Xavier Cornu est un homme discret, inconnue du grand public, et pourtant peu comme lui ont marqué l’enseignement supérieur ces trente dernières années. Directeur général adjoint enseignement, recherche et formation de la CCI Paris Ile-de-France, il a eu pendant vingt ans à ce titre la tutelle des plus prestigieuses des écoles de management (HEC Paris, ESCP Europe puis également Essec) mais aussi d’écoles dédiées à l’image (Gobelins) ou à la restauration-gastronomie (FERRANDI Paris). En tout plus de 32 000 étudiants, élèves, apprentis de tous les niveaux. Alors qu’il vient de quitter son poste il nous raconte une vie toute entière dédiée à l’éducation et explique à quels défis l’enseignement supérieur est aujourd’hui confronté.
Olivier Rollot : Votre poste n’est pas banal. Comment travaille-t-on avec des écoles et des personnalités aussi fortes que celles qui travaillent dans les écoles dont vous aviez la tutelle ?
Xavier Cornu : C’est tout simple : sur la base d’une confiance réciproque pour échanger librement et trouver la bonne solution. Que ce soit avec le directeur général d’HEC, aujourd’hui Peter Todd, hier Bernard Ramanantsoa, ou celui de ESCP Europe, Frank Bournois, qui dépendent directement de moi, ou avec Jean-Michel Blanquer à l’Essec j’ai toujours eu un rôle de conseil, je me suis toujours attaché à les aider à prendre du recul pour que les équilibres soient atteints sans jamais m’inscrire dans une relation de pouvoir. Je ne suis pas un général qui commande des régiments ! D’une école de management à une école de l’image comme Gobelins en passant par une école de gastronomie et de restauration comme FERRANDI Paris l’essentiel est sur le terrain.
Le management c’est émanciper les acteurs pour les responsabiliser. Il faut trouver le moyen de gérer par la valeur ajoutée et le dialogue avec des lettres d’objectifs envoyées tous les ans à chaque directeur, en concertation, dans lesquelles je précise ce qui est attendu d’eux pour l’année à venir tant en termes de résultats que d’innovation pédagogique ou encore de collaboration avec les universités et d’autres partenaires. Je pilote 24 écoles en me fondant sur le dialogue et la confiance
O. R : Revenons sur votre carrière. En 1986 quand vous devenez directeur adjoint de l’enseignement de la CCI Paris.
X. C : J’avais rencontré celui qui est devenu mon prédécesseur, Christian Vulliez, à HEC qu’il dirigeait à l’époque. Deux ans après, nommé directeur de l’enseignement, il m’a proposé d’être son adjoint alors que je savais à peine que la CCIP avait une importante activité dans l’enseignement ! A l’époque je travaillais pour elle dans un tout autre service, celui des « études et recherche », où je traitais notamment des dossiers liés à l’exportation. J’ai aussi représenté toutes les CCI françaises au niveau européen.
O. R : Rien ne vous prédestinait à travailler dans l’enseignement ?
X. C : Jeune j’étais plutôt un bon élève mais pas le premier de la classe. La connaissance c’est la base de la liberté de l’individu. Ce que j’aimais, ce que j’ai toujours aimé, ce sont les choses bien pensées, bien faites. Ma mère, qui était divorcée et vivait seule avec mes frère et sœur à Perpignan, a tenu à ce que parte à Paris pour y suivre mes études car c’est « là qu’il fallait aller pour réussir ». J’ai commencé par faire des études d’économie à Paris 2 puis, plus par défi que par envie, j’ai intégré Sciences Po. J’y ai beaucoup appris. Nous sommes en 1977 et ma mère voulait que j’embraye sur l’Ena mais j’ai préféré effectuer un doctorat d’Etat en quatre ans pendant lequel j’ai commencé à travailler pour la CCIP en tant que chercheur.
Ce doctorat m’aura beaucoup servi ensuite quand j’ai commencé à travailler avec des professeurs auxquels je pouvais rappeler, subrepticement, que je comprenais ce qu’ils me racontaient en matière de recherche.
