ECOLE D’INGÉNIEURS

«La question de la personnalité morale et juridique est un faux problème»: Jacques Fayolle (Cdefi)

Président par intérim pour la deuxième fois de la Conférence des directeurs des écoles françaises d’ingénieur (Cdefi), le directeur de Télécom Saint-Etienne, Jacques Fayolle hérite de nombreux sujets brulants. Rapprochements d’universités, Parcoursup, nouveau bac, stratégie internationale de l’enseignement supérieur, il fait le point avec nous.

Jacques Fayolle

Olivier Rollot : Universités et Grande écoles sont une nouvelle fois appelées à se rapprocher dans le cadre de nouveaux « regroupements », « universités expérimentales » ou encore « grands établissements ». Comment la Cdefi juge-t-elle cette énième tentative de créer des structures susceptibles de laisser aux unes et aux autres la latitude nécessaire à leur développement ?

Jacques Fayolle : On se cristallise aujourd’hui sur la structuration des sites dans le cadre des expérimentations mais ils peuvent aussi s’articuler avec des structures nationales. C’est le cas de l’Institut Mines Télécom (IMT) – qui regroupe des établissements sur tout le territoire – dont certaines écoles s’articulent avec l’Institut polytechnique de Paris. La construction de ces nouveaux regroupements ne doit pas signifier pour les écoles une perte de prérogatives ou d’agilité mais, au contraire, un relais de croissance.

La Cdefi a justement créé un groupe de travail chargé de réfléchir aux prérogatives des écoles d’ingénieurs au sein des nouveaux établissements expérimentaux qui sont en train de se créer. Nous allons bientôt en parler avec la Conférence des présidents d’université. Est-ce qu’on veut se projeter dans un système de formation vertueux pour répondre aux besoins des entreprises ? On ne voit pas l’établissement de la même façon à l’international et avec l’entreprise de proximité  !

O. R : Mais on en revient aussi toujours à la question de la personnalité morale et juridique que souhaitent conserver les Grande écoles dans ces regroupements…

J. F : La question de la personnalité morale et juridique est un faux problème. Le vrai problème ce sont les leviers de décision. Il faut savoir gérer une subsidiarité graduelle. Il faut réfléchir à ce que peut recevoir chaque entité seule – un petit chèque – quand en commun elle peut créer une chaire de 10 millions d’euros avec des très grandes entreprises (comme Google ou d’autres). Être présent dans les sites c’est créer une politique de réseau. Mais il faut aussi travailler sur le marketing de l’offre pour lutter contre la spécialisation des territoires. C’est ce que font par exemple les écoles centrales, le groupe Insa ou l’IMT.

O. R : On a le sentiment que l’enseignement supérieur français est un chantier perpétuel…

J. F : Effectivement l’enseignement supérieur français a du mal à se stabiliser. Or à l’international les systèmes qui fonctionnent bien reposent sur des marques qui ont 100 ou 200 ans. Nous ne pouvons pas nous projeter dans la durée tout en passant notre temps à faire du Meccano administro-politique. Les universités expérimentales ne peuvent pas être des universités telles qu’elles sont aujourd’hui. Elles doivent laisser aux écoles les leviers nécessaires pour réaliser leurs missions. Sinon nous resterons dans une dualité pérenne avec des formations universitaires qui essayent de faire au mieux avec des taux de réussite en premiers cycles très bas.

O. R : Il n’y a pas que l’enseignement supérieur qui soit en perpétuelle évolution. C’est aussi le cas de l’enseignement secondaire avec une réforme du lycée et du bac qui se répercutera dans vos écoles dès 2021. Est-ce un sujet que la Cdefi aborde déjà ?

J. F : Nous sommes bien conscients que nous allons recevoir des étudiants dont le profil scientifique sera différent de celui d’aujourd’hui. On nous dit qu’ils seront meilleurs en sciences mais nous n’en sommes pas moins inquiets des choix de spécialités qu’ils vont effectuer en seconde. Ces choix peuvent être biaisés socialement selon qu’un élève possède ou pas les codes nécessaires pour bien se renseigner sur ce à quoi mènent ou pas chaque spécialité. Le risque c’est de choisir une spécialité parce qu’un professeur est plus sympa. Ou pour être toujours avec ses amis.

