POLITIQUE DE L'ENSEIGNEMENT SUPERIEUR

Guerre en Ukraine : que peut faire l’enseignement supérieur ?

La façade du campus de Sciences Po à Dijon dont la spécialisation porte sur l’Europe centrale et orientale (©Sciences Po)

A mesure que la guerre dure, que les morts se multiplient un rideau de fer académique semble tomber entre l’enseignement supérieur russe et celui des pays occidentaux. Les étudiants de tous les pays belligérants – russes compris – sont de leur côté largement soutenus par les établissements qui les reçoivent.

Couper les liens. Peu à peu les liens se coupent entre l’enseignement supérieur russe et européen. Après que l’Union russe des recteurs (RUR) a publié une déclaration qui soutient l’invasion de l’Ukraine par la Fédération de Russie, le conseil d’administration de l’Association européenne des universités (EUA) a pris la décision de suspendre l’adhésion des universités dont les dirigeants ont signé cette déclaration, car elle est « diamétralement opposée aux valeurs européennes auxquelles elles se sont engagées lors de leur adhésion à l’EUA ». Le ministère de l’Enseignement supérieur, de la Recherche et de l’Innovation (MESRI) avait quant à lui partiellement tranché : dans une circulaire du 28 février 2022, il indique que les établissements d’enseignement supérieur doivent « suspendre les nouvelles coopérations bilatérales et les manifestations scientifiques avec la Russie sauf exception dûment justifiée et validée ».

France Université a également « fait part de sa stupéfaction devant la prise de position des recteurs de Russie, qui soutient un conflit armé et appelle à la « dénazification » de l’Ukraine, relayant ainsi les fausses informations du pouvoir russe ». Cette déclaration, signée par les recteurs russes de leur propre chef ou sous la pression de leurs autorités, « contrevient aux valeurs que portent les universités européennes et sur lesquelles elles n’entendent pas transiger ». France Université suspend donc « jusqu’à nouvel ordre » le protocole d’accord qu’elle a signé en 2013 avec l’Union des recteurs de Russie.

Après France Université, la Cdefi (Conférence des directeurs des écoles françaises d’ingénieurs) dénonce cette semaine « vivement cette trahison des valeurs humanistes, progressistes et de tolérance qui fondent le socle commun et indéfectible de l’Europe de la recherche et de l’enseignement supérieur » et « salue le courage des collègues et des étudiants russes qui expriment publiquement leur soutien au peuple ukrainien ». En conséquence, la CDEFI « recommande aux écoles d’ingénieurs françaises de suspendre tout dialogue institutionnel avec leurs partenaires russes qui se sont eux-mêmes mis au ban de la communauté académique et scientifique en se rendant complices de cette agression ».

Accueillir ceux qui le désirent. La Cdefi rappelle également que ses écoles sont « prêtes à ouvrir leurs portes, à la hauteur de leurs moyens, aux étudiants, enseignants et chercheurs d’Ukraine, de Russie ou de Biélorussie, qui s’opposent à ce conflit armé et en subissent les conséquences ». Elles « mettent d’ores et déjà tout en œuvre pour permettre à celles et ceux qui se trouvent sur leurs campus de poursuivre leurs études, enseignements ou recherches en toute sécurité ». France Université entend ainsi « simplifier les procédures et renforcer les moyens dédiés au programme PAUSE pour permettre l’accueil des chercheurs victimes de la guerre ou poursuivis en raison de leurs prises de positions ».

Nombreux sont en effet les enseignant-chercheurs russes à fuir leur pays comme l’explique le Times Higher Education dans son article ‘No future for us left in Russia,’ say fleeing academics.

Soutenir (tous) les étudiants. Le soutien aux étudiants ukrainiens mais aussi russes et biélorusses présents en France est bien évidemment une autre priorité. L’Université Jean Moulin Lyon 3 s’engage par exemple à les accompagner sur un plan matériel et financier. Un fonds d’aide d’urgence permettra ainsi de verser une allocation renouvelable pouvant aller jusqu’à 500 euros par mois aux étudiants concernés.

De leur côté, la Fondation HEC et HEC Paris lancent « The HEC Imagine Fellowship Program », un programme de bourses dédié aux étudiants issus de pays en conflits. Initié grâce à un don exceptionnel d’Adrien Nussenbaum, co-fondateur et co-CEO de Mirakl et diplômé d’HEC Paris, ce programme accueillera ses premiers étudiants sur le campus de l’école dès la rentrée 2022. Les bénéficiaires sont sélectionnés en fonction de l’excellence de leur profil académique, mais aussi de leur « intérêt pour la compréhension interculturelle et leur engagement en faveur de la paix ». En parallèle, un programme académique « Business & Paix » sera développé afin d’étudier « comment le secteur privé peut contribuer à maintenir la paix et la stabilité dans des zones de conflits ou régions touchées par la guerre ». HEC Paris ambitionne ainsi de financer chaque année la scolarité d’une dizaine d’étudiants méritants issus de pays en conflits.

