PERSONNALITES, UNIVERSITES

« Je veux porter encore plus haut Paris Dauphine à l’international » : Isabelle Huault

 Elue le 8 décembre présidente de l’université Paris-Dauphine, Isabelle Huault entend continuer la politique de son prédécesseur, Laurent Barsch, tout en insistant encore plus sur la dimension internationale de son établissement. Entretien tout juste après une élection aux allures de plébiscite.

Olivier Rollot (@O_Rollot) : Vous venez d’être élue à la présidence de Paris-Dauphine en étant la seule liste présentée devant les trois conseils. C’était vraiment une telle responsabilité de succéder à l’emblématique Laurent Batsch, président de Paris-Dauphine depuis 9 ans, que vous avez été la seule à oser relever le défi ? 

Isabelle Huault : Je n’ai pas présenté la seule liste. L’élection du Président se faisaint en deux temps, de nombreuses listes se sont présentées aux élections des conseils centraux. Mes listes ont obtenu de bons scores. D’autres candidats n’ont alors pas souhaité se présenter à l’élection à la Présidence. Quant au départ de Laurent Batsch : il a incarné l’institution pendant 9 ans.  C’est une figure très importante à laquelle les personnels et les étudiants étaient attachés. Maintenant le secteur de l’enseignement supérieur évolue extrêmement rapidement et nous avons de nouveaux défis à relever.

O. R : Quel regard jetez-vous sur votre université et qu’est-ce que vous voulez lui apporter de plus maintenant ?

I. H : Nous sommes très bien positionnés en France et en Europe dans le domaine des sciences des organisations et de la décision. Maintenant je veux porter encore plus haut Paris Dauphine à l’international. Tous les étudiants doivent être exposés à l’international, que ce soit par des séjours d’études ou lors de semestres délocalisés que nous proposons à New York et Shanghai, par exemple, ou avec un double diplôme à Mannheim etc. Pour cela nous allons proposer plus de bourses de mobilité internationale.

Nous allons également amplifier notre coopération avec un groupe de six grandes universités qui sont à notre image, fortement ancrées dans une perspective pluridisciplinaire (Copenhagen Business School, Fundação Getulio Vargas au Brésil, Singapore Management University, University of Saint Gallen, Wien Wirtschafts Universität, ESADE à Barcelone) avec lesquelles nous avons fondé « The Alliance ». Comme nous elles sont différentes des business schools « classiques » avec un projet qui consiste d’abord à former des citoyens.

Le corps professoral doit également s’internationaliser que ce soit en recrutant des professeurs étrangers (ils représentent 20% de nos effectifs aujourd’hui) ou en exposant de plus en plus nos professeurs à l’international. Enfin nous voulons recevoir davantage d’étudiants étrangers dès la licence (ils représentent aujourd’hui 13% des effectifs et viennent essentiellement des lycées français à l’étranger) et encore plus en master où ils sont aujourd’hui 20%.

O. R : Pour être reconnu à l’international il faut être bien placé dans les classements et notamment celui du Financial Times. Comment pensez-vous y progresser ?

I. H : Pour l’instant nous sommes classés uniquement sur un master en management. Nous ne rentrons pas exactement dans le spectre des classeurs en étant à la fois une université et une grande école. Mais cela n’empêche pas de réfléchir aux moyens d’y progresser mais sans que cela soit jamais l’alpha et l’oméga de notre stratégie. Par ailleurs nous avons été classés par QS au 2ème rang des établissements français qui donnent la meilleure employabilité à leur étudiant. Nous pourrons également progresser en nous appuyant sur notre Communauté d’universités et d’établissements (Comue) Paris Sciences et Lettres (PSL) qui serait entre le 20 ième et le 25ème rang mondial du « Classement de Shanghai » si elle était classée comme un seul établissement. Paris Dauphine est d’ailleurs déjà classée dans le domaine « mathématiques » auquel nous apportons plusieurs médailles Fields (Cédric Villani par exemple) alors que le Prix Nobel d’économie, Jean Tirole, a réalisé sa thèse chez nous.

O. R : Dauphine est également accrédité Equis pour la qualité de ses cursus en management. Pensez-vous un jour postuler pour obtenir l’accréditation américaine de l’AACSB (Association to Advance Collegiate Schools of Business) ?

