POLITIQUE DE L'ENSEIGNEMENT SUPERIEUR

L’enseignement supérieur privé lucratif sur la sellette

On attend ses conclusions au printemps. Le ministère de l’Enseignement supérieur et de la Recherche (MESR) a lancé une mission sur l’enseignement supérieur lucratif suite à une enquête de la Direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF). A sa tête l’ancien président de la Fesic (Fédération des établissements d’enseignement supérieur d’intérêt collectif) et directeur général de l’Iéseg, Jean-Philippe Ammeux.

Les termes du débat. « Vous analyserez l’ampleur et les modalités de développement des établissements d’enseignement supérieur lucratifs », « Vous étudierez leur modèle économique, leur actionnariat (dont les fonds d’investissement), leurs pratiques académiques (y compris le recours au e-learning) et d’accompagnement des élèves, et leur positionnement vis-à-vis des diplômes reconnus par le MESR », « Vous évaluerez dans la mesure du possible l’ampleur des aides indirectes de l’État dont certains établissements bénéficient (participation BPI France, taxe d’apprentissage…) », la lettre de mission qu’a reçue Jean-Philippe Ammeux et qu’a révélé l’AEF est extrêmement large.

L’enseignement supérieur privé est aujourd’hui divisé entre associations à but non lucratif, pour beaucoup reconnus comme EESPIG (établissements d’enseignement supérieur privé d’intérêt général), sociétés privées à but lucratif et EESC (établissements d’enseignement supérieur consulaire). Mais même des associations à but non lucratif peuvent dépendre plus ou moins de sociétés elles lucratives. Toutes ont des objectifs et des moyens très divers tout en bénéficiant de la manne de l’apprentissage.

Prenant la parole au nom de la Fesic (Fédération des établissements d’enseignement supérieur d’intérêt collectif) Philippe Choquet, son président, dénonce des pratiques discutables et une concurrence déloyale : « Nous sommes les premiers à mettre en garde contre des établissements d’enseignement supérieur dont la qualité de formation ne répond pas aux standards qu’on peut exiger d’eux. Si on s’abstenait de les financer, cela résoudrait largement le problème du financement de l’apprentissage dans l’enseignement supérieur. Il faut vraiment différencier les diplômes dont la qualité est reconnue académiquement de ceux qui sont seulement des titres du RNCP ». Et d’insister : « Le système d’évaluation est à revoir. Aujourd’hui ce sont les familles les plus fragiles qui se font berner faute de bien maîtriser tous les codes. C’est aussi pour cela que nous voulons montrer la force du contrat EESPIG dont le rôle est reconnu par la Loi de programmation de la recherche ».

Les conclusions de la DGCCRF. En 2020, la DGCCRF a entrepris de vérifier les pratiques commerciales des établissements de formation apposant les labels créés en 2019 par le ministère de l’Enseignement supérieur pour informer le consommateur de l’existence de diplômes « contrôlés par l’Etat ». Quatre-vingts établissements ont été contrôlés avec une attention particulière portée aux mentions relatives aux labels créés en 2019 par le MESR pour valider la qualité des formations. L’enquête avait révélé des anomalies dans plus de 30 % des établissements en matière de pratiques commerciales trompeuses :

  • l’absence de pratiques commerciales trompeuses induisant le consommateur en erreur ;
  • le respect des obligations d’information précontractuelle ;
  • le respect des obligations sur les prix et sur la facturation ;
  • l’absence de clauses contractuelles illicites ou abusives ;
  • le respect des règles relatives à la vente à distance ou hors établissement.

Dans la communication de plusieurs établissements, l’usage de mentions valorisantes dépourvues de toute justification vérifiable a été constaté comme, par exemple, des mentions sur l’employabilité post-diplôme ou sur des partenariats non formalisés avec des grandes entreprises. De même, la pratique consistant à afficher un prix promotionnel à côté d’un prix barré, sans pouvoir justifier de ce que le prix barré a réellement été pratiqué, a été relevée. Des avis partiaux – car provenant de consommateurs devenus des employés de l’établissement – rendus via Google – ont par ailleurs été constatés.  Enfin, les enquêteurs ont identifié l’utilisation de termes tels que « licence », « master » ou « doctorat » ou d’un terme approchant, sans que l’établissement y soit habilité.

Lors de l’enquête, les manquements les plus fréquents concernaient l’information précontractuelle, l’information sur les prix et l’absence de remise de facture : ils ont été constatés dans près d’un établissement contrôlé sur deux. En particulier, les enquêteurs ont relevé l’absence d’information avant la conclusion du contrat sur les conditions de vente et notamment sur le prix total TTC de la formation, l’absence d’affichage des prix, l’absence de mention de la possibilité de saisir un médiateur de la consommation en cas de litige ainsi que les coordonnées de ce médiateur et l’absence de remise de facture en bonne et due forme.

Les enquêteurs ont, par ailleurs, passé au crible les contrats. Des clauses abusives ou illicites y ont été relevées dans 40 % des établissements contrôlés. Parmi celles-ci figurent :

  • une clause prévoyant qu’en cas de défaut de paiement, l’établissement se réserve le droit de résilier le contrat, l’étudiant n’étant plus autorisé à poursuivre la formation ni à s’inscrire à l’examen de fin d’année, alors que le solde de la formation reste dû et peut être recouvré par tous moyens ;
  • une clause réservant à l’établissement le droit de modifier unilatéralement les clauses relatives à la durée du contrat, aux caractéristiques ou au prix de la formation ;
  • une clause autorisant l’établissement à rompre discrétionnairement le contrat sans prévoir le même droit pour l’étudiant ;
  • une clause obligeant le consommateur à saisir de manière exclusive un certain tribunal en cas de litige.

Les contrôles des enquêteurs ont donné lieu à :

  • 72 avertissements
  • 38 injonctions
  • 4 procès-verbaux pénaux, dont 2 ont conduit à un contentieux
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Olivier Rollot est directeur du pôle Information & Data de HEADway Advisory depuis 2012. Il est rédacteur en chef de "l’Essentiel du Sup" (newsletter hebdomadaire), de "l’Essentiel Prépas" (webzine mensuel) et de "Espace Prépas". Ancien directeur de la rédaction de l’Etudiant, ancien rédacteur en chef du Monde Etudiant, Olivier Rollot est également l'un des experts français de la Génération Y à laquelle il a consacré un livre : "La Génération Y" (PUF, 2012).

1 Comment

  1. Les établissements consulaires d’enseignement supérieurs ne sont pas de établissements privés puisque statutairement leur capital est détenu majoritairement par une Chambre de commerce qui est un établissement public. Selon le Conseil d’Etat et la Cour des Comptes, il s’agit donc d’entreprises publiques.

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