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« L’enseignement à distance remet le professeur au centre du dispositif »

L’Edhec n’a pas attendu la pandémie du Covid-19 pour développer des programmes en ligne. Avec sa plateforme Edhec Online et maintenant avec l’alliance mondiale de business schools FOME (Future of Management Education) dont le directeur d’EDHEC Online, Benoît Arnaud, vient de prendre la présidence. Il revient avec nous sur ses ambitions et sur le devenir d’un enseignement en ligne devenu la norme ces derniers mois.

Olivier Rollot : Du jour au lendemain le Online est devenu la norme dans l’enseignement supérieur. Comment l’Edhec a-t-elle vécu cette transformation express ?

Benoit Arnaud : Avec l’expérience d’Edhec Online, nous avons piloté une Task Force pour basculer en ligne l’ensemble des programmes pendant le confinement, en formation initiale et en formation continue. Passée la phase de sidération dans certaines entreprises, nous avons vite accéléré : 500 cours ont été basculés en ligne en quelques jours. Ce télétravail que beaucoup croyaient jusqu’ici impossible à mettre en œuvre dans nos métiers s’est du coup imposé de lui-même dans l’éducation. De manière dédramatisée. Aujourd’hui les retours des étudiants sont très positifs. Ils se sont sentis très engagés aux côtés de professeurs qui se sont vite adaptés. D’autant que beaucoup d’apprenants se sont posé la question de reprendre une formation pendant le confinement.

L’enseignement à distance est une autre forme pédagogique que pratiquent la plupart des universités dans le monde depuis longtemps. Une forme qui remet le professeur au centre du dispositif. On ne fait pas d’enseignement à distance sans professeur ! La crise nous a fait évoluer et de nouvelles habitudes ont été prises

O. R : Comment envisagez-vous la rentrée 2020 ?

B. A : D’abord elle ne sera pas repoussée. Elle aura bien lieu début septembre comme d’habitude. Ensuite nous serons prêts à tout avec différents scénarios hybrides distanciel / présentiel qui permettront de respecter les normes sanitaires en donnant de l’espace à chaque étudiant.

O. R : Vous avez dû adapter le travail de vos professeurs pour passer leurs cours en ligne ?

B. A : Aujourd’hui, Edhec Online nourrit le blended et la pédagogie de nos professeurs. Quand un professeur doit revisiter son cours pour le diffuser en ligne il améliore également son cours en amphithéâtre. Nous signons à cette fin des contrats de droit à l’image valides pour la durée de vie d’un matériau de e-learning. Avec nos professeurs comme avec nos intervenants. Toutes nos salles de cours sont équipées en vidéo pour filmer nos professeurs. A l’exception de cours très scénarisés ce sont d’ailleurs eux qui pilotent le dispositif.

O. R : Que vous inspirent les polémiques qui naissent ici ou là sur une sorte de dévoiement de la mission éducative que provoquerait le recours à l’enseignement en ligne ?

B. A : Quand on a commencé à publier les cours dans des livres il y avait déjà eu des controverses importantes en Angleterre. Après les cours en amphithéâtre, les cours en petits groupes, les études de cas, les hackathon, le distanciel n’est qu’une nouvelle modalité pédagogique. Qui en annonce d’autres. Qui aurait pu imaginer il y a vingt ans pouvoir suivre des cours entiers de statistiques en vidéo sur son téléphone ?

De plus, le recours à l’enseignement en ligne est vertueux d’un point de vue écologique. La trace carbone des cours en ligne ne représente que 10% de celle des cours en présentiel. La trace carbone de 100 étudiants connectés ne représente que 10% de la trace carbone d’étudiants qui sont venus sur les campus et se sont déplacés. C’est un enjeu sociétal important pour les générations futures. Demain, on ne délivrera pas tous les cours en ligne mais nous devons être conscients de la nécessité de moins nous déplacer.

O. R : Sur quelles plateformes travaillez-vous ?

B. A : Sur la plateforme FOME prioritairement mais aussi sur une base Moodle que nous avons refondue. Blackboard, qui est une solution éprouvée et simple d’utilisation, est plus utilisée pour des cours en présentiel que Blended ou 100% en ligne.

