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L’Ecole d’économie de Toulouse: un modèle pour toute l’université, entretien avec Bruno Sire, président de l’université Toulouse 1 Capitole

Université centrée sur le droit, l’économie et la gestion l’université Toulouse 1 Capitole possède une école d’économie, la Toulouse School of Economics (TSE), renommée dans le monde entier. Bruno Sire, président de l’université depuis 2008, nous explique pourquoi il l’a ouverte aux étudiants et comment il veut promouvoir une modèle de grande école au sein de l’université. Il revient également sur le paysage de l’enseignement supérieur alors qu’une nouvelle loi va être bientôt en discussion au Parlement.

Olivier Rollot : On ne le sait pas toujours en France en dehors de la sphère des initiés des sciences économiques mais l’Ecole d’économie de Toulouse (Toulouse School of Economics), qui dépend de votre université, est considérée comme l’une des toutes meilleures au monde. L’Université du Connecticut la place ainsi à la quatrième place européenne dans un classement de référence. Parlez-nous de cette réussite exemplaire.

Bruno Sire : Nous sommes également classés dans les cent premières universités du monde en économie et gestion par les chercheurs qui produisent le classement de Shangaï. En France seule l’Insead est devant nous. Cette réussite nous la devons à un homme visionnaire, l’économiste Jean-Jacques Laffont, un chercheur français du MIT qui, au milieu des années 80, s’est dit qu’il était bien dommage de devoir aller en Amérique du Nord pour faire de la recherche de haut niveau en économie et gestion. Avec toute une équipe, il a fondé à Toulouse un institut qui est devenu la Toulouse School of Economics et attire aujourd’hui des chercheurs venus du monde entier.

O. R : Cette réussite est bâtie sur un modèle très original avec une fondation qui la finance.

B. S : Il s’agit d’une fondation de coopération scientifique  qui dispose d’un capital de 70 millions d’euros de fonds qui génèrent environ chaque année deux millions de revenus qui permettent une recherche de haut niveau sans toucher au capital. De plus les entreprises font appel très régulièrement à nous pour des analyses économiques. Si elles sont présentes au conseil d’administration de la fondation, elles n’interviennent pas sur les programmes de recherche mais juste sur le positionnement stratégique de la Fondation.

O. R : On entend régulièrement que les enseignants en économie-gestion réclament des salaires inabordables. Vous parvenez toujours à recruter les meilleurs ?

B. S : Nous avons des recrutements extraordinaires. C’est d’ailleurs dommage qu’on n’évoque jamais la qualité du corps enseignant dans les classements des établissements. Ce n’est quand pas la même chose d’avoir en face de soi un enseignant novateur et un autre qui se contente de citer des extraits de livres écrits par d’autres !

Pour revenir à leur recrutement, il ne faut pas prendre les enseignants-chercheurs pour des mercenaires. Sinon, ils auraient fait un autre métier ! Le plus important pour un enseignant-chercheur c’est d’abord la qualité des équipes avec lesquelles il va travailler. Et à la Toulouse School of Economics il y a ce qu’il y a de mieux en Europe. Un enseignant aussi renommé que Guillaume Plantin a ainsi quitté la New York University pour nous rejoindre récemment. Certes il est moins bien payé mais a de meilleures conditions de vie et de travail.

O. R : Comment procédez-vous pour ces recrutement très pointus ?

B. S : Chaque année, et nous sommes les seuls à le faire, nous nous rendons sur le plus grand salon au monde de recrutement d’enseignant, qui a lieu aux États-Unis, pour y recruter des enseignants chinois, européens, américains ou même, comme cette année, un Égyptien formidable. Nous proposons aussi aux enseignants de passer d’abord une année chez nous pour voir s’ils ont envie de rester. Nous allons jusqu’à trouver des emplois aux conjoints. Tout cela a un coût mais nous donne les moyens de faire de la recherche de grande qualité.

 

O. R : Vous avez lancé il y a deux ans une école d’économie ouverte aux étudiants après bac+2. Pouvez-vous en faire un premier bilan ?

B. S : Quand je suis devenu président j’ai voulu que la Toulouse School of Economics, jusque-là exclusivement tournée vers la recherche, devienne aussi une école de formation au sein de l’université. Nous avons ainsi créé un système dual (grande école et université) qui attire d’excellents étudiants à la sortie de l’adolescence. Mais un système qui ne laisse pas sur le carreau ceux qui n’ont pas forcément bénéficié d’une adolescence suffisamment sereine pour intégrer une classe prépa. C’est un terrible gâchis d’interdire ainsi l’accès aux meilleures grandes écoles à des jeunes pour lesquels la période de l’adolescence ne s’est pas très bien passée. D’autant que ceux qui vont en prépa ne suivent pas un enseignement très innovant comme l’est celui de l’université.

