CLASSES PREPAS, ECOLES DE MANAGEMENT

«En classes prépas, il y a un magnifique contenu et de la méthode»

HEC reste l’école dont rêvent quasiment tous les élèves de prépas. Une prééminence en France qu’elle entend faire reconnaître dans le reste du monde en s’appuyant toujours sur un recrutement fondé sur les CPGE explique son directeur délégué, Eloïc Peyrache.

Olivier Rollot : Quel regard jetez-vous sur les CPGE ? Est-ce vraiment un système aussi unique dans le monde qu’on veut bien le dire ?

Eloïc Peyrache : Proposer un concours national après 2 années de formation intenses et très diversifiées dans l’enseignement supérieur est sans aucun doute assez unique. Mais c’est beaucoup plus dans le moment de la sélection que dans la philosophie même des études proposées que réside la singularité.

Prenons quelques exemples. Le cursus d’un étudiant en bachelor du Massachussetts Institute of Technology (MIT), de Berkeley ou de Wharton est composé, en gros, de deux années de liberal arts et de deux années plus spécialisées. Le modèle n’est pas si différent de notre modèle. Wharton est l’une des meilleures business schools du monde et on y étudie la philosophie avant le business. Bref, l’articulation de l’enseignement entre la prépa et les écoles est cohérent avec ce qu’on rencontre ailleurs. C’est son agencement qui va varier car le découpage disciplinaire est beaucoup moins marqué dans les institutions du reste du monde. Mais, à mon sens, se consacrer au business dès la première année de formation postbac n’est pas compatible avec l’ambition de former à de la direction générale.

Ensuite, il faut évoquer un parallèle intéressant entre le projet pédagogique des classes préparatoires et celui des liberal universities américaines. Beaucoup moins connues que les grandes universités de recherche, comme Harvard ou Stanford, leur corps professoral fait moins de recherche et consacre une très grande énergie au suivi des élèves. Alors que les étudiants américains ont à choisir entre ces deux types d’institutions, nos étudiants en France ont le meilleur des deux mondes : deux années de « liberal university » en classe prépa avant d’intégrer une institution de recherche comme HEC.

O. R : Quelles sont les qualités essentielles qu’on apprend en prépa ? En quoi serviront-elles toute la vie ?

E. P : En classes préparatoires, il y a à la fois un magnifique contenu et de la méthode. Une nouvelle fois, l’histoire, les mathématiques ou la géopolitique y ont toute leur place. Le rythme et l’enjeu du concours permettent en plus d’acquérir une véritable vitesse neuronale et une très bonne capacité à structurer son analyse. Et ce, sur des sujets très divers. Tout ceci servira toute la vie.

O. R : En quoi les activités associatives sont essentielles pour se forger une personnalité ? Ne prennent-elles pas parfois une place trop importante dans la scolarité dans les écoles de management ?

E. P : La clé est de pouvoir mettre en pratique ses connaissances et d’expérimenter. Dans une école de management, et contrairement aux écoles d’ingénieurs, il y a peu de Travaux Pratiques (TP). Mais l’apprentissage par l’expérience n’en est pas moins important. Il est même fondamental. Il s’est historiquement fait au travers des études de cas.

Au fil des années, l’apprentissage par la pratique est de plus rentré dans les projets pédagogiques des écoles. Il peut compléter ou accompagner des projets étudiants menés dans le cadre d’associations ou de clubs. Il est donc fondamental de promouvoir l’implication de nos élèves dans des projets de terrain ambitieux. Nos étudiants vont ainsi pouvoir à la fois monter une comédie musicale dans un grand théâtre parisien, créer une entreprise dans le domaine de l’intelligence artificielle ou préparer des jeunes élèves de banlieue à un concours d’éloquence.

Dans tous les cas, leur capacité créative, leur aptitude à gérer une équipe et leur professionnalisme seront au cœur de ces projets. L’enjeu pour les Ecoles est alors double : assurer une forte ambition des projets menés et gérer le bon équilibre entre l’acquisition de savoirs et la mise en pratique.