O. R : Comment est née la plateforme FOME ?

B. A : C’est l’Imperial College Business School qui est à la base de sa création. L’idée était de créer une expérience en ligne haut de gamme alors qu’il y avait déjà plus de dix ans qu’un MBA y était dispensé entièrement en ligne. En 2018 l’Imperial College a ressenti le besoin de s’associer à d’autres business schools pour développer sa plateforme. Tout est partagé pour que tous les cours créés par chaque école soient utilisables par toutes les autres. C’est un campus infini. Sans autre limite que le travail de ses professeurs.

Aujourd’hui, 10 000 étudiants peuvent y suivre 225 cours dans 40 programmes. Pour cette première année, l’Edhec a déjà produit cinq diplômes qui regroupent une centaine d’étudiants.

O. R : Vos autres programmes sont sur la plateforme Edhec Online.

B. A : Nous y dispensons trois bachelors (Marketing Digital & Innovation, Management et Commerce et BBA Edhec) ainsi que des « Programmes Manager » et des certificats. A terme l’ensemble de nos programmes seront diffusés en ligne. Grâce à cette alliance mondiale, nous pourrons accélérer dans le digital et hybrider l’ensemble de nos programmes.

O. R : En ligne vous touchez des étudiants différents de ceux qui vous rejoignent en présentiel ?

B. A : Ce sont pour la plupart des étudiants qui ne viendraient pas sur nos campus. Parce qu’ils n’ont pas le temps, pas l’envie, parce qu’ils ne sont pas attirés par l’expérience sur les campus, ont envie de s’organiser différemment avec un emploi à plein temps. D’ailleurs, ce n’est pas qu’une question de proximité géographique. La moitié des étudiants qui suivent les cours en ligne de l’Imperial College sont londoniens !

O. R : Vous n’avez donc pas peur que le online phagocyte l’ensemble des programmes ?

B. A : L’objectif est que les cours en ligne représentent 10% du chiffre d’affaires de l’Edhec d’ici cinq ans. Nous ne voulons pas faire de la masse. Les cursus en ligne que nous proposons coûtent très cher à développer. Ce n’est pas du théâtre filmé. Il y a un important travail de production avec les ingénieurs pédagogiques, un temps d’accompagnement par du coaching individuel et de groupe, un coaching carrière. Ce ne sont pas des MOOC de masse.

Et cela ne remplacera non plus jamais la formation sur les campus. D’ailleurs nous n’avons jamais eu autant de demandes de venir suivre des cours sur nos campus qu’aujourd’hui.

O. R : Vous dites que les cursus en ligne coûtent cher à développer. Mais alors pourquoi sont-ils toujours facturés moins chers que les cursus en présentiel ?

B. A : C’est effectivement une sorte de norme : les cursus en ligne sont facturés de 10 à 15% moins chers que les cursus présentiels. C’est un prix psychologique qui s’impose parce qu’on ne voit pas tout le personnel engagé dans les cours en ligne. Les business schools en ligne américaines et espagnoles qui dispensent des programmes haut de gamme occupent des buildings entiers tant leur staff est important.

O. R : Quel regard jetez-vous sur le développement du online disons basique qui a prévalu depuis la mi-mars dans l’enseignement supérieur ?

B. A : On a vu beaucoup de classes Zoom ces derniers temps. C’est mieux que rien. Facile à mettre en œuvre. Mais ce n’est une modalité pédagogique que nous utilisons parmi 55 autres.

O. R : Quels pays ont les premiers su développer l’enseignement en ligne ?

B. A : Les business schools britanniques ont pris de l’avance parce qu’elles travaillaient avec des étudiants venus de tous les pays du Commonwealth, du Canada à l’Australie en passant par l’Afrique du Sud, pour lesquels il y a rapidement fallu créer des solutions d’enseignement à distance. Même chose pour les business schools espagnoles avec l’Amérique latine. De par leur taille, les Etats-Unis ont également développé très rapidement des solutions à distance : en radio dès (avant) la Seconde Guerre mondiale. La France est arrivée plus tard. Aujourd’hui la Chine voit naitre de nouveaux acteurs géants ; on considère qu’il manque 1000 Business Schools en Inde…

O. R : Vous collaborez plus particulièrement avec quelles Edtech françaises ? Internationales ?

B. A : Nous travaillons beaucoup avec Teach on Mars au développement de micro-learning sur mobiles. Il s’agit de délivrer du contenu en temps réel à tous nos étudiants. Avec Slack nous avons créé une plateforme éducative.