L’avantage de l’orientation dans le cadre universitaire c’est qu’elle est faite par des enseignants-chercheurs habitués à remettre en question les schémas de pensée établis, et qu’ils sont mieux amènes de détecter ceux qui peuvent aller jusqu’au doctorat, qui devient de plus en plus un standard international pour les recrutements de haut niveau.

O. R : Vous avez donc créé une grande école dans l’université ?

B. S : Les Français aiment les grandes écoles et le modèle a fait ses preuves. Nous voulons donc conjuguer le meilleur de l’université (gratuité, sélection progressive, recherche) et des grandes écoles (élection, encadrement plus fort, réseau d’anciens). Nous sélectionnons les étudiants de TSE, essentiellement parmi nos étudiants d’économie inscrits en double licence, des profils qui ont à la fois une grande capacité de travail et des aptitudes pour faire de la recherche. Parce que nous sommes aussi une grande université en droit, en management ou encore en mathématiques, ils bénéficieront d’une richesse d’enseignements qu’on ne retrouve pas dans une école de management. Le succès est là. Depuis le lancement de l’école, le nombre d’étudiants inscrits en première année en économie est passé de 600 à 800.

O. R : C’est une école d’économie, êtes-vous en concurrence avec les écoles de management ?

B. S : Clairement oui car nos diplômés s’orientent dans les mêmes secteurs, la banque, l’assurance, le conseil, etc. Ils se destinent aussi à des cabinets d’avocat qui apprécient de plus en plus les doubles parcours en droit et économie.

O. R : Pensez-vous possible de reproduire ce modèle dans d’autres disciplines ?

B. S : Nous avons l’intention de créer une grande école en droit, la Toulouse Law School, qui viendrait rejoindre la Toulouse School of Economics et la Toulouse School of Management (notre IAE). Nous avons déjà créé un collège de droit, sur le modèle de Panthéon-Assas. Nos juristes sont innovants car ils ont conscience que l’environnement est devenu concurrentiel, que ce soit avec Sciences Po Paris ou avec des écoles de commerce qui proposent des cursus en droit et management.

Parce qu’il faut aujourd’hui s’ouvrir sur l’Europe, nous proposons également douze  doubles diplômes en droit avec les meilleures universités d’Europe : deux ans chez nous et deux ans à l’étranger pour vraiment maîtriser les racines de deux droits européens. Enfin, toujours en droit, nous avons des parcours 100% en anglais qui nous permettent d’attirer des étudiants du monde entier.

O. R : Partout les facultés de droit voient leurs effectifs exploser et votre université a par exemple dépassé les 10 000 inscrits (1500 en première année). Comment expliquez-vous cet engouement ?

B. S : Tout simplement parce que le modèle anglo-saxon s’est imposé et que plus aucun chef d’entreprise n’ose aujourd’hui se déplacer sans un juriste à ses côtés. De plus faire du droit est extrêmement formateur. On ne perd jamais son temps.

O. R : Au-delà du droit les universités connaissent un regain d’intérêt chez les bacheliers après des années moins fastes. Là aussi quelle est votre explication ?

B. S : Les universités ont su redorer leur image en communiquant mieux sur ce qu’elles sont et font. Nous sommes, par exemple, passés de 17 200 étudiants en 2008 à 20 600 en 2012. Les bacheliers sont de plus en plus conscients que le meilleur de l’enseignement supérieur est chez nous, parce que c’est là que se créent les savoirs grâce à la recherche.

O. R : On parle beaucoup aujourd’hui de licences multi ou pluridisciplinaires mais aussi d’un enseignement fondé sur des majeures et des mineures dès la licence. Qu’en pensez-vous ?

B. S : Nous pensons beaucoup au développement des majeures/mineures. Demain il faudra qu’un étudiant en sciences puisse faire une mineure en droit ou en économie. Nous travaillons d’ailleurs à un double diplôme avec l’ISAE SupAéro pour que leurs étudiants puissent étudier l’économie-gestion chez nous. L’intérêt majeur des pôles de recherche et d’enseignement supérieur (PRES) c’est la possibilité de créer ces majeures/mineures avec d’autres établissements qui ont des spécialités différentes. On peut certes mutualiser quelques services mais c’est le contenu qui est important.

O. R : Les PRES, demain les « communauté d’universités et établissements » que prévoit la loi, mais pas la fusion ?

B. S : Je ne crois pas à l’efficacité de « super tankers » de l’enseignement supérieur qui tuent l’initiative locale. Le bon système c’est le réseau et il ne faut pas saborder de bonnes marques comme Toulouse Capitole.