O. R : Vous aviez déjà été impliqué dans la création d’une école, l’Institut français de la mode.
X. C : Oui, avant j’avais écrit les programmes et les statuts du futur Institut français de la mode aux côtés de Pierre Bergé dont j’étais le conseiller et qui reste la rencontre professionnelle et amicale la plus importante de ma vie. Ça avait été un long chemin car il avait fallu trouver les financements pour créer une école qui regroupe toutes les filières de la mode et fasse travailler ensemble des métiers – ingénieurs, créatifs et marketeurs – qui ne se parlaient pas jusqu’ici. En 1986 l’école est enfin créée mais je ne l’ai pas dirigée.
O. R : Après la théorie la pratique, Christian Vulliez vous demande rapidement de diriger une école. Ce sera NEGOCIA (aujourd’hui devenue Novancia après sa fusion avec Advancia)…
X. C : Il voulait que je comprenne le terrain et incarne un projet novateur. J’ai travaillé de 1989 à 1992 à créer NEGOCIA que j’ai dirigé ensuite pendant trois ans. C’était une opportunité unique de créer une nouvelle école de A à Z, partir d’une feuille blanche et construire un immeuble de 25 000m2. Une école tournée vers la vente du CAP jusqu’au master que j’ai conçue après avoir interrogé les dirigeants d’entreprises d’IBM à Procter & Gamble en passant par des PME et de commerce de détail.
J’ai créé NEGOCIA en fonction des besoins des entreprises, sans me demander si elle deviendrait une grande école ou pas, et en leur ouvrant grandes les portes pour organiser des conventions ou des rencontres. Nous avons établi une relation unique car je les avais consultées avant. Ces années chez NEGOCIA ont été la plus belle aventure de ma vie professionnelle.
O. R : Même le nom était très original à l’époque.
X. C : J’ai voulu l’appeler NEGOCIA pour rompre avec toutes les « écoles supérieures de vente ou de commerce » qui fleurissaient jusque-là. C’était la première fois qu’une école prenant un nom qui ne soit pas un acronyme.
O. R : En 1995, vous voilà directeur de l’enseignement de la CCIP puis, en 2013, de la CCI Paris Ile-de-France après la fusion de la CCIP avec la CCI de Versailles.
X. C : La CCIP m’a demandé d’insuffler le même esprit qu’à NEGOCIA dans toutes ses écoles et c’est ce que j’ai essayé de faire dans les dix écoles que nous avions. En 2013 la fusion avec la CCI de Versailles enrichit le portefeuille de quatorze autres écoles très intéressantes.
O. R : La grande particularité de votre métier par rapport à une université ou un groupe d’écoles c’est que vous travaillez avec des étudiants de tous les niveaux, du CAP au doctorat.
X. C : Oui avec une parité d’estime absolue pour mes interlocuteurs quel que soit le niveau de leur formation. D’un jeune de troisième en échec scolaire, auquel nous trouvons le moyen de redonner le goût de l’effort, à un diplômé de niveau master de ESCP Europe, l’Essec, HEC, Novancia ou de ESIEE Paris .
O. R : Vous n’avez jamais été tenté de prendre directement la direction d’HEC ?
X. C : Si. J’étais candidat en 1995 quand Bernard Ramanantsoa a été choisi, ce qui ne nous a pas empêché ensuite de nous lier d’une indéfectible amitié. Je tiens d’ailleurs à rendre un grand hommage à son travail à la tête d’HEC qu’il a profondément transformée.
O. R : Avec vos équipes vous avez fait un beau travail qui est notamment salué dans les palmarès internationaux où vos écoles sont toujours excellemment bien classées. Pour autant l’Etat ne semble guère vous aider.
X. C : Il existe aujourd’hui de véritables menaces sur l’avenir de l’ enseignement supérieur dans lequel la France n’investit pas assez. Où est la priorité pour la jeunesse quand le pourcentage du PIB consacré à l’enseignement supérieur est inférieur à 1,5 ? Avec la réforme du financement des CCI, beaucoup d’écoles ont été passées à la toise par le gouvernement. Affaiblir les CCI c’est évidemment affaiblir leurs écoles et leurs CFA. Pour sa part, la CCI Paris Île-de-France maintient dans la mesure du possible son soutien à ses établissements d’enseignement et notamment à ses 5 grandes écoles.
