ECOLES DE MANAGEMENT

Le groupe ESC Troyes : un modèle original de développement, entretien avec Francis Bécard, directeur général

Directeur général du groupe ESC Troyes depuis 1997, Francis Bécard a créé un groupe dont tous saluent les capacités d’innovation. Il revient sur le parcours de son école, et notamment sur comment il donne à ses étudiants la capacité de créer un jour leur entreprise, dans un petit livre téléchargeable intitulé « Le groupe ESC Troyes et le droit à l’expérimentation ».

Olivier Rollot : Vous avez développé un groupe original avec non seulement du management mais aussi du design et même un pôle paramédical. Comment définiriez-vous votre modèle ?

Francis Bécard : Nous sommes une PME de la formation présente sur plusieurs secteurs et nous nous développons là où l’activité économique est en progression, par exemple dans le tourisme. Nous avons ainsi une large répartition des risques. Sur un total de 17 millions de chiffre d’affaires, le master grande école ne représente que 20% de notre chiffre d’affaires (trois millions d’euros), soit moins que la formation continue qui en représente quatre. Le tout toujours avec de petites promotions : je ne sais pas comment délivrer un enseignement de qualité avec 400 élèves et je préfère bloquer mes promotions à 150 et diversifier l’offre.

O. R : Comment faites-vous travailler tous ces profils ensemble ?

F. B : Aujourd’hui tout le monde parle de transversalité alors qu’il y a bien longtemps que nous avons une école de design et que nos étudiants en management travaillent avec les designers. A la rentrée 2013 nous allons plus loin en proposant une année commune à tous nos étudiants postbac. Ainsi, non seulement on pourra repêcher dès janvier ceux qui se seraient trompés d’orientation mais aussi apprendre à faire travailler ensemble des profils pour lesquels ce sera beaucoup plus facile de s’entendre plus tard. Nous créons le lien !

O. R : Les écoles de management ont été récemment critiquées dans un rapport de la Cour des Comptes, notamment sur leur manque d’ouverture sociale. Que répondez-vous ?

F. B : Pour notre part nous recevons 30% de boursiers dans notre cursus grande école. Mais l’ouverture sociale ne se mesure pas à ce simple chiffre. Pour favoriser la réussite de tous, nous avons intégré une École de la deuxième chance qui s’adresse aux jeunes de 16 à 25 ans sortis du système scolaire sans qualification. C’est non seulement très bien pour ceux que nous y recevons mais aussi formidable pour nos étudiants du programme Grande Ecole, ou d’ailleurs des autres programmes, qui ne se contentent pas de réussir égoïstement et aident les autres à réussir à leur tour. Les grandes écoles de management ne sont pas aidées par les fonds publics et garantissent une employabilité élevée : je ne comprends même pas qu’il y ait un débat sur leur impact positif dans l’enseignement supérieur.

O. R : Pourquoi avoir spécifiquement développé le design avec une école dédiée ?

F. B : Aujourd’hui le design est une pierre angulaire de notre industrie, il y a de plus en plus d’entreprises qui prennent conscience de la nécessité de penser esthétique, ergonomie, nouveaux usages pour mieux vendre. Beaucoup de nos étudiants sont embauchés avant même d’avoir quitté l’école..

Et parce qu’il fallait adapter notre mode de fonctionnement à la nature et à la culture des étudiants designers, pour ne pas briser la créativité et la liberté artistique, nous avons volontairement conservé cette formation sur un campus dédié dans une abbaye du XIIème siècle.

O. R : Vous ouvrez également un centre numérique de « co-working » ouvert à vos étudiants comme aux entreprises.

F. B : Le soir les patrons de PME peuvent venir y discuter avec les étudiants et le lendemain ceux-ci créent leur entreprise. Plutôt que de fiscaliser toujours plus ceux qui ont de l’argent il faut mieux les inciter à investir dans le monde économique.

O. R : Travaillez-vous également avec des écoles d’ingénieurs et notamment l’Université de technologie de Troyes ?

F. B : Bien sûr. Non seulement nous partageons un incubateur pour favoriser la création d’entreprises mais nous avons également deux masters en commun et sommes en train de créer un master 2 spécialisé dans l’innovation. Il faut accroitre le décloisonnement entre les écoles de commerce et les écoles d’ingénieurs. Demain il faudra également se rapprocher des facultés de médecine et de pharmacie pour être tous ensemble meilleurs dans les biotechnologies.