O. R : L’année de césure est quasi obligatoire à HEC. Qu’apporte-t-elle aux étudiants ?

E. P : Elle n’est pas du tout obligatoire. Mais c’est une fantastique année d’apprentissage et d’introspection. Les étudiants reviennent toujours beaucoup plus matures que ce qu’ils étaient avant de se frotter au monde du travail et ils ont souvent commencé à répondre à une question fondamentale : qu’ai-je envie de faire plus tard ?

Ce processus de connaissance de soi débute dès la première année sur le campus se prolonge naturellement pendant cette année d’expérience professionnelle. Certains élèves décident également de vivre certains de leurs rêves pendant une année, qu’il s’agisse de faire le tour du monde ou de travailler auprès des plus démunis dans des bidonvilles. Dans tous les cas, c’est très formateur et enrichissant.

O. R : Plusieurs écoles ont fait évoluer leurs oraux cette année. Envisagez-vous des évolutions dans les années à venir ?

E. P : Les concours doivent évoluer en permanence. Dans leur esprit comme dans le type de sujets proposés. Cela donne parfois lieu à des débats passionnants et passionnés. Et c’est tant mieux car la qualité des modalités de sélection des candidats est un élément clé de toute institution académique.

Nous sommes sans aucun doute l’Ecole qui a l’oral le plus exigeant. Nous sommes également convaincus que ce ne sont pas les mêmes qualités que l’on peut déceler à l’écrit et à l’oral. Nous souhaitons attirer à HEC les élèves ayant à la fois les meilleurs profils académiques mais également de grandes qualités relationnelles, d’argumentation et d’écoute. C’est pourquoi, à HEC, l’oral dure 3 jours et est composé de six épreuves. Nous continuerons à avoir cette exigence sur l’oral.

O. R : HEC reste l’objectif suprême de tout étudiant de prépa EC !

E. P : Notre objectif c’est que cela soit encore plus vrai dans le futur et que cela le soit tout autant pour tout étudiant issu de bachelor dans le monde. C’est un magnifique défi et une grande responsabilité. L’année dernière avec Peter Todd, le directeur général d’HEC, nous échangions avec le dean de Yale School of Management et lui disions qu’en France nous avions 10 000 candidats aux grandes écoles de management et qu’HEC recrutaient les 380 meilleurs. C’est un taux de sélectivité très impressionnant même pour le dean de l’une des institutions les plus prestigieuses au monde. Mais encore plus impressionnant était pour lui le fait que quasiment 100% des admis intègrent en effet HEC. Aux Etats-Unis, même les meilleures universités retiennent au mieux 85% des candidats qu’elles acceptent. Ce qui, d’ailleurs, est le taux de confirmation que connait HEC dans sa procédure d’admission internationale. Preuve s’il en est que même sur cette voie très concurrentielle, HEC est également leader.

Mais bien au-delà de cela, c’est tout le projet du groupe HEC qui est attractif et qui se réinvente en permanence. Nous cherchons bien entendu à former nos élèves sur tous les sujets qui annoncent de grandes évolutions sociétales. Nous avons par exemple lancé un master joint avec l’Ecole Polytechnique en Data Science for Business. Nous faisons le maximum pour permettre à nos élèves d’identifier et de vivre leurs rêves. Mais nous avons également l’ambition d’être identifié comme l’une des toutes meilleures institution de management dans le monde. La signature par Peter Todd d’une nouvelle alliance très structurante avec Yale School of Management et Hong Kong University of Science and Technology participe de cette ambition.

O. R : Le nombre d’élèves en CPGE continue à progresser.

E. P : Je me souviens que l’année de ma prise de fonction, nous avions eu 3600 candidats au concours d’entrée sur concours prépa. Aujourd’hui, nous avons près de 5500 candidats, soit une hausse de 60% en 9 ans. Dans ce contexte, difficile de dire que la classe préparatoire n’est pas attractive. Elle l’est d’autant plus que, in fine, tous les élèves ont une place dans l’une des écoles recrutant sur concours. C’est une assurance extraordinaire pour tout étudiant qui s’engage dans cette voie. Ils n’en ont souvent pas conscience. Et autre bonne nouvelle, alors que nous avions 5% d’étudiants boursiers d’Etat sur critères Sociaux à HEC il y a 10 ans, nous en comptons aujourd’hui plus de 15%.