Dans nos écoles nous allons effectuer un vaste travail pour mettre en adéquation nos premiers cycles en 2021 et bien recevoir les élèves issus de classes préparatoires en 2023. Aujourd’hui nous recevons des bacheliers S bien calibrés dont beaucoup sont passés par des classes préparatoires MP, PC, BCPST etc. Demain il faudra s’adapter à des profils un peu différents.

Les classes préparatoires intégrées auront particulièrement une carte à jouer. La vision par compétences, en adéquation avec le marché de l’emploi, doit pouvoir être répliquée dès les premiers cycles. Avec la fin des cursus monolithiques un étudiant pourra avoir fait très peu de physique au lycée, ou même pas du tout, et acquérir les compétences nécessaires au sein de l’école quitte à recevoir moins de cours d’autres thématiques par exemple. Il faut aussi voir cette réforme comme une opportunité d’accueillir des profils différents de qualité.

O. R : Vous travaillez avec les classes préparatoires scientifiques à ces évolutions ?

J. F : Nous pouvons faire facilement évoluer les cursus des écoles qui maîtrisent leurs classes préparatoires intégrées. Avec les classes préparatoires nous travaillons au sein d’un groupe de travail en lien avec la Conférence des grandes écoles. Mais il faut également que les concours évoluent. Si le thermomètre change ce sera plus facile d’évoluer en amont.

O. R : Certains au sein des classes préparatoires préconisent la création d’une nouvelle filière plus spécialisée en informatique. Qu’en dites-vous ?

J. F : Nous préconisons plutôt d’instiller plus d’informatique et de numérique dans toutes les filières. Il ne faut pas sectoriser l’informatique. Aujourd’hui une école d’ingénieur en biotechnologies a besoin de recruter des jeunes qui maîtrisent les données.

O. R : On n’en parle pas trop cette année. Êtes-vous satisfait des évolutions de Parcoursup après des débuts un peu chaotiques en 2018 ?

J. F : On s’est recalé sur un système qui devrait donner globalement satisfaction. Parcoursup a les vertus d’une plateforme nationale transparente. Nous n’avons pas toujours la visibilité que nous souhaiterions mais nous nous adaptons. Nous étions inquiets de l’impact que pourrait avoir l’anonymisation des candidatures sur nos processus de recrutement mais nos écoles testent toujours l’appétence des candidats lors d’entretiens.

O. R : On parle constamment d’un déficit du nombre d’ingénieurs formés en France. Pourquoi ce nombre n’évolue-t-il pas ?

J. F : Nous aimerions diplômer plus de jeunes mais nous n’avons pas les moyens nécessaires pour cela alors que des fédérations professionnelles, telles l’UIMM ou le Syntec, parlent d’un besoin d’expansion de l’ordre de 30%. C’est à dire 10 à 15 000 ingénieurs en plus diplômés chaque année. Ce sont des choix politiques. Dans une société de la connaissance c’est aujourd’hui qu’il faut investir dans la formation des cadres des années 2030-2040.

Pour le monde de la formation le rapprochement avec les entreprises, par exemple au travers de chaires, est un levier de croissance important. Comme le développement de l’apprentissage. C’est un système où nous nous positionnons comme un fournisseur en co-construction. Très clairement, le principal frein à l’augmentation du nombre de diplômés ingénieurs en France est la question des moyens dévolus aux écoles.

O. R : Certains bachelors pourraient se voir bientôt attribuer le grade de licence. C’est important pour les écoles ?

J. F : Nous voudrions décaler le modèle en favorisant des sorties professionnelles dès bac + 3 pour répondre aux attentes des entreprises. Donner le grade de licence aux bachelors professionnalisants pourrait favoriser une entrée plus rapide sur le marché du travail alors qu’aujourd’hui la grande majorité des titulaires des meilleurs bachelors – ceux qui pourraient justement prétendre au grade – poursuivent leur cursus. Avoir un grade de licence permet aussi d’imaginer une reprise d’études ultérieure et de s’inscrire dans une logique de formation tout au long de la vie, logique qui n’est pas encore entrée dans les codes culturels français.

