CLASSEMENTS / PALMARES

Mesdames, Messieurs les « classeurs » il est temps d’évoluer !

En publiant la semaine dernière son premier University Impact Rankings, le Times Higher Education a montré la voie à une nouvelle forme de classements. Au lieu de s’appuyer sur des critères purement académiques ou de réussite sociale ce grand média de l’enseignement supérieur a décidé de prendre en compte le respect par les établissements d’enseignement supérieur de 11 des Sustainable Development Goals définis par l’ONU. Santé, qualité de l’éducation, impact sur le climat, égalité des chances sont autant de critères qui ont permis de totalement bouleverser les hiérarchies habituelles. Et ainsi de répondre aux attentes d’une génération qui entend donner du sens à sa vie, on le savait déjà depuis quelques années, mais de plus en plus et surtout à réveiller les consciences pour la planète comme l’ont récemment prouvé les étudiants signataires du Manifeste étudiant pour un un réveil écologique. Les « classeurs » français doivent eux-aussi maintenant s’emparer du sujet.

Ce que dit le Times Higher Education

Un classement fondé sur de tous nouveaux critères rebat forcément les cartes. Classée dans le groupe 201-250 des meilleures universités mondiales sur un plan académique, c’est l’université d’Auckland qui l’emporte sur le plan de l’impact – elle est notamment 3ème mondiale pour son impact climatique – devant les canadiennes McMaster et British Columbia (respectivement 77ème et 37ème dans le classement « classique »).

Du côté français c’est l’université d’Aix-Marseille qui se classe au meilleur rang – mais seulement 43ème – devant deux établissements de la ville sans doute la plus impliquée dans le sujet : Centrale Nantes et l’université de Nantes (toutes deux dans le groupe 101-200). Première université asiatique l’université de Hong Kong est 10ème, première université européenne, l’université d’Helsinki est 15ème, première université américaine l’université North Carolina at Chapel Hill n’est que 24ème.

La prise de conscience des étudiants

Venu ouvrir le colloque où étaient présentés les résultats de l’étude Mobiliser l’enseignement supérieur pour le climat du Shift Project le 25 mars dernier le directeur général de l’ENS Paris, Marc Mézard remarquait : « En quelques promotions le sensibilité aux questions de climat et d’énergie est devenue très importante auprès des étudiants. Cela nous enjoint à aller plus loin dans l’offre de cours ». Et Lalie Ory, l’une des auteurs du Manifeste étudiant pour un réveil écologique et étudiante à l’ENSTA ParisTech, expliquait : « Avec notre manifeste nous avons d’abord voulu nous adresser aux entreprises. Aujourd’hui c’est également aux universités et Grandes écoles que nous demandons d’enseigner la transition énergétique ». « Beaucoup de nos diplômés veulent aller plus loin que seulement bien gagner leur vie et cherchent des entreprises qui donnent du sens », confirme André Sobczac, directeur académique d’Audencia BS et titulaire de la chaire RSE depuis 2012.

Et voilà les classeurs confrontés à un nouveau défi : répondre aux attentes d’une génération qui se dit par exemple prête à « questionner notre zone de confort pour que la société change profondément ». Une génération qui challenge de plus en plus les établissements d’enseignement supérieur sur leurs pratiques et leurs enseignements. « La RSE était déjà dans la vision initiale des Insa et nous travaillons même à la constitution d’un éco-campus. Nos étudiants nous ont poussé à mettre en avant ces problématiques en faisant même signer une charte d’engagement à notre directeur avant son deuxième mandat », témoignait ainsi Carole Plossu, directrice générale de l’Institut Gaston Berger de l’Insa Lyon lors du dernier congrès de la Conférence des grandes écoles, avant d’insister. Des efforts qu’on retrouve dans beaucoup d’établissements. Le groupe INSEEC U. se classe par exemple au premier rang des établissements d’enseignement supérieur français pour ses efforts en matière de protection de l’environnement dans le ranking international UI GreenMetric (72e sur 719 universités au niveau mondial).

Comment créer des indicateurs fiables?

