ECOLES DE MANAGEMENT, PORTRAIT / ENTRETIENS

« La recherche est l’un des piliers majeurs de l’activité des écoles de management »: entretien avec Delphine Manceau, directrice générale de Neoma

La recherche occupe une part majeurs dans l’activité des grandes business schools. Sans recherche point de salut si on veut se comparer à l’international. Mais cette recherche est-elle toujours efficace ? Le regard de la directrice générale de NEOMA BS, Delphine Manceau, qui vient de présenter le nouveau plan stratégique de son école et d’être élue au board de l’AACSB (Association to Advance Collegiate Schools of Business)

Olivier Rollot : Pour avoir de l’impact les écoles se concentrent sur certaines aires de recherche. A NEOMA quelles sont-elles ?

Delphine Manceau : Effectivement, la recherche est l’un des piliers majeurs de l’activité des écoles de management. Et naturellement, c’est le cas à NEOMA ! Nous soutenons une recherche d’excellence capable d’alimenter les débats sur les problématiques des entreprises et sur les enjeux de société, qu’ils soient actuels ou à venir. Pour cela, nous avons structuré notre activité de recherche autour de 4 pôles d’excellence pluridisciplinaires qui mobilisent aujourd’hui 180 professeurs et comptabilisent plus de 300 projets de recherche en cours. Cette approche pluridisciplinaire, qui est relativement distinctive, offre à nos chercheurs un large champ d’expression avec des travaux autour des défis actuels, comme en témoigne la liste des 4 pôles :

– Le pôle « The World We Want » repose sur les 17 objectifs de développement durable définis par les Nations Unies. Ses recherches analysent comment les entreprises et les organisations peuvent contribuer à bâtir une société plus durable et inclusive. Je pense notamment à la diversité, l’égalité ainsi qu’à l’entrepreneuriat social et la durabilité par exemple. Ce pôle abrite d’ailleurs notre « Chaire Bioéconomie et Développement Soutenable » qui décode les leviers et les freins de la transition écologique.

– Le pôle « Future of Work » abrite une recherche qui analyse les transformations actuelles des entreprises et du monde du travail et la manière dont elles vont bouleverser les organisations et le management.

– Notre troisième pôle « The Complexity Advantage » se concentre sur les leviers permettant de transformer la complexité de l’environnement dans lequel nous évoluons en avantage pour les entreprises. Ici, la complexité croissante des marchés, des modèles économiques, des formes d’organisation, des chaînes de valeur et d’approvisionnement, ainsi que les nouveaux comportements des individus sont au cœur des investigations académiques.

– Enfin, nous nous inscrivons dans une ère résolument numérique, où ce sont les données qui changent la donne, et où les leaders doivent impérativement les maitriser pour prendre des décisions appropriées et piloter leurs activités. C’est donc naturellement que nous avons lancé un quatrième pôle intitulé « AI, Data Science & Business » qui éclaire les réflexions des organisations sur la montée en puissance de l’intelligence artificielle et de la data science.

O. R : Comment situez-vous NEOMA face à vos grands compétiteurs internationaux en matière de recherche ?

D. M : Le nombre d’articles de recherche publiés a plus que doublé au cours des 4 dernières années. Le nombre d’étoiles (qui correspond au nombre d’articles pondéré par la qualité des revues de publication, 4 étoiles pour les meilleures et jusqu’à une étoile) a, quant à lui, été multiplié par 2,5. Cette montée en puissance porte donc sur le volume d’articles publiés mais plus encore sur la qualité des papiers produits. Cette évolution nous permet aujourd’hui de nous comparer aux meilleures institutions européennes, et cela se traduit aussi dans une plus forte attractivité sur le marché de l’emploi académique, si j’en juge par le profil des chercheurs désireux de nous rejoindre.

De même que le succès de nos événements académiques à l’image de notre conférence DySES 2022 réalisée il y a deux mois sur le thème de « La résolution de problèmes complexes » et qui a rassemblé un public académique de premier rang sur notre campus de Rouen. NEOMA est une institution qui compte sur la scène académique internationale. Preuve en est, l’Université de Stanford vient de publier son nouveau classement des 2% de scientifiques les plus influents au monde, tous domaines confondus : cinq professeurs de NEOMA figurent dans la célèbre liste !

O. R : Comment cette recherche s’appuie-t-elle sur des chaires de recherche ou des missions pour des entreprises ?

D. M : Nous travaillons beaucoup sur la notion d’impact de notre production académique. Cela se traduit par exemple par des synergies avec les acteurs économiques de nos territoires. Ainsi, notre Chaire Bioéconomie et Développement Soutenable, basée à Reims, travaille sur des sujets importants pour la transition écologique des entreprises, de l’agriculture et de l’économie locales, et ce avec le soutien de nombreux acteurs du territoire (Grand Reims, Région Grand Est, Fondation Paris Reims, Caisse d’Epargne Grand Est Europe…).

Nous avons également depuis plusieurs années une collaboration étroite avec Enedis que nous accompagnons dans l’identification de nouvelles modalités managériales pertinentes dans un contexte marqué par la transition digitale. Nos travaux, très orientés dans une démarche de « recherche-action », enrichissent d’ailleurs une formation que nous leur dispensons sur le thème du « Management dans la complexité et l’incertitude ».

O. R : L’un de vos quatre grands axes est « The World We Want ». Comment les business schools peuvent-elles s’impliquer dans des transitions qui, à bien des aspects, entrent en contradiction avec les fondamentaux de la pensée économique ?