Dès 2020 pourraient ainsi être formés des assistants ingénieurs susceptibles ensuite d’évoluer. Sinon on fait ce que font les écoles type « école 42 » : former seulement à un corpus technologique maîtrisé en étant incapable d’évoluer. Le grade de licence pourrait lui permettre de se reconfigurer toute sa vie.

O. R : La question du coût des études d’ingénieur reste un tabou dès lors qu’on parle des écoles sous tutelle du ministère de l’Enseignement supérieur, de la Recherche et de l’Innovation. Ailleurs, au sein de l’IMT par exemple, ils dépassent déjà les 2700€ par an. Sans parler des écoles privées où ils frôlent souvent les 10 000€. Quelle est la position de la Cdefi à ce sujet ?

J. F : Tout en restant loin du coût réel de la formation, faut trouver un équilibre entre des études pseudo-gratuites et un investissement un peu plus fort des usagers. Passer de 610€ par an à 2500€ cela signifie un investissement supplémentaire pour l’usager de 6000€ sur la durée du cycle ingénieur. Si cela permet de faire grandir l’école tout en proposant un meilleur service à l’étudiant cela se justifie.

O. R : On approche de la conclusion du montant du « coût contrat » des apprentis, c’est à dire du moment auquel le tout nouvel organisme de gestion de la formation professionnelle, France Compétences, rétribuera les établissements pour la formation des apprentis. Les montants qu’on évoque vous paraissent-ils acceptables ?

J. F : Les écoles d’ingénieurs sont plutôt satisfaites dans la mesure où un montant aux alentours de 10 000€ par apprenti et par an correspond presque aux 10 190€ que nous avions évoqué fin 2018. Nous restons très concentrés sur l’ensemble des évolutions à venir dans le cadre de la mise en œuvre de cette loi.

O. R : Un tout nouvel échelon hiérarchique de « recteur délégué à l’enseignement supérieur » est en passe d’être créé. Quel rôle pourrait-il jouer ?

J. F : La question reste entière : comment ces nouveaux recteurs vont-ils construire leur poste ? Ajouter une couche administrative intermédiaire c’est tout sauf ajouter de l’agilité ! Et pourquoi sectoriser l’enseignement supérieur par rapport aux autres missions des rectorats alors que les écoles d’ingénieurs sont à l’interface formations / entreprises ?

O. R : Autre question d’actualité : l’augmentation des droits de scolarité des étudiants extra-communautaires voulue par le gouvernement. Cela vous paraît-il une mesure souhaitable ?

J. F : La question est de savoir si une famille qui paye des impôts en France doit être traitée de la même façon que celle d’étudiants qui viennent consommer de la formation en France ? C’est une question politique. C’est aussi une question de moyens pour accueillir les étudiants étrangers. Celle-ci va être évaluée par l’obtention du label « Bienvenue en France ». Un énième label qui va être évalué par une nouvelle commission – avec des coûts associés de 2500€ par an et par établissement – alors qu’une grande partie des éléments pris en compte le sont déjà par la Commission des titres d’ingénieur (CTI). Nous aurions d’ailleurs préféré nous positionner sur un label international déjà existant en Europe, le label Cequint. Ce serait plus efficace que de créer une énième certification. Pour autant il nous sera difficile de rester en dehors du jeu.

Surtout cela ne doit pas masquer le chantier de la façon dont nous nous projetons à l’international pour y faire de la formation. Comment nous devons aller vers de nouveaux marchés. En particulier en Afrique où ne nous sommes pas assez ambitieux.

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Olivier Rollot est directeur du pôle Information & Data de HEADway Advisory depuis 2012. Il est rédacteur en chef de "l’Essentiel du Sup" (newsletter hebdomadaire), de "l’Essentiel Prépas" (webzine mensuel) et de "Espace Prépas". Ancien directeur de la rédaction de l’Etudiant, ancien rédacteur en chef du Monde Etudiant, Olivier Rollot est également l'un des experts français de la Génération Y à laquelle il a consacré un livre : "La Génération Y" (PUF, 2012).

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