O. R : Quelques questions très politiques maintenant : que pensez-vous de la future loi sur l’enseignement supérieur et la recherche qui va bientôt être en discussion devant le Parlement ?

B. S : Nous sommes parvenus à un compromis acceptable mais je crains un peu les revirements qui peuvent intervenir au cours du débat parlementaire.

Ce qui est vraiment dommage c’est que nous n’ayons pas de perspective européenne, que ce soit une loi qui se replie sur une vision franco-française. Ce n’est aujourd’hui pas la France seule qui a une place à défendre dans l’enseignement supérieur mais toute l’Europe. Nous sommes habitués à une vision où l’Amérique du Nord domine le monde et où nous suivons alors qu’on va vers un paysage totalement différent avec la montée en puissance de l’Asie mais aussi du Brésil et de toute l’Amérique du Sud. Nous devrions structurer notre enseignement et notre recherche au niveau européen alors que cette loi ne trace aucune perspective en la matière.

O. R : Qu’attendez-vous d’une « bonne » loi ?

B. S : Qu’elle laisse de l’autonomie aux établissements. Nous ne devons surtout pas revenir à une vision jacobine alors que nous devons constamment nous adapter à des partenaires qui sont à Milan, Barcelone ou Madrid. Il faut éviter de nous enfermer dans un carcan national et je revendique notre autonomie pour nous permettre de construire avec nos partenaires étrangers des formations et des programmes de recherche sur mesure. Le projet de loi tel qu’il est aujourd’hui devrait nous permettre de le faire mais attention au débat parlementaire qui ignorerait cette dimension internationale ! Je suis bien conscient que nous sommes redevables de l’argent public mais il ne faut pas couper les ailes à ceux qui construisent une recherche aux standards internationaux.

O. R : La créativité ne se décrète pas d’en haut, c’est ce que vous dites ?

B. S : Il faut arrêter de fantasmer sur le « top down » où on dirait du haut de l’État aux chercheurs ce qu’ils doivent faire. L’innovation vient de la base et il faut permettre l’émergence des initiatives locales, pas enfermer tout le monde dans le même carcan. Les grandes universités de recherche ont bien compris qu’il fallait laisser s’épanouir les initiatives.

O. R : Il n’y a pas que l’État qui semble aujourd’hui avoir des velléités de plus s’impliquer dans l’enseignement supérieur. Il y a aussi les collectivités locales. Quelle place peuvent-elles occuper ?

B. S : A chaque fois que les politiques ont voulu prendre le contrôle de la recherche cela a mal fini. Même si nous recevons de l’argent public, nous devons rester indépendants des politiques car nous avons besoin de liberté d’action et de pensée. Qu’il y ait une décentralisation tant mieux, mais nous ne devons pas nous transformer en aménageurs locaux. L’enseignement et la recherche de haut niveau n’ont plus de frontière, nos défis sont mondiaux et nous avons besoin d’autonomie pour les relever, j’espère que le gouvernement saura la préserver.

O. R : À l’autre bout de l’échiquier il y a les « centralisateurs », et notamment des syndicats étudiants qui demandent un « cadrage national » des diplômes. Que leur répondez-vous ?

B. S : C’est un contre sens. Ils confondent le lycée et l’université. Dans ces dernières le statut des professeurs  leur laisse la liberté de concevoir leurs enseignements comme ils l’entendent. Il ne faut pas revenir là-dessus. Ce qui fait la qualité d’un établissement d’enseignement supérieur c’est d’abord la qualité de son corps enseignant. Ce n’est pas la même chose de faire ses études à Normale Sup et dans un établissement moins prestigieux tout simplement parce que les équipes de recherche ne sont pas toutes au même niveau. Il faut arrêter de croire que tout le monde passe la même licence de Perpignan à Dunkerque. Encore une fois il faut laisser leur liberté aux enseignants. Si on veut absolument mettre tout le monde au même niveau les bons chercheurs partiront à l’étranger pour s’épanouir. Et ils n’auront pas besoin de partir très loin. L’université de Lausanne ou la Bocconi de Milan, pour ne citer que celles-là, sont prêtes à les accueillir.


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Olivier Rollot est directeur du pôle Information & Data de HEADway Advisory depuis 2012. Il est rédacteur en chef de "l’Essentiel du Sup" (newsletter hebdomadaire), de "l’Essentiel Prépas" (webzine mensuel) et de "Espace Prépas". Ancien directeur de la rédaction de l’Etudiant, ancien rédacteur en chef du Monde Etudiant, Olivier Rollot est également l'un des experts français de la Génération Y à laquelle il a consacré un livre : "La Génération Y" (PUF, 2012).

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