Nous travaillons évidemment avec tous les grands acteurs de la bureautique. Nous avons installé une plateforme Microsoft sur nos campus pour avoir accès partout aux cours et intégré la plateforme dans les smartphones de nos apprenants.

O.R : Vous ne craignez pas que les GAFAM emportent le morceau et ringardisent les acteurs traditionnels ?

B. A : Je me souviens qu’on craignait déjà que Yahoo allait s’imposer dans l’éducation… Mais l’enseignement reste un métier. Un enseignement à distance ce n’est pas que de la technologie et aujourd’hui c’est essentiellement une technologie que les GAFAM – et demain d’autres – cherchent à commercialiser. Google vend des outils d’enseignement en ligne mais n’entend pas pour autant devenir une université !

O. R : Comment améliorer encore l’expérience en ligne ?

B. A : En permettant d’afficher instantanément des vidéos la 5G pourrait être un accélérateur. La personnalisation doit encore être améliorée. Tous les étudiants suivent les mêmes cours mais certains sont en avance, d’autres en retard. La gestion de leurs données nous permet de nos adapter.

Avec des chercheurs en mathématiques de l’Imperial College nous avons étudié les différents styles d’apprentissage. Que faut-il mieux ? Travailler tout de suite mais se relâcher ? Donner tout au dernier moment ? Travailler régulièrement ? En fait nous nous sommes aperçus qu’il n’y avait pas de vraie différence. Pas plus qu’il n’y en a entre les nationalités. L’analyse scientifique des données montre que c’est faux d’imaginer qu’il y aurait un style d’apprentissage latin à opposer au nordique.

Les seuls étudiants dont le style d’apprentissage pose problème sont ceux qui travaillent de manière erratique, qui accélèrent puis ne font plus rien. Pour eux nous avons notamment modifié notre rythme de notifications afin de les aider à raccrocher.

 O. R : Et si on voyait encore plus loin ?

B. A : Demain la réalité virtuelle va arriver. Avec Imperial College nous avons déjà testé des cours par hologramme. Lors d’une conférence personnes réelles et virtuelles du monde entier se mêlent. Eh bien, au bout d’un quart d’heure, on ne sait plus qui est dans la salle et qui ne l’est pas. Le tout avec une simple liaison Wi-fi. L’avenir de la pédagogie reste à inventer avec ces technologies de demain : c’est ce qui est passionnant !

  • L’Alliance FOME a été fondée par Imperial College Business School, l’Alliance FOME regroupe huit business schools du monde entier (BI Norwegian Business School, Edhec, ESMT Berlin, IE Business School Madrid, Ivey Business School, Singapore Management University, The University of Melbourne) qui entendent « révolutionner le marché mondial de la formation diplômante à distance » à travers le partage de best practices en temps réel, le co-développement de contenus académiques et des investissements dans des technologies de pointe.
  • EDHEC Online lance cet automne un Online MSc in International Business Management. Grâce à la plateforme partagée FOME, les participants de ce programme suivront des cours – entièrement dispensés en anglais – délivrés par des professeurs de l’EDHEC et de plusieurs institutions membres de l’Alliance. Les modules International Business et Operations Management seront enseignés par des professeurs d’Imperial College Business School tandis que les cours Marketing and Sales in a Digital World et Managing People seront donnés par des professeurs respectivement de ESMT Berlin et Ivey Business School.
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Olivier Rollot est directeur du pôle Information & Data de HEADway Advisory depuis 2012. Il est rédacteur en chef de "l’Essentiel du Sup" (newsletter hebdomadaire), de "l’Essentiel Prépas" (webzine mensuel) et de "Espace Prépas". Ancien directeur de la rédaction de l’Etudiant, ancien rédacteur en chef du Monde Etudiant, Olivier Rollot est également l'un des experts français de la Génération Y à laquelle il a consacré un livre : "La Génération Y" (PUF, 2012).

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