ALTERNANCE / FORMATION CONTINUE, POLITIQUE DE L'ENSEIGNEMENT SUPERIEUR

« L’apprentissage doit être aidé et ouvert à tous mais il faut différencier ce qui en fait le prix »: Philippe Grassaud (Entreprises Éducatives pour l’Emploi)

Mais comment financer l’apprentissage et le déficit abyssal de son organisme de financement qu’est France Compétences ? Quelle méthode de calcul des niveaux de prise en charge (NPEC) serait la plus pertinente ? Les réponses de Philippe Grassaud, président de l’association Entreprises Éducatives pour l’Emploi, qui regroupe les principaux acteurs de l’enseignement supérieur privé, et du Groupe Eduservices (lscom, Pigier ou encore Tunon) qui compte 40 000 élèves dont une large majorité d’apprentis. `

Olivier Rollot : Le niveau de prise en charge (NPEC) des formations en apprentissage évolue régulièrement à la baisse depuis un an. Que pensez-vous de la façon dont France Compétences calcule ce montant ?

Philippe Grassaud : Nous estimons en moyenne à 15% la baisse sur ces deux dernières années du niveau de prise en charge.

Ce que nous regrettons, de même d’ailleurs que l’Inspection générale des finances (IGF) et l’Inspection générale des affaires sociales (Igas) dans le rapport qu’elles viennent de publier sur les Modalités de financement des Centres de formation des apprentis (CFA), c’est que la gestion des NPEC est uniquement fondée sur l’examen des comptabilités analytiques remontés par les CFA. Or ces établissements ont des statuts très différents, publics, privés, associations, qui sont mélangés pour établir un niveau par certification que les 300 branches sont bien à mal de donner. Résultat les branches moins équipées ne répondent pas dans les délais, et les certifications se voient affectées par des niveaux de « carences ». A la fin le système n’est pas lisible et surtout pas prévisible. Comme le souligne le rapport l’examen des comptabilités analytiques n’est pas une référence incontestable et souffre surtout d’une grande approximation.

O. R : Mais que préconisez-vous alors ?

P. G : Les rapporteurs de l’IGF et de l’Igas déterminent un certain nombre de propositions auxquelles nous souscrivons.

Par exemple de supprimer la distinction entre les lignes budgétaires Cufpa (Contribution unique à la formation professionnelle et à l’alternance) et péréquation qui financent conjointement la section alternance des OPCO (opérateur de compétences) et fixer directement l’enveloppe attribuée à chaque OPCO pour certaines dépenses des CFA (investissements, financement des maîtres d’apprentissage).

De même il faut fiabiliser la comptabiliser analytique des CFA et surtout clarifier le rôle de l’État et des branches. Nous souhaiterions sortir de la seule constatation des coûts pour fixer les NPEC. Comment justifier aujourd’hui qu’un certificat de formation de crêpier soit financé 40% de plus que son équivalent boulanger ?

O. R : La question qui se pose c’est quel montant d’investissement il faut permettre de financer aux établissements au-delà de leurs seuls coûts ?

P. G : Le NPEC doit effectivement intégrer un pourcentage de coût lié aux investissements. Aujourd’hui la loi ne nous permet pas d’inclure des amortissements au-delà de trois ans. C’est bien faible pour certains équipements. C’est comme si on ne finançait que 80 à 85% de nos coûts globaux.

Il faut également rapatrier les fonds qui ont été accordés aux régions pour soutenir les établissements dans leurs investissements. Aujourd’hui ces fonds – 180 millions d’euros en 2022 – ne sont pas utilisés car les régions sont dans une logique divergente du système actuel.

O. R : Avec cette baisse des NPEC le financement par les entreprises du « reste à charge » va-t-il devenir la norme ?

P. G : Non parce que les syndicats patronaux ne le souhaitent pas car ce serait une porte ouverte à l’augmentation des taxes de Cufpa. Bien sûr un petit nombre d’écoles parmi les plus prestigieuses peuvent l’obtenir, leurs étudiants dans ce contexte sont une aubaine pour les entreprises les plus importantes qui touchent une prime quel que soit le profil. Mais ce n’est pas le cas des élèves en BTS ou en bac professionnel pour lesquels nous devons faire des efforts de placement comme de maintien en poste.

O. R : Pensez-vous que l’apprentissage doit être réservé à un certain public plus en difficulté face à l’emploi ?

P. G : L’apprentissage doit être aidé et ouvert à tous mais il faut bien différencier les modalités pédagogiques et ce qui fait le prix de l’apprentissage. Tout le monde doit en profiter mais pas forcément au même niveau. La pédagogie de l’alternance nécessite des compétences et une organisation adaptée. Il faut naturellement plus aider les jeunes qui ont le plus de difficulté d’accès à l’entreprise et le plus de mal financièrement. Les modalités pédagogiques sont particulières avec des cours mais aussi des professeurs spécifiques. L’enseignant doit savoir mixer enseignement scolaire comme l’accompagnement et suivi de la relation du jeune à l’entreprise.

Notre pédagogie passe notamment par l’accompagnement de chaque élève dans la vie de son entreprise pour y régler les problèmes qu’il peut y rencontrer. Notre pédagogie permet de transcender ces aspects : un apprenti ne doit pas être en échec parce qu’il n’arrive pas à résoudre ses problèmes professionnels. La pédagogie de l’alternance permet d’accompagner des jeunes issus de milieux pas spécialement favorisés.

L’apprentissage permet de basculer du monde académique au monde de l’entreprise tout en ouvrant les portes de l’enseignement supérieur à beaucoup de jeunes qui n’y auraient pas trouvé leur place sinon.  A contrario on ne peut pas affecter des enseignants -chercheurs académiques à ce rôle ! Accompagner les alternants ce n’est pas leur métier ni dans leurs compétences.