O. R : Vous investissez également dans de nouveaux locaux. Quelle taille maximale pensez-vous que votre groupe puisse atteindre ? Pensez-vous à fusionner comme d’autres écoles ?

F. B : En juin 2014 nous allons doubler la surface de nos locaux. Nous avons aujourd’hui 1800 étudiants et nous ne pensons pas dépasser les 2000. Je ne comprends pas l’intérêt de fusions qui ne permettent aucune réduction des coûts. Ce qu’il faut trouver ce sont des alliances intelligentes pour chaque diplôme, pas de grosses machines qui ne fonctionnent pas. Pourquoi vouloir faire pareil partout ? Le groupe ESC Troyes c’est aujourd’hui 400 salariés rémunérés chaque mois contre 45 il y a dix ans. Nous sommes une PME de croissance et nous devons veiller à chaque instant à ce que la qualité produite soit à la hauteur.

O. R : Parmi les axes principaux de l’ESC Troyes, il y a celui de la création d’entreprise. Pourtant les diplômés des écoles de commerce ne sont pas aujourd’hui des créateurs acharnés d’entreprise, du moins à leur sortie de l’école.

F. B : Quand on entre dans une école de commerce c’est avant tout pour y rechercher une « assurance emploi ». Lancer une entreprise c’est être un peu casse-cou dans un univers où on est de plus en plus protégés. Pour autant les étudiants d’écoles de commerce sont beaucoup plus motivés par la création d’entreprise que les autres, notamment ceux qui sont passés par un cursus autre que la prépa. Nous devons multiplier par deux le nombre de ces créateurs et je propose qu’on crée pour cela un statut d’étudiant entrepreneur. Dans ce cadre, les créateurs sont accompagnés par des business angels, qui prennent le risque financier, et ils partagent ensuite les bénéfices. Ainsi le jeune diplômé ne prend que le risque de différer ses revenus.

Entretien mené par Olivier Rollot (@O_Rollot)

  • Le statut d’étudiant entrepreneur en détail
  • « Ce statut permettrait d’accompagner et de protéger davantage le potentiel des jeunes entrepreneurs, tant en matière de développement d’activités nouvelles que de capitalisation ou de facilitation des démarches administratives (déclaration unique d’embauche par exemple si le jeune créateur souhaite salarier une personne). Un jury mixte, composé de membres des structures d’accompagnement et des grandes écoles, sélectionnerait des candidats qui suivraient un cursus spécifique. Cette sélection porterait d’ailleurs moins sur des critères académiques que sur la capacité des étudiants à porter un projet de création d’activités nouvelles.
  • Les candidats sélectionnés devraient avoir accès à un statut spécifique d’étudiant entrepreneur. Lorsqu’un étudiant de fin de cursus souhaite créer son entreprise, les écoles et établissements d’enseignement supérieur qui sont organisés autour d’une dynamique entrepreneuriale lui laissent généralement la possibilité de transformer son stage de fin d’études en parcours personnalisé au sein d’un incubateur étudiant.
  • L’étudiant ne bénéficie, la plupart du temps, pas des mêmes droits que ses camarades stagiaires (gratifications, protection sociale, avantages en nature). L’entrepreneuriat n’est pas encouragé car il n’existe pas de statut national d’étudiant entrepreneur. Les établissements gèrent ces situations au cas par cas, à leur niveau, ce qui contribue à la marginalisation de l’entrepreneuriat. La création d’un statut spécifique plus protecteur pour les étudiants entrepreneurs permettrait d’inciter à la création d’entreprise et donnerait à l’entrepreneuriat un cadre réglementaire prédéfini. »
  • Extrait du livre « « Le groupe ESC Troyes et le droit à l’expérimentation ».
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Olivier Rollot est directeur du pôle Information & Data de HEADway Advisory depuis 2012. Il est rédacteur en chef de "l’Essentiel du Sup" (newsletter hebdomadaire), de "l’Essentiel Prépas" (webzine mensuel) et de "Espace Prépas". Ancien directeur de la rédaction de l’Etudiant, ancien rédacteur en chef du Monde Etudiant, Olivier Rollot est également l'un des experts français de la Génération Y à laquelle il a consacré un livre : "La Génération Y" (PUF, 2012).

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