formations puissent être affichées sur un portail commun.

O. R : Plus encore que Parcoursup le dossier qui mobilise les grandes écoles – mais aussi les universités – pour 2018 est celui de la réforme de l’apprentissage. Qu’est-ce que représente aujourd’hui l’apprentissage dans les grandes écoles ?

A-L. W : L’apprentissage – qui est possible dans l’enseignement supérieur depuis la réforme Séguin en 1987-  a connu un développement massif ces dernières années dans les grandes écoles. Aujourd’hui 15% de nos diplômés le sont par la voie de l’apprentissage et notre objectif est de passer à 25% à horizon 2025.

C’est un vrai changement systémique et pour bien en comprendre l’enjeu il ne faut pas le réduire à une dimension économique : l’apprentissage est d’abord un modèle pédagogique innovant, fondé sur un lien fort à l’entreprise. C’est aussi une voie de réussite conduisant à une insertion professionnelle exceptionnelle avec un taux d’emploi de 90% trois à six mois après le diplôme- soit 3 points de mieux que par la voie « classique ». Et enfin c’est un levier puissant pour l’ouverture sociale comme le démontre l’étude que la CGE vient de mener auprès des 141 Grandes écoles de la CGE (sur les 223 écoles membres) ayant massivement développé l’apprentissage. L’analyse des classes socioprofessionnelles (CSP) des parents de nos apprentis montre par exemple que les enfants d’ouvriers sont deux fois plus présents que dans la voie classique.

L’apprentissage dans le supérieur est encore mal connu et son image encore trop souvent associée à des filières professionnelles infra-bac et à l’échec académique. Une communication appropriée et une meilleure information des familles permettraient de tirer davantage parti de ce levier tout en donnant une image d’excellence à l’ensemble de la filière infra et postbac.

Le campus de l’Ecole Centrale Nantes

O. R : Alors justement qu’est-ce que la réforme qu’on annonce, qui mobilise contre elles aussi bien la plupart des établissements d’enseignement supérieur que les régions ou les chambres de commerce et d’industrie, pourrait changer pour les grandes écoles ?

A-L. W : Aujourd’hui l’inquiétude est forte dans les écoles parce que l’enjeu est critique et qu’il est très difficile de savoir dans quel sens va tourner le vent. Les tensions sont palpables, dans un processus de concertation complexe lancé par le gouvernement, faisant intervenir une multitude d’acteurs – régions, organisations syndicales, organisations patronales, chambres consulaires, et trois ministères -Education, Enseignement supérieur et Travail.

Notre première inquiétude concerne les menaces sur la part « barème » (ou hors quota), qui représente actuellement 23% de la taxe d’apprentissage. Cette source de financement est cruciale dans le modèle économique des écoles. La supprimer ou la diminuer serait dévastateur à l’heure où les établissements doivent investir massivement pour la transformation pédagogique et numérique de leurs cursus et leur ouverture internationale et sociale. Suite à la loi sur la formation professionnelle de 2014, cette ressource avait déjà diminué de 37% en moyenne pour les écoles de la CGE. Une nouvelle baisse mettrait en péril de nombreuses écoles, ou pourrait conduire pour d’autres à des hausses de frais d’inscription. Et nous défendons également le principe de libre affectation par les entreprises.

Mais nos inquiétudes portent également sur la part « quota » directement affectée aux contrats d’apprentissage, dont le niveau de prise en charge pourrait baisser alors que certaines écoles n’arrivent déjà pas à couvrir le coût complet de leurs apprentis.

Plus généralement notre inquiétude concerne l’évolution des mécanismes de collecte et la gouvernance du système. Quelles que soient les options qui seront retenues in fine, il faut qu’elles placent l’intérêt des étudiants et des entreprises au cœur du système.

Le campus de l’Edhec à Lille

O. R : La CGE vient en tout cas de remporter une victoire sur les stages et l’année de césure qui seront conditionnés par moins d’heures de cours en face à face.