I. H : Equis nous suffit en termes d’accréditation de l’université. C’est une très belle reconnaissance pour Paris-Dauphine qui a été réacréditée pour 5 ans en 2015. Et c’est un énorme travail à chaque fois de répondre aux accréditeurs, surtout pour nous qui sommes également audités par le HCERES (Haut Conseil de l’évaluation de la recherche et de l’enseignement supérieur). En revanche, , nous allons regarder comment obtenir l’accréditation Amba pour notre programme MBA (master of business administration).

O. R : Vous le disiez, vous êtes à la fois une grande école, membre de la Conférence des grandes écoles, et une université au statut particulier de « grand établissement ». Qu’est-ce que cela vous apporte ?

I. H : Notre double présence à la Conférence des grandes écoles et à la Conférence des présidents d’université marque bien notre hybridation. Quant au statut de grand établissement il nous donne une plus grande autonomie et une grande capacité d’action. Ce qui est particulièrement important dans un contexte de plus en plus compétitif. 

O. R : Quels sont vos grands concurrents ?

I. H : La Bocconi en Italie, Saint-Gallen en Suisse, etc. En France Paris-Dauphine est très compétitive face aux classes préparatoires. L’année dernière nous avons pu constater que la majorité des étudiants que nous recevions en première année avaient été admis dans des classes préparatoires et beaucoup dans les meilleures.

O. R : Quels autres points avez-vous particulièrement mis en avant dans votre programme ?

I. H : Nous voulons faire de Paris Dauphine une université encore plus responsable. Nos étudiants sont très bien équipés professionnellement et il faut leur donner d’autres compétences d’analyses, un savoir distancié vis à vis des technologies, autant de dimensions qui passent par la transversalité des enseignements, des mathématiques aux sciences politiques.

Cela passe également par une organisation interne qui facilite le dialogue social et la collégialité. Je vais d’ailleurs proposer au Conseil d’Administration d’élire un vice-président en charge de la responsabilité sociale de l’université.

O. R : Vous pensez également encore développer le programme « égalité des chances » de Dauphine ?

I. H : Ce programme fait partie de notre responsabilité sociale et nous souhaiterions l’étendre à des lycées partenaires en régions pour améliorer notre diversité. Nos enseignant-chercheurs sont mobilisés pour aller soutenir des lycéens et les aider à intégrer l’enseignement supérieur mais, s’ils rejoignent Dauphine, c’est forcément dans les mêmes conditions que tous les autres étudiants. Nous bénéficions pour cela de l’aide de notre fondation et de KPMG, Unilever et plus récemment Atalian et Enerlis.

O. R : La dimension écologique, le développement durable, seront-ils également des priorités ?

I. H : A partir de 2019 nous allons transformer le campus avec de nouveaux bâtiments qui prendront en compte la transition écologique. Au-delà de cette dimension, un campus incarne l’université. Il permet la socialisation au travers de salles de classes adaptées aux nouvelles pédagogies, de nouveaux espaces comme des Fablab à créer.

O. R : L’innovation est aussi au cœur de votre projet ?

I. H : Paris Dauphine a été d’abord une université expérimentale dont on doit conserver l’ADN. Notre transformation pédagogique s’incarne dans des projets menés par notre Centre d’innovation pédagogique. Des projets qui ne se limitent pas aux aspects numériques. Nous voulons avancer sur des projets plus transversaux mêlant par exemple maths et sciences humaines et sociales comme quand nos professeurs de statistiques enseignent les Big Data aux étudiants en journalisme. Avec l’université de Pise, nous développons également des « Peace studies » pour former des experts internationaux à la fois aux dimensions géopolitiques et économiques des grandes questions contemporaines.

Nous souhaitons également encore développer les projets de création d’entreprise au sein de notre incubateur D-Start qui permet à nos étudiants de créer leur entreprise pendant leurs études.

O. R : Vos étudiants ont justement la réputation d’être très dynamiques !

I. H : Cela se mesure notamment par leur engagement associatif. SPI Dauphine, La Plume, Dauphine Discussion Débat … ils sont engagés dans quarante associations. Ce sont autant d’occasions de développer leurs compétences professionnelles et nous souhaiterions pouvoir demain inscrire ces expériences dans leurs cursus.