Le diagnostic est clair : les nouvelles générations d’étudiants attendent plus d’informations pour choisir leur université ! Question n°1 : mais comment faire pour créer des indicateurs fiables ? Le Times Higher Education (THE) s’est essentiellement appuyé sur les données apportées par les universités. Or on sait combien les établissements, passée la phase initiale d’un intérêt relatif, sont susceptibles d’enjoliver leurs résultats dès lors qu’ils ont un impact fort sur leur recrutement. Il faudra donc rapidement passer à des indicateurs vérifiables si on veut établir des classements fiables. Et il y en a : le label Développement Durable & Responsabilité Sociétale (DD&RS) a ainsi été créé par la CPU et la CGE pour valoriser des établissements impliqués dans la RSE (ils sont dix aujourd’hui à avoir obtenu le label). Le Réseau français des étudiants pour le développement durable (Refedd) « œuvre pour des campus durables ».

Réunis au sein du programme Principles for Responsible Management Education (PRME) de l’ONU des enseignants-chercheurs issus de près de 700 business schools dans le monde (dont 32 en France) travaillent depuis 2007 à en faire émerger des principes dans leurs programmes (PRME commence également à travailler avec des écoles d’ingénieurs). Audencia BS a ainsi créé un laboratoire « Business and Society » qui rassemble 25 professeurs, soit un quart de la faculté. « Nous ne donnons plus de cours 100% dédiés mais nous cherchons des professeurs qui ont un véritable intérêt pour le sujet, que ce soit pour un cours de finance, de comptabilité, de marketing ou de RH », confie André Sobczac. En tout 10% des cours d’Audencia sont liés à la RSE (responsabilité sociale des entreprises). Une implication telle qu’elle a donné lieu, en 2010, à la signature d’un partenariat avec le World Life Fund.

Enfin un test permet de mesurer l’impact de la RSE chez les étudiants comme dans les entreprises. Créé par un chercheur français de Kedge, Jean-Christophe Carteron, le Sulitest est aujourd’hui une sorte de TOEFL de la RSE qui a été passé par 115 000 personnes à ce jour dans le monde. « Si Kedge est aujourd’hui devenue une référence mondiale sur le développement durable et la RSE , c’est qu’elle a construit sa légitimité sur une approche virale intégrant ces notions dans la recherche, la pédagogie ou la gestion de ses campus. C’est aussi grâce à sa volonté de porter des projets internationaux comme le Sulitest  ou plus récemment avec le lancement de l’antenne française du réseau SDSN (Sustainable Development Solutions Network) de Jeffrey Sax qui a pour mission de diffuser les objectifs du développement durable portés par l’ONU », explique son. directeur général, José Milano

Très en pointe sur le sujet la mairie de Nantes favorise d’ailleurs les entreprises qui respectent pas moins de 35 critères RSE qu’Audencia a contribué à lister et à mesurer. Cela va des émissions de CO2 aux accidents du travail en passant par la diversité, les conflits sociaux, les amendes. « Il faut être responsable au sens large, durable, et c’est compliqué à estimer mais pas impossible », estime André Sobczac.

Mais au fait à quoi servent les classements ?

Les étudiants veulent de nouveaux indicateurs, on peut les définir, mais comment les introduire dans les classements ? Bien sûr on peut faire comme le THE et créer un classement à part – très médiatique – mais il semble plus intéressant d’introduire une dose de RSE dans tous les rankings. Aujourd’hui on classe les établissements selon trois ou quatre critères : essentiellement la valeur académique, l’impact international, les relations entreprise et l’insertion professionnelle. Sur le modèle des onze goals retenus par le THE un grand critère RSE pourrait s’y ajouter.

Mais quel pourcentage lui affecter ? Selon le cabinet Universum même si les étudiants accordent une importance croissante à tous les critères liés à la RSE, à l’éthique et à l’égalité, « ils n’en font pas encore un critère déterminant dans leur choix d’employeur, postulant en priorité pour des secteurs d’activité ou des entreprises qui les font rêver plutôt que pour des employeurs éthiques ». Classer des établissements d’enseignement supérieur ce n’est pas facile. Classer des établissements à l’ère d’un profond changement d’attitude des étudiants cela va être très difficile.

  • La plate-forme www.sustainabilityperformance.org réunit des centaines d’initiatives consacrées au développement durable dans l’éducation dans le monde entier.

 

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Olivier Rollot est directeur du pôle Information & Data de HEADway Advisory depuis 2012. Il est rédacteur en chef de "l’Essentiel du Sup" (newsletter hebdomadaire), de "l’Essentiel Prépas" (webzine mensuel) et de "Espace Prépas". Ancien directeur de la rédaction de l’Etudiant, ancien rédacteur en chef du Monde Etudiant, Olivier Rollot est également l'un des experts français de la Génération Y à laquelle il a consacré un livre : "La Génération Y" (PUF, 2012).

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