Les étudiants russes en France – ils étaient un peu plus de 5 200 en 2019 mais certainement beaucoup moins en période post Covid – sont « pris entre culpabilité et épouvante » titre Le Monde. D’autant que le gouvernement russe fait croire qu’ils sont « harcelés » voire « attaqués » en Occident et notamment en France. Sans oublier leurs problèmes financiers alors que leurs cartes de crédit ne fonctionnent plus. La plupart des établissements vont donc les soutenir financièrement jusqu’à la fin de l’année universitaire.

Faire revenir ses étudiants. Après leur retour d’Ukraine c’est maintenant le retour de Russie de tous leurs étudiants français qui est devenu une priorité pour les établissements d’enseignement supérieur comme le raconte Le Monde. Ils sont très peu nombreux : moins de 350 selon l’Unesco.

Aider les étudiants ukrainiens. La priorité est donnée aujourd’hui au soutien des étudiants ukrainiens venus en Occident (un peu plus de 1 800 en France en 2019 selon les chiffres de Campus France mais c’était avant la pandémie). A Paris la Cité internationale a ainsi créé une cellule d’écoute afin de recueillir leurs besoins, leurs suggestions et « établir un contact privilégié avec eux ». Plus largement tous les établissements d’enseignement supérieur s’adaptent.

L’Essca, fortement liée à l’Europe de l’Est du fait de son campus à Budapest, prépare par exemple la mise en place de dispositifs de soutien aux étudiants et enseignants-chercheurs ukrainiens. D’ores et déjà, elle a décidé d’accorder chaque année 10 bourses d’études couvrant la totalité des frais de scolarité d’un programme pour des étudiants issus d’un pays en conflit. L’école s’apprête également à mettre en place des coopérations spécifiques avec des institutions ukrainiennes « afin de permettre à leurs étudiants de poursuivre leurs études en France en leur accordant notamment des bourses logement ».

Quant à ESCP, à travers son nouveau programme ESCP4U (ESCP for Ukraine), elle va accompagner et former 50 réfugiés sur chacun de ses campus. 300 en tout auxquels ESCP va offrir la possibilité de « poursuivre le développement de leurs compétences, la connaissance et la compréhension de nouvelles cultures».

Le Crous de Limoges a annoncé qu’il permet, dès maintenant, le repas à un euro pour les étudiants ukrainiens, jusqu’ici réservé aux étudiants français boursiers et en situation de grande précarité. Une aide ponctuelle, de 500 euros par mois, pourra aussi être rapidement débloquée en cas de besoin (Le Populaire du centre). La raréfaction des aides financières en provenance des familles à destination des étudiants a ainsi conduit l’Université de Lille à lancer un appel aux dons qui serviront ensuite à financer les bourses d’études pour ces étudiants et chercheurs. (Lille Actu). Au sein de son fonds d’aide aux réfugiés, la Fondation de l’Université de Strasbourg lance un appel pour venir en aide aux étudiants impactés par la guerre en Ukraine. Cette aide concernera également des étudiants russes sans moyens de subsistance après que les systèmes Visa et Mastercard aient débranché les comptes russes.

Les universitaires contre la guerre. En Russie même Russian academics risk arrest to oppose Ukraine war nous apprend le Times Higher Education. Une pétition en ligne signée par des milliers de chercheurs russes – y compris d’éminents scientifiques –continue de recueillir de plus en plus de signatures pour dénoncer l’invasion comme « insensée » et appeler à un arrêt « immédiat » de la guerre contre l’Ukraine.

Il faut aussi lutter contre la désinformation venue de Russie qui voudrait faire croire que les étudiants russes en France –  ils étaient un peu moins de 5 200 en 2019 selon les chiffres de Campus France – sont discriminés . Dans un communiqué France Universités indique que « non seulement aucune université française n’a pris, ou envisagé de prendre, des mesures discriminatoires ou d’exclusion à leur encontre, mais tout est mis en œuvre au contraire, en concertation avec les ministères compétents,  pour eux, comme pour leurs camarades ukrainiens ou originaires d’autres pays affectés par la crise que traverse l’Europe, afin qu’ils disposent des ressources nécessaires à la prolongation de leur séjour au cas où cela s’avèrerait nécessaire ».

  • La mise en place du dispositif gouvernemental PAUSE (Programme d’aide à l’accueil en urgence des scientifiques en exil) va par ailleurs permettre l’accueil de scientifiques, ukrainiens mais pourquoi pas russes, contraints à l’exil.
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Olivier Rollot est directeur du pôle Information & Data de HEADway Advisory depuis 2012. Il est rédacteur en chef de "l’Essentiel du Sup" (newsletter hebdomadaire), de "l’Essentiel Prépas" (webzine mensuel) et de "Espace Prépas". Ancien directeur de la rédaction de l’Etudiant, ancien rédacteur en chef du Monde Etudiant, Olivier Rollot est également l'un des experts français de la Génération Y à laquelle il a consacré un livre : "La Génération Y" (PUF, 2012).

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