A-L. W : Le message que nous avons porté avec insistance ces deux dernières années pour obtenir des assouplissements a été en partie entendu et c’est une satisfaction de voir que le bon sens l’a emporté. Le stage est l’élément fondateur de nos cursus en grandes écoles, mettant l’étudiant au contact du monde professionnel tout au long de son cursus.  C‘est un fondement pédagogique qui fait de nos formations un véritable passeport pour l’emploi, et contribue au succès et à la réputation internationale des formations d’ingénieurs ou de manager à la française.

Or le problème de cette loi sur les stages est qu’elle encadre des réalités très différentes en confondant sous le même terme des stages ouvriers de quelques semaines ou des stages de fin d’études de 6 mois, qui ne demandent pas le même encadrement pédagogique. Cette loi dont l’intérêt était de limiter des abus dans certains secteurs a eu l’effet corollaire négatif de punir ceux qui étaient vertueux. La CGE a pu obtenir une augmentation du quota de 16 à 24 stagiaires par référent, l’allégement du processus de signature des conventions de cinq à trois signataires. Et une diminution des heures obligatoires de cours en présentiel, qui sont passées de 200 h à 50 heures, ce qui est un soulagement pour les années de césure quand elles sont faites sous forme de stages. Cela reste néanmoins parfois un casse-tête à organiser quand l’étudiant est loin de son école, voire à l’international. Il reste aussi le verrou de la limitation à 3 du nombre de stagiaires dans les entreprises de moins de 20 salariés, ce qui pénalise les start-ups.

O. R : Avez-vous le sentiment que les écoles sont mieux considérées aujourd’hui que sous le quinquennat précédent ?

A-L. W : Les dirigeants des grandes écoles réunis lors de notre dernière assemblée générale de la CGE en juin 2017 ont effectivement beaucoup apprécié d’entendre la ministre Frédérique Vidal déclarer que « les Grandes écoles font partie des chances de notre pays », en pointe sur de nombreux sujets. Les Grandes écoles sont un acteur de poids puisqu’elles forment plus de 40% des diplômés de grade master du pays, et grandes écoles et universités, doivent pouvoir travailler en bonne articulation pour la formation de notre jeunesse, c’est ce que la ministre a rappelé.

O. R : Qu’attendez-vous de l’expérimentation de nouvelles formes de regroupements territoriaux ?

A-L. W : Le gouvernement a ouvert, avec son projet d’ordonnance sur les regroupements, la perspective de montages plus souples entre grandes écoles et universités dans le cadre de projets de sites ambitieux. Nous espérons que cela va pouvoir lever les difficultés apparues sur de nombreux sites ces deux dernières années.  Dans ces montages les Grandes écoles souhaitent en très grande majorité pouvoir conserver leur personnalité morale, et donc leur autonomie financière et juridique, mais aussi leurs marques et leurs fondamentaux, notamment le caractère sélectif et professionnalisant de leur cursus, le lien fort à l’entreprise et à la recherche, l’ouverture internationale, et leur gouvernance réactive et agile faisant une large place aux entreprises et autres partenaires socio-économiques.

Aujourd’hui la ministre attend des propositions des acteurs pour définir quelques grands modèles prototypes, qui se dessinent actuellement sur des sites comme Saclay, Rennes, Marseille, Lyon, ou autres. Mais nous ne voulons pas faire seulement de l’expérimentation, si certains acteurs sont prêts à s’engager ils doivent pouvoir le faire dans des conditions claires et pérennes, sans épée de Damoclès qui les menaceraient à l’issue de l’expérimentation de perdre leur personnalité morale. Il faut donner aux établissements « l’envie d’avoir envie » d’y aller sans crainte !