Le gouvernement n’a pas suffisamment pris conscience du rôle des CCI dans l’enseignement supérieur et l’apprentissage alors que ce sont elles qui ont créé l’enseignement de gestion en France et développé l’apprentissage. Nous portons des écoles qui sont de véritables réussites et je ne comprends pas pourquoi l’Etat ne met pas avant leurs extraordinaires résultats et perspectives. Au moins jusqu’à l’arrivée de l’actuel secrétaire d’Etat à l’Enseignement supérieur et la Recherche, Thierry Mandon, le gouvernement a eu une attitude ambiguë envers des grandes écoles. Il ne leur a pas accordé une importance proportionnelle à leur poids alors qu’elles délivrent 40% des diplômes de niveau master.
O. R : Vous venez de l’évoquer, les CCI ont aussi un rôle important dans l’apprentissage que les réformes récentes ont également fragilisé.
X. C : Avec le premier CFA (centre de formation d’apprentis) de France, la CCI Paris Ile-de-France forme 17000 apprentis notamment grâce à une bonne coopération avec la région Ile-de-France. Moi qui me définis comme un amoureux, un combattant de l’apprentissage, mon regret personnel est de n’avoir pas pu faire comprendre aux familles , aux professeurs de l’Education nationale – et à l’Etat !- ce qu’est vraiment l’apprentissage. En quoi ce n’est pas une voie pour les exclus mais une pédagogie à part entière pour ceux qui veulent apprendre autrement.
Aujourd’hui, alors que le gouvernement en voudrait 500 000, on retombe à 400 000 apprentis soit 8% des 15-25 ans et ce n’est pas, comme je l’ai longtemps cru, uniquement à cause d’un problème de financement qu’on stagne ou baisse ainsi. Non c’est dans l’inconscient collectif des familles, gouverné par l’ignorance de l’Education nationale que n’a jamais su corriger le ministère, que réside le problème.
O. R : Que pensez-vous de la volonté récente du gouvernement, dans le cadre de ce qu’on appelle la Stratégie nationale de l’enseignement supérieur (Stranes), d’amener 60% d’une classe d’âge à obtenir un diplôme de l’enseignement supérieur ?
X. C : C’est un leurre. Même si on constate une montée en compétences des métiers avec la robotisation qui s’accélère. Vaut-il mieux des diplômes trop souvent synonymes de connaissances ou des certificats de qualifications professionnelles (CQP), des titres RNCP qui allient connaissances et compétences ? Il faut faire évoluer notre modèle éducatif fondé sur la « diplômite » pour comprendre l’importance des titres et des expériences professionnelles.
O. R : Mais des bacheliers professionnels peuvent-ils aller dans l’enseignement supérieur ?
X. C : Oui si on crée des « prépas » à l’enseignement supérieur pour ces bacs pros, et quelquefois aussi les bacs technos, pour leur réapprendre à apprendre et leur donner des connaissances de l’entreprise. Ou on introduit la sélection après le bac ou on prépare ces bacheliers à l’université !
O. R : Que faut-il d’abord attendre d’un établissement d’enseignement supérieur ?
X. C : Je crois beaucoup dans la force de marques comme Gobelins, FERRANDI Paris, etc., qui sont porteuses de valeurs et donnent la possibilité de révéler des talents tout en permettant une bonne insertion professionnelle sans se focaliser sur l’employabilité à court terme.
O. R : Quel bilan faites-vous alors que vous quittez votre poste ?
X. C : Ce métier m’a passionné et je le quitte, à ma demande, avec une énorme confiance dans mon successeur, Yves Portelli, qui a connu des expériences diversifiées à de nombreux postes dans nos écoles. Il a les mêmes valeurs et continuera à se battre pour nos principes d’HEC à l’ITEDEC, d’ESIEE Paris à NOVANCIA, de l’ISIPCA à notre école de maintenance industrielle (CFI).