O. R : Un autre sujet. Comment réagissez-vous à la proposition du ministère de l’Enseignement supérieur et de la Recherche (MESR) de créer un nouveau label destiné à garantir la qualité de la formation des établissements d’enseignement supérieur privés ?

P. G : C’est intéressant de voir comment le rapport de l’IGS et de l’Igas est fondé sur des questions uniquement comptables quand, au contraire, le MESR se fonde sur les jeunes. Ils devraient travailler plus ensemble !

Pour ce qui est du label que vous évoquez, il faut d’abord considérer que le MESR dispose déjà de nombreux labels. Si la création d’un nouveau label est aujourd’hui à l’ordre de jour c’est parce que des établissements établissement d’enseignement supérieur privé d’intérêt général (EESPIG) ont relaté une utilisation abusive de certains labels. Or dans son Rapport 2022, la médiatrice de l’éducation nationale et de l’enseignement supérieur cite justement, parmi deux exemples, celui d’un établissement EESPIG pour lequel la médiatrice constatait que, « même sur les pages des EESPIG la nature des relations avec l’État n’est pas toujours claire et, surtout, ne permet pas de déduire facilement le niveau universitaire des diplômes proposés ».

Aujourd’hui la quasi-totalité des écoles de tous les statuts délivrent des formations en apprentissage avec le RNCP, parfois avec des titres loués à d’autres établissements, tout en mettant en avant leurs visas et labels. Elles omettent parfois d’indiquer que c’est un titre professionnel et utilisent ainsi le RNCP pour des formations qui n’ont pas besoin de recourir à l’apprentissage.

O. R : Vous souscrirez à ce nouveau label qui, rappelons-le, s’obtiendra sur la base du volontariat ?

P. G : Nous ne sommes pas contre ce nouveau label. Aujourd’hui il y a une volonté de professionnaliser l’enseignement et nous sommes optimistes quant à la capacité de ce label à rendre justice à ces aspects. Mais il ne doit surtout pas être un moyen de verrouiller un marché. Ce futur label doit aussi bien prendre en compte les objectifs de professionnalisation que les objectifs pédagogiques.

J’ai confiance dans la volonté du MESR d’aller dans ce sens comme j’ai confiance dans la création d’un futur « Qualiopi+ » par le Hcéres. Il faut nous juger à l’aune des objectifs que l’on nous fixe. Nous ne sommes pas là pour produire de la recherche. Nous produisons de l’adaptabilité et de la confiance professionnelle.

O. R : Comment faut-il considérer la qualité des formations qui ne sont qu’au RNCP (Répertoire national des certifications professionnelles) ?

P. G : Il faut affirmer que les certifications RNCP sont des certifications professionnelles. Il est dommage que le ministère du Travail ne défende pas la qualité du RNCP et de Qualiopi. France Compétences doit affirmer la qualité RNCP pour lesquels les exigences sont de plus en plus fortes. Aujourd’hui pour déposer un titre RNCP les CFA doivent réaliser des études de faisabilité et d’acceptabilité qui étaient auparavant du ressort des branches. Si nous n’en avons plus les moyens qui va le faire ?

Depuis 2019 on est passés en France de 180 000 à 570 000 apprentis dans l’enseignement supérieur. Qui aurait pu y parvenir sinon nous ? Et où étaient-ils ces 400 000 jeunes qui sont passés du monde universitaire à l’apprentissage ? Combien coûtaient-ils ? 400 000 fois 8 000 euros en moyenne par an à l’université, c’est-à-dire 3,2 milliards d’euros. Il faut prendre cela en compte quand on évoque le déficit de France Compétences.

O. R : Tous ces débats éclatent parce que la concurrence s’exacerbe entre les établissements d’enseignement supérieur alors que le nombre de bacheliers va stagner dans les années à venir.

P. G : Beaucoup d’écoles ont des soucis pour recruter en classes préparatoires car les élèves se détournent d’elles par attrait pour l’apprentissage dans un rapport qualité-prix qui les font réfléchir. La concurrence s’exacerbe dans les villes moyennes, car développer des formations en apprentissage nécessite une proximité de l’école et de l’entreprise, ce qui n’est pas le cas dans le scolaire à 100%. Pour être apprenti à Vesoul il faut y trouver une formation proche de son lieu de travail et de vie. On ne peut pas habiter à 80 kilomètres de son entreprise comme de son CFA. La nécessité de retourner trois jours par semaine dans son entreprise est une réalité que certains découvrent aujourd’hui.

O. R : Jusqu’où peut se développer l’apprentissage ? Au-delà du million d’apprentis ?

P. G : Nous sommes au pic de la croissance de l’apprentissage tout simplement parce que les effectifs étudiants ne vont pas progresser dans les années à venir. Aujourd’hui les jeunes sont tellement demandés par les entreprises qu’ils peuvent négocier leurs conditions d’apprentissage avec les entreprises. Pour les parents c’est une scolarité prise en charge par l’État et un salaire en plus pour leurs enfants. Un pouvoir d’achat en plus auquel ils sont désormais attachés.

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Olivier Rollot est directeur du pôle Information & Data de HEADway Advisory depuis 2012. Il est rédacteur en chef de "l’Essentiel du Sup" (newsletter hebdomadaire), de "l’Essentiel Prépas" (webzine mensuel) et de "Espace Prépas". Ancien directeur de la rédaction de l’Etudiant, ancien rédacteur en chef du Monde Etudiant, Olivier Rollot est également l'un des experts français de la Génération Y à laquelle il a consacré un livre : "La Génération Y" (PUF, 2012).

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