O. R : Justement comment ?

A-L. W : Avec les lignes données par le nouveau gouvernement nous sommes passés d’une approche centrée sur les structures, assortie le plus souvent d’injonctions de fusion-absorption des écoles par les universités, à un nouvel état d’esprit reconnaissant la diversité des acteurs et donnant la priorité aux projets plutôt qu’aux structures. Ce nouvel état d’esprit nous va bien.  L’année 2018 sera l’année des choix pour beaucoup de sites qui doivent confirmer leur Idex ou leur Isite. Ce qui motive les établissements, c’est de pouvoir construire ensemble de nouveaux cursus, de nouvelles recherches, des nouvelles dynamiques entrepreneuriales ou internationales… voire dans certains cas de grands champions mondiaux.

O. R : L’un des principaux chantiers que vous avez ouvert depuis votre élection à la tête de la CGE est celui de la diversité. Où en êtes-vous ?

A-L. W : La question de la diversité est un chantier de longue date à la CGE, sur les questions d’égalité hommes-femmes, de handicap, et d’ouverture sociale.

Ce que nous avons cherché à faire, c’est donner de nouvelles impulsions. Sur l’ouverture sociale par exemple, il s’agit de changer d’échelle sur la base des expériences réussies des programmes d’inclusion. Dans les Grandes écoles comme dans les universités, le taux de boursiers sur critères sociaux  est de 30% au niveau bac + 5, mais quand on regarde plus finement les choses on voit que les étudiants issus des milieux les plus modestes (niveaux de bourses 5 à 7) y sont encore sous-représentés. C’est ce qu’on appelle « l’écart social de diplomation ». Il est urgent de changer la donne. Aucun jeune ne devrait être empêché de réussir par manque d’information ou de financement, principaux facteurs de blocages confirmés par notre sondage TNS Sofres CGE de 2016.

Nous avons ainsi lancé en mai 2017 une expérimentation à large échelle appelée « Pack Etudiant Solidaire » avec un pôle d’une trentaine d’écoles volontaires. Il s’agit de mettre en place, dès la rentrée académique 2018, un système de prêt étudiant sans caution, à taux zéro, couvrant non seulement les frais d’inscription mais aussi les frais de vie, couplé à un mentorat assuré par Article 1 (association née de la fusion de Frateli et Passeport Avenir) pour garantir les plus grandes chances de succès et d’insertion professionnelle. Ce prêt est partiellement inspiré du « PARC » à l’australienne, avec une adaptation aux spécificités de la société française. Nous avons contacté les dix plus grandes banques françaises et trois accords sont en cours de finalisation. Nous espérons pouvoir lancer la phase pilote et proposer cette opportunité aux étudiants pour la rentrée de l’année académique 2018-2019.

O. R : Rappelez-nous le principe du PARC.

A-L. W : Le principe du PARC – prêt à remboursement contingent au revenu – est un prêt qui doit pouvoir être remboursé par l’étudiant à sa sortie de l’école avec un échéancier établi en fonction de ses revenus. Ce qui est original dans notre système, ce sont les caractéristiques du prêt et le couplage avec le mentorat couplé avec l’objectif prioritaire d’ouverture sociale. Et le fait que nos étudiants, compte tenu des niveaux d’insertion professionnelle à la sortie des écoles, ne devraient pas avoir de difficulté à rembourser.

O. R : Vous travaillez également sur les dispositifs d’aide aux étudiants handicapés ?

A-L. W : La CGE est très active sur les conditions d’accueil dans l’enseignement supérieur des étudiants en situation de handicap et a récemment publié un guide sur la question. Une de nos dernières actions en date a été de porter, avec la FÉDÉEH et Hanploi CED, à l’Elysée, à l’Unesco et à l’ONU à Genève un projet de « Statut international de l’étudiant en situation de handicap ». C’est une action qui doit permettre à tout étudiant français ou étranger, quel que soit son handicap, de bénéficier d’un accès sans entrave à l’expérience internationale.

O. R : Pour mieux peser sur les débats le directeur général de Grenoble EM, et président du chapitre des écoles de management de la Conférence des grandes écoles, Loïck Roche propose de créer un syndicat des écoles de management ? Adhérez-vous à cette idée ?