O. R : Avec l’apport des étudiants étrangers, l’internationalisation de votre campus est-elle une réalité ?

E. P : Chaque année en septembre ce sont en tout 700 internationaux issus des meilleures universités du reste du monde et de 95 nationalités différentes qui arrivent dans les programmes Grande Ecole et MS/MSc d’HEC. Ils transforment le campus en un véritable Forum Mondial. C’est une chance incroyable pour tous nos élèves de se lier d’amitiés avec de brillants étudiants du monde entier et de vivre concrètement les enjeux de la multi-culturalité.

O. R : On parle beaucoup aujourd’hui de la « dépressurisation » dont souffriraient des étudiants de prépa à leur entrée dans une grande école faute d’émulation et de cours suffisamment « signifiants ». Le ressentez-vous également à HEC ?

E. P : Nos élèves changent d’univers et c’est un défi. Ce qu’ils vont apprendre change et, en l’absence d’expérience professionnelle, certains peuvent se plaire à dire que certains cours manquent de stimulation intellectuelle. Leurs retours sont très différents après leur année d’expérience professionnelle ou quelques années après avoir été diplômés. Ils passent également d’un univers très franco-français à un autre très international. Ils passent d’un monde où ils ont été très encadrés à un monde d’opportunités incroyables et de grande liberté. Ils passent d’un monde où ils ont beaucoup appris à un monde où il faut désormais imaginer et créer. Ils passent d’un monde où ils avaient un objectif clair à un monde où ils doivent se poser les bonnes questions. C’est beaucoup de changements d’un seul coup. Il est donc normal que cela ne soit pas facile à gérer pour tout le monde.

« Deviens qui tu es » disait Nietzsche. Notre ambition est de les accompagner dans cette aventure et de leur donner les armes pour se dire que tout est possible. Et je suis convaincu que c’est le cas. Sky is the limit pour nos élèves à HEC. Mais leur responsabilité est à la hauteur de leurs opportunités.

O. R : Au-delà de son internationalisation qu’est-ce qui a le plus changé à HEC depuis votre arrivée ?

E. P : Si je ne dois en retenir que deux, je dirais la dimension entrepreneuriale et l’ambition internationale. L’incroyable dynamique de création d’entreprise sur le campus et le succès de notre incubateur à Station F sont sans doute des marqueurs importants de la première dimension. L’arrivée chaque année d’autant d’élèves issus des meilleures institutions du monde entier et la signature d’accords de double diplôme avec MIT, Yale ou encore Tsinghua me confortent dans l’idée qu’HEC est devenue une institution de premier plan mondial et reconnue comme telle. Et ce qui est vrai de la Grande Ecole, l’est aussi du MBA et de la formation continue d’HEC. C’est un magnifique résultat collectif du Groupe.

Mais j’aimerais rajouter une troisième dimension qui me tient particulièrement à cœur. Celle de l’empreinte sociale de l’institution. Laissez-moi vous donner quelques exemples. Chaque année, nous sensibilisons 380 femmes de banlieue (autant que d’admis au concours prépa) pour les aider à monter leur entreprise. C’est un programme d’une richesse incroyable. A l’issue de cette semaine, 60 entrent aujourd’hui dans notre programme annuel de pré-incubation avant de valider ensuite leur ticket pour l’incubateur HEC à Station F.

Chaque année, nous accompagnons avec nos élèves HEC 380 boursiers de prépas HEC et travaillons à ce que 100% d’entre eux soient admis dans l’une des écoles françaises. Et qu’importe si cela n’est pas HEC, à partir du moment où nous leur avons donné la chance d’être admis dans une école bien plus prestigieuse que celle qu’ils espéraient intégrer à leur arrivée en classes prépa. Et demain, ce sera également 380 lycéens issus de quartiers prioritaires qui seront concernés avec l’ambition d’avoir 100% de mentions au bac.

O. R : HEC est la dernière grande école de management française à ne pas proposer de bachelor. Est-ce envisageable d’en ouvrir un dans les années à venir ?