O. R : Vous pensez augmenter le nombre de vos étudiants dans les années à venir ?

I. H : Pas en France tout simplement parce que nous sommes limités par nos bâtiments comme par notre modèle qui repose sur l’enseignement en petits groupes et demande donc beaucoup d’enseignants. Nous allons donc en rester en France à sensiblement 10 000 étudiants qui sont essentiellement en masters (7200) car nous voulons recruter des profils très divers tout en favorisant le passage de nos étudiants de licence vers nos masters.

A l’international nous avons maintenant quatre implantations avec 120 à 130 étudiants à Londres, 200 à Tunis (en premier cycle), 30 à Madrid, où nous venons d’ouvrir, et bientôt des étudiants à Casablanca où nous proposons de la formation continue. Nous allons d’ailleurs créer un comité de pilotage de ce développement international pour mieux le structurer et lui donner une meilleure visibilité.

O. R : Dauphine est une université dont les frais sont significativement plus élevés que les autres. Pensez-vous encore les augmenter dans les années à venir ?

I. H : Plus élevés par rapport aux universités mais bien plus faibles que d’autres établissements comparables. En licence les étudiants déboursent entre 0 et 2500€ (un tiers ne paye même pas les droits universitaires) et en master entre les droits nationaux et 6000€ modulés selon les revenus des parents. Aujourd’hui je ne souhaite pas entrer dans une surenchère sur ces droits dont on voit où elle peut mener aux Etats-Unis où le surendettement étudiant est devenu un problème national. Nous sommes également très actifs dans le développement des formations en apprentissage.

O. R : Les étudiants étrangers payent-ils les même droits que les Français ?

I. H : Aujourd’hui ils payent le maximum et je souhaite là aussi pouvoir moduler ces droits en fonction des revenus de leurs parents pour permettre à des étudiants étrangers plus nombreux de nous rejoindre.

O. R : On sait que plusieurs universités sont cette année en déficit. Dauphine se porte bien financièrement ?

I. H : Nous subissons comme tous des tensions sur notre financement mais nous sommes toujours parvenus à ne geler aucun poste contrairement à beaucoup d’universités. Nous sommes aujourd’hui très attentifs à créer de nouvelles ressources.

O. R : Vous faites partie des universités qui ont déjà le plus développé leur formation continue. Pensez-vous pouvoir aller encore plus loin ?

I. H : Elle représente effectivement aujourd’hui 13 M€ sur un budget de 115 mais nous pensons encore pouvoir la développer notamment en montant en gamme. Dans mon programme je propose d’ailleurs qu’elle soit installée dans de nouveaux bâtiments pour offrir aux apprenants une meilleure logistique et une intendance de meilleure qualité.

O. R : Vous êtes un des principaux membres de la Comue PSL. Le jury des Idex a prorogé de plusieurs mois la validation de votre projet. Comment voyez-vous son évolution et la place que doit y occuper Dauphine ?

I. H : Pour ce qui est de l’Idex, nous travaillons à répondre au jury pour montrer notre volonté d’avancer vers une université intégrée. Pas fusionnée, intégrée ! En tant que membre fondateur nous voulons y jouer un rôle moteur avec toujours un principe de subsidiarité et des compétences mutualisées. Demain nous passerons sans doute à une diplomation commune aux niveaux licence et master.

Au sein de PSL nous sommes un ensemble d’établissements très singuliers qui ont tous en commun de donner une grande place à la recherche et d’être très sélectifs. Nous venons de créer ensemble une école de la mode et nous travaillerons également sur la création de doubles diplômes avec les écoles d’ingénieurs de PSL. Il reste maintenant à inventer notre modèle d’université intégrée.

 

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Olivier Rollot est directeur du pôle Information & Data de HEADway Advisory depuis 2012. Il est rédacteur en chef de "l’Essentiel du Sup" (newsletter hebdomadaire), de "l’Essentiel Prépas" (webzine mensuel) et de "Espace Prépas". Ancien directeur de la rédaction de l’Etudiant, ancien rédacteur en chef du Monde Etudiant, Olivier Rollot est également l'un des experts français de la Génération Y à laquelle il a consacré un livre : "La Génération Y" (PUF, 2012).

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