A-L. W : Le projet à l’étude à la CGE avec le président du Chapitre est plutôt d’internaliser cette fonction au sein de la CGE. Frank Bournois, le directeur général d’ESCP Europe, et Alice Guilhon, la directrice générale de Skema, ont d’ailleurs récemment évoqué avec justesse ce projet dans la presse. Il s’agit de professionnaliser et renforcer notre capacité d’influence sur des sujets critiques, comme la question de la taxe d’apprentissage et du financement, mais aussi la question du grade de licence pour le bachelor, les stages, le DNM (diplôme national de master), le droit des étrangers… ou autres sujets fondamentaux pour la performance de notre système.

O. R : Quel bilan tirez-vous quelques mois après votre élection à un deuxième mandat à la tête de la Conférence des grandes écoles ? Et qu’entendez-vous maintenant faire pour la suite de votre mandat ?

A-L. W : Ce qui est impressionnant dans la communauté CGE c’est la capacité des écoles à trouver rapidement des consensus sur de nombreux sujets. C’est de là que la CGE tire son énergie et son efficacité.  Le partage d’expérience entre écoles, la capacité de réflexivité, de réactivité et d’amélioration continue permettent une montée en gamme collective.

La CGE connaît d’ailleurs ces derniers temps une véritable attractivité avec un afflux de demandes d’accréditation de formations labellisées CGE et d’intégration de nouvelles écoles, avec des familles qui se renforcent au sein de la CGE, comme les écoles sciences po ou les écoles d’architecture, mais également des grandes écoles étrangères pour lesquelles de label de grande école à la française est un gage de qualité.

Concernant nos actions, outre le travail de fond fait par nos 46 groupes de travail et onze commissions, les chantiers prioritaires définis en amont de l’élection présidentielle restent structurants : réussite en premier cycle, grade de licence pour le bachelor, apprentissage, engagement étudiant, ouverture sociale, financement, de gouvernance, efficience et impact…  Et nous nous saisissons aussi de sujets d’actualités, par exemple récemment le développement du service civique, le numérique au féminin, ou les actions des grandes écoles en Afrique.

A côté de ses fonctions d’accréditation, think tank, do tank, influence, et échange d’expérience, la CGE peut aussi jouer un rôle d’accompagnement. Par exemple nous accompagnerons juridiquement les Grandes écoles qui s’engageront dans des procédures de recours au tribunal administratif ou de question prioritaire de constitutionnalité (QPC) sur le diplôme national de master, dans la suite de notre recours auprès du Conseil d’Etat.

Et enfin nous continuons d’alimenter, via nos sondages, enquêtes et baromètres, un véritable observatoire des tendances et transformations : insertion professionnelle, attractivité internationale, égalité hommes-femmes, handicap, ouverture sociale, entrepreneuriat, incubateurs, fundraising, valeur et engagement de nos diplômés … Cet observatoire, sans équivalent dans le reste de l’enseignement supérieur, sert la réflexivité et l’amélioration continue du système.

Fin janvier sera ainsi publiée l’enquête 2018 IPSOS-BCG-CGE sur les valeurs et l’engagement des étudiants et des diplômés des Grandes écoles membres de la CGE et leur perception du monde du travail. Nos étudiants et diplômés sont acteurs des transformations sociétales, inventifs et engagés ; écoutons-les ! D’ailleurs notre colloque du 5 juin 2018 portera sur les Grandes écoles et leurs Alumni et notre prochain congrès annuel des 4 et 5 octobre 2018 sur les Grandes écoles et les transformations sociétales.

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Olivier Rollot est directeur du pôle Information & Data de HEADway Advisory depuis 2012. Il est rédacteur en chef de "l’Essentiel du Sup" (newsletter hebdomadaire), de "l’Essentiel Prépas" (webzine mensuel) et de "Espace Prépas". Ancien directeur de la rédaction de l’Etudiant, ancien rédacteur en chef du Monde Etudiant, Olivier Rollot est également l'un des experts français de la Génération Y à laquelle il a consacré un livre : "La Génération Y" (PUF, 2012).

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