POLITIQUE DE L'ENSEIGNEMENT SUPERIEUR

Le Haut conseil à l’égalité entre les femmes et les hommes dénonce le sexisme dans l’enseignement supérieur

Il y a quelques semaines une tribune signée par plus 500 alumni dénonçait le sexisme des étudiants des Grandes écoles de management. Cette semaine le Haut conseil à l’égalité entre les femmes et les hommes publie son Rapport annuel sur l’état des lieux du sexisme en France en 2019 dans laquelle il jette un regard sévère sur l’enseignement supérieur. Son diagnostic : « Le sexisme ambiant qui règne au sein des établissements d’enseignement supérieur est difficile à objectiver car les actes de sexisme et les violences sexuelles sont souvent banalisés et plus difficiles à dénoncer dans ces lieux où se joue l’avenir des étudiant.es et où le sentiment d’appartenance et les rites d’intégration sont érigés comme normes indépassables ». Une violence qui passe aussi par des propos dégradants et humiliants. Combien de jeunes femmes, notamment en sciences, se sont vues rabaissées par leurs professeurs quand des étudiants hommes ne voient en elles que des « quotas » dont les écoles ont besoin pour faire « bonne figure »…

Le sexisme ordinaire et les violences persistent dans les Grandes écoles. Le Haut conseil est particulièrement virulent envers les école d’ingénieurs dans lesquelles « les normes sexistes sont intériorisées ». Une étude, menée en 2016 par l’association « Femmes ingénieurs » montre ainsi l’ambivalence des ressentis des étudiantes. Si la majorité se sentent heureuses et intégrées dans leur formation (77%), si 93% n’observent pas de discrimination de la part des professeur es à l’encontre des femmes, 63% disent également avoir déjà subi directement ou été témoins de violences verbales sexistes ou sexuelles sur le campus. Surtout 10% des femmes déclarent avoir déjà subi une agression sexuelle sur le campus et seules 24% d’entre elles disent avoir reçu de l’aide permettant d’améliorer la situation.

Le Haut conseil insiste plus largement sur la dimension sexiste des Grande écoles. Son constat : « Bien que, depuis ces dernières années, la diffusion de certaines publications à connotation sexiste ait cessé dans des grandes écoles, le sexisme ordinaire et les violences persistent ». Ces pratiques passent notamment par les clubs de sport (souvent majoritairement composés d’hommes), les évènements sportifs, les soirées étudiantes, le BDE et les associations étudiantes très majoritairement dirigées par des hommes. Et de stigmatiser : « Dans ces établissements, se produisent et se perpétuent des propos et comportements sexistes, notamment lors des bizutages9, où sont constatés des pratiques humiliantes et violentes, des photomontages dégradants, des actes de harcèlements et des violences sexuelles ».

Les universités cherchent la parade. En mai 2019 un collectif de près de 500 chercheurs estimait dans une tribune publiée par Le Monde que l’enseignement supérieur en fait encore trop peu pour combattre ces phénomènes de violence. Selon eux, « le mouvement de libération de la parole des femmes victimes de violences sexistes a révélé la mise en cause systématique des témoignages, la déresponsabilisation des agresseurs et la minimisation de leurs actes ».

A la rentrée 2018 la ministre de l’Enseignement supérieur, Frédérique Vidal, a promu l’ouverture  de cellules d’accueil et d’écoute sur le harcèlement sexuel dans chaque université. A l’université d’Orléans tout membre de la communauté universitaire peut ainsi saisir le dispositif d’écoute de la Cellule de lutte contre les violences sexistes et sexuelles. Si la personne déclarante le souhaite, la saisie de la CLVSS peut être accompagnée de la fiche de signalement. Un rendez-vous vous est ensuite proposé afin d’écouter et de réunir les informations nécessaires à l’analyse de la situation. Le dispositif d’écoute oriente également la victime sur un accompagnement médical, social, psychologique et juridique. Le cas échéant, la CLVSS transmet les éléments au président de l’Université pour donner une suite. Même dispositif à l’université de Limoges où une adresse mail dédiée a été mise en place : consentement@unilim.fr.

Mais, selon les auteurs de la tribune, « l’ouverture de procédures, laissée à la discrétion de la présidence des universités, est encore trop rare au regard de l’ampleur des phénomènes de violence ». Des exemples récents montrent toute « l’ingéniosité dont peut faire preuve une institution pour refuser d’ouvrir ces procédures disciplinaires : réponses dilatoires, tergiversations, ouverture d’enquêtes administratives internes au fonctionnement opaque, accusations de diffamation… »

Les Grandes écoles s’organisent. Après la publication le 6 janvier 2020 de l’enquête de Mediapart (Humiliations sexuelles, homophobie, sexisme: voyage au sein des grandes écoles de commerce françaises), après l’article Antisémitisme, racisme, sexisme : plongée dans les dessous de l’Essec, le directeur général d’HEC, Peter Todd confessait notamment dans Les Echos Start « n’avoir sans doute pas pris conscience de l’ampleur du phénomène. Aujourd’hui, certaines traditions n’ont plus leur place dans notre environnement ». Depuis deux ans, HEC a ainsi monté une nouvelle structure “Student Affairs”, composée d’une équipe de plus de 20 salariés. Cette direction accorde « une importance spécifique à l’intégration, au respect de la diversité et de l’inclusion de l’ensemble des communautés étudiantes sur et en dehors du campus d’HEC Paris », insiste Peter Todd. Une prise de conscience désormais générale. La Chaire EDHEC Open Leadership for Diversity & Inclusion organisait ainsi le 14 février à Lille le premier «Tremplin D & I » pour « sensibiliser les étudiants aux enjeux de la diversité et de l’inclusion ». Dans le cadre du cours « Comportement organisationnel » de l’année Pré-Master, plus de 600 étudiants avaient à construire avec des entreprises partenaires des « solutions concrètes et créatives pour répondre à des problématiques de diversité et d’inclusion ».

Cette semaine Etienne Loos, étudiant en 2ème année du programme grande école de Skema, et l’ensemble des 56 associations étudiantes de l’école (dont 20 dirigées par des femmes), appellent dans une Lettre ouverte pour l’égalité, la dignité et le respect de l’intégrite dans les grandes écoles de commerce au « réveil collectif et à l’action » en proposant 13 mesures concrètes ainsi qu’une grande réunion inter-écoles : « Nous invitons les représentants étudiants des écoles membres de la Conférence des Grandes écoles à se retrouver très prochainement au sein d’une structure indépendante de nos établissements afin d’évoquer de manière collective et concertée, l’urgence de la lutte contre le harcèlement et les violences sexuelles, sexistes et homophobes dans nos écoles ». Ils demandent notamment que « dès la rentrée, un référent en charge de l’égalité en école et de la lutte contre les discriminations – extérieur à l’école – soit nommé dans chaque école ». Ils s’engagent également à « sanctionner en interne avec une grande fermeté les individus encourageant tout type d’agressions » et à « encourager les victimes de violences à se tourner vers l’administration de leur école, la justice, le référent égalité de leur établissement et un soutien psychologique ».

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Olivier Rollot est directeur du pôle Information & Data de HEADway Advisory depuis 2012. Il est rédacteur en chef de "l’Essentiel du Sup" (newsletter hebdomadaire), de "l’Essentiel Prépas" (webzine mensuel) et de "Espace Prépas". Ancien directeur de la rédaction de l’Etudiant, ancien rédacteur en chef du Monde Etudiant, Olivier Rollot est également l'un des experts français de la Génération Y à laquelle il a consacré un livre : "La Génération Y" (PUF, 2012).

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