E. P : Aujourd’hui, nous préférons installer durablement nos programmes de niveau Master dans le cercle très fermé des grands leaders mondiaux. Tant que nous considérons que les meilleurs étudiants français vont en prépa tout va bien. Je vous le rappelle, pour nous, la prépa constitue les deux premières années d’une structure intégrée en 5 ans. Nous sommes donc présents avec elles sur le segment Bachelor. Tant que nous connaissons également des croissances à deux chiffres des candidatures internationales, nous sommes sur la bonne voie. Il faudra forcément se poser des questions si cela était remis en cause.

O. R : L’exemple du bachelor qu’ouvre l’Ecole polytechnique à la rentrée ne vous inspire pas ?

E. P : Vous imaginez bien que nous sommes très vigilants aux évolutions du monde de l’enseignement supérieur. C’est vrai de ce que font l’Ecole Polytechnique ou l’Ecole 42 en France. C’est vrai de ce qu’il se passe au MIT ou à l’université de Tokyo dans le reste du monde.

A la grande différence des parcours en sciences, les études en management viennent après un premier parcours dans une autre discipline. HEC a donc pu très fortement internationaliser son parcours dit « graduate » en ouvrant un accès en Master 1 du programme Grande Ecole à des étudiants qui avaient suivi des parcours très divers en amont. Polytechnique doit plus se positionner au niveau bachelor pour réussir une telle mue.

O. R : HEC n’a pas non plus l’intention d’ouvrir des campus à l’étranger ?

E. P : En formation continue, il y a une véritable logique à aller à la rencontre des cadres qui n’ont pas la possibilité de s’éloigner durablement de leur lieu de vie. Mais en formation initiale, je suis intimement convaincu que la reconnaissance de la marque doit précéder l’implantation à l’étranger. Une bonne partie des écoles qui ambitionnent d’avoir une forte reconnaissance mondiale et qui ne respectent pas cette logique doivent admettre des étudiants bien moins bons que ceux qu’ils ont sur leur campus historique.

De plus, l’expérience internationale vécue par nos élèves est bien différente. Il est incomparablement plus stimulant et pertinent d’aller passer quelques mois ou même une année en petits groupes dans les meilleures universités du monde entier telles que Yale, Todai, Beida ou New York University que de se retrouver dans un entre-soi, même à l’autre bout du monde.

  • D’où viennent les étudiants d’HEC ? En première année (dite L3) les étudiants d’HEC viennent à 100% des classes préparatoires et sont rejoints en deuxième année (en M1) par 220 étudiants internationaux issus des meilleures universités dans le monde (New York University ou Berkeley aux Etats Unis, Tsinghua ou Fudan en Chine, Keio au Japon ou encore les Indian Institute of Technology en Inde) ; 80 étudiants issus de double-diplômes français (Ecole polytechnique, ENSAE, Ecole des Mines ParisTech, Ecole des Ponts ParisTech, Telecom Paristech, Sciences Po ou encore L’Ecole de Droit de Paris 1 Panthéon-Sorbonne).  A cela, s’ajoutent par exemple 400 étudiants – dont 60% d’étudiants internationaux – qui suivent un des neuf mastères spécialisés ou MSc en 1 an.

 

  • Eloic Peyrache est directeur délégué de l’Ecole HEC depuis 2008. Diplômé de l’Ecole Normale Supérieure de Cachan, agrégé d’économie et gestion, il a obtenu sa thèse à l’Université Toulouse 1 en juin 2003 après y avoir effectué un DEA d’économie mathématique et économétrie. Ses travaux portent à la fois sur les enjeux de la transmission d’information sur le marché du travail et sur des problématiques liées à l’intermédiation.
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Olivier Rollot est directeur du pôle Information & Data de HEADway Advisory depuis 2012. Il est rédacteur en chef de "l’Essentiel du Sup" (newsletter hebdomadaire), de "l’Essentiel Prépas" (webzine mensuel) et de "Espace Prépas". Ancien directeur de la rédaction de l’Etudiant, ancien rédacteur en chef du Monde Etudiant, Olivier Rollot est également l'un des experts français de la Génération Y à laquelle il a consacré un livre : "La Génération Y" (PUF, 2012).

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