D. M : Le rôle de la recherche est précisément d’analyser cette supposée contradiction et de redéfinir les fondamentaux de la pensée autour du business. Tout l’enjeu de « The World We Want » est d’analyser comment dépasser cette apparente contradiction. En construisant ce pôle, nous sommes partis des objectifs de développement durable identifiés par les Nations Unies que nous avons regroupés en quatre axes : inclusion/égalité/diversité ; entrepreneuriat social ; finance durable, santé et bien-être ; et développement durable.

Ces réflexions alimentent ensuite les cours et contribuent à faire réfléchir les futurs managers qui pourront faire évoluer les pratiques des entreprises. La conférence dédiée à « La finance au service du bien commun », avec des universitaires internationaux et des représentants professionnels de premier rang, s’inscrivait typiquement dans cet objectif, en stimulant un dialogue concret entre managers et chercheurs.

O. R : On parle depuis longtemps de « publish » or « perish » pour la carrière des enseignants-chercheurs. Comment la recherche impacte-t-elle les carrières de vos enseignants-chercheurs ?

D. M : Vaste sujet décrypté avant nous dans les années 1980 par David Lodge dans ses romans qui dépeignent avec humour – et un certain fond de vérité – les milieux universitaires !

Effectivement, le nombre et la qualité des publications conditionnent les évolutions de carrières de nos enseignants-chercheurs, au même titre que les volets « enseignement » et « service ». La publication académique est dans ce sens fondamentale dans une évolution de carrière, en tenant en compte à la fois de l’excellence académique de cette recherche mais aussi de son rayonnement et son impact. C’est pourquoi nous encourageons nos professeurs à participer à des projets collaboratifs à l’échelle nationale ou européenne, car il s’agit là de projets très orientés vers l’impact, vers le changement de pratiques ou vers l’innovation. Gardons toutefois en tête que d’autres professeurs choisissent d’autres trajectoires, plus orientées vers la publication de travaux de diffusion comme les ouvrages, les cas pédagogiques ou la recherche en pédagogie.

O. R : Quelles sont les revues, françaises et internationales, dans lesquelles publier a un impact particulier ?

D. M : L’impact dépend bien sûr de la revue de publication, mais également et peut-être surtout de la manière dont nous diffusons les résultats de la recherche au-delà des milieux académiques. Comment les intégrons-nous dans nos cours ? Comment les diffusons-nous auprès des médias et du grand public ? Quel dialogue ces travaux nous permettent-ils d’engager avec les entreprises ? Nous encourageons nos professeurs à rédiger des versions simples de leurs travaux, centrés non sur la méthodologie mais sur les enseignements qui en ressortent, dans des supports comme The Conversation par exemple. Et aussi à accorder des interviews dans les médias.

O. R : Y publier donne-t-il lieu au versement de primes aux enseignants ?

D. M : La publication dans les revues académiques est un objectif que nous fixons à nos enseignants-chercheurs. Elle est de ce fait effectivement valorisée sur le plan financier.

O. R : On le sait la recherche a pris une importance particulière dans les écoles de management depuis une vingtaine d’années. Jusqu’à devenir un poste de dépense très important. Son impact est-il toujours tel qu’il justifie ces dépenses ?

D. M : Oui, et ce pour plusieurs raisons. D’abord, dans le monde académique, on juge souvent une école au type de revues dans lesquelles publie la Faculté. Une Ecole dont les professeurs publient dans des revues telles que Strategic Management Journal ou Journal of Finance est fortement reconnue sur la scène académique internationale, comme en témoignent les procédures d’accréditation.

Ensuite, la recherche joue un rôle plus important que jamais en ces temps de mutations profondes de nos sociétés : le changement climatique impose de réinventer les modèles de production et d’approvisionnement des entreprises, le digital révolutionne les modes de travail collaboratifs, le big data ouvre de nouvelles manières de conduire l’activité tout en posant des questions sur le plan éthique (protection des données notamment). La recherche aide à questionner et à réinventer ces modèles.

Enfin, elle est indispensable pour orienter les enseignements que nous dispensons. Nous ne formons pas de simples « doers », mais des leaders responsables et éclairés, qui doivent prendre part aux grands changements de l’époque et aider les entreprises à questionner et à relever des défis critiques pour nos sociétés.

O. R : Une petite question plus personnelle : vous-même avez longtemps publié des articles de recherche, des livres. Sur quel thème auriez-vous envie de publier aujourd’hui un article si vous en aviez le temps ?

D. M : Je suis depuis toujours passionnée par les pratiques d’innovation des entreprises, l’interaction marketing et design, la manière dont on crée l’innovation et dont on étudie les marchés émergents qui n’existent pas encore. En ces temps d’innovation digitale et de big data, les pratiques évoluent mais ces questions sont plus cruciales que jamais. Et puis ma pratique de dirigeante d’Ecole me conduit à interroger les processus de décision et la conduite du changement : me voici en train d’évoluer du marketing vers des sujets davantage « organisational behavior » et « leadership » …

 

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Olivier Rollot est directeur du pôle Information & Data de HEADway Advisory depuis 2012. Il est rédacteur en chef de "l’Essentiel du Sup" (newsletter hebdomadaire), de "l’Essentiel Prépas" (webzine mensuel) et de "Espace Prépas". Ancien directeur de la rédaction de l’Etudiant, ancien rédacteur en chef du Monde Etudiant, Olivier Rollot est également l'un des experts français de la Génération Y à laquelle il a consacré un livre : "La Génération Y" (PUF, 2012).

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