EMPLOI / SOCIETE

Les entreprises du conseil et les jeunes diplômés: une étude fait le point

Valérie Vezinhet
Philippe Bourrat

Ses entreprises restent le principal recruteur de jeunes diplômés des Grandes écoles. Syntec Conseil, l’organisation professionnelle qui regroupe l’ensemble des entreprises françaises du conseil, a souhaité interroger ses adhérents sur l’image qu’ils avaient des jeunes diplômés. Puis réuni Grandes écoles de management (HEC, ESCP, Essec…), d’ingénieurs (Ecole polytechnique, CentraleSupélec…) mais aussi l’université Paris-Saclay et IAE France pour en débattre. Ce qu’il faut retenir de cette étude avec Philippe Bourrat, Managing Principal de la société Ducker, et Valérie Vezinhet, directrice des ressources humaines France et Maghreb de PWC.

Olivier Rollot : Dans quel esprit avez-vous lancé l’enquête « Compétences des jeunes diplômés : état des lieux & attentes » auprès de vos entreprises adhérentes et ce débat avec les grands acteurs de l’enseignement supérieur qui a suivi ?

Valérie Vezinhet : Il y a deux ans PWC avait déjà réuni les grands acteurs de l’enseignement supérieur. Il nous a paru intéressant de reproduire l’exercice dans un cadre plus large, celui de l’ensemble des adhérents du Syntec Conseil, pour parler de l’évolution de l’enseignement supérieur et partager notre ressenti des compétences de leurs diplômés. De plus, c’était particulièrement intéressant d’échanger après l’année de crise sanitaire que nous avons vécue, pour comprendre comment cela avait impacté l’enseignement supérieur.

Philippe Bourrat : Nous voulions à la fois renouer les liens distendus par la pandémie, connaître les innovations pédagogiques des écoles et expliquer comment nous-mêmes avions évolué. Avec l’enquête que nous avons réalisée auprès des entreprises membres du Syntec Conseil nous avions de plus des éléments tangibles à apporter aux débats.

O. R : Vous n’êtes pas inquiets de voir les jeunes diplômés se détourner des grandes entreprises comme on le lit dans beaucoup d’études ?

V.V : Les jeunes diplômés restent très intéressés par les grandes entreprises. Le tropisme vers les start up continue à exister bien sûr mais les grandes marques conservent leur attrait, d’autant plus en période post pandémie quand elles offrent les conditions d’une stabilité de l’emploi.

O. R : Quand on regarde les résultats de l’enquête on a un peu le sentiment de regarder un miroir inversé : les qualités que reconnaissent aujourd’hui les entreprises aux jeunes qu’elles embauchent sont un peu les défauts qu’elles leur reprochaient il y a vingt ans !

P. B : Effectivement aujourd’hui la capacité des étudiants à travailler en équipe, la créativité, les compétences digitales, la maîtrise de l’anglais sont des compétences reconnues par les entreprises. Ces jeunes sont très bien adaptés au monde de demain. Les remarques que nous avons faites aux écoles depuis vingt ans ont été prises en compte.

V.V : Les Grandes écoles répondent globalement bien aux demandes des entreprises mais des manques subsistent. L’expression écrite, la capacité à produire des documents de présentation, restent insuffisantes. Mais vous avez raison de le dire : les reproches d’hier sont les compliments d’aujourd’hui.

Les Grandes écoles ont su évoluer et notamment dans le digital. On pourrait même considérer qu’en « remote working », en travail à distance, leurs compétences sont devenus natives : des « remote working natives » au même titre qu’on peut parler de « digital natives ». Même leur premier emploi a pu être à distance et ils seront très efficaces dans le monde hybride qui se dessine.

O. R : Ces nouvelles qualités sont-elles tout ce que vous attendez des jeunes diplômés que vous recrutez?

P. B : Dans le conseil il faut aussi savoir livrer ses conclusions à temps à un client. C’est un métier particulier dans lequel le client attend une certaine structure de pensée. Il faut pouvoir faire preuve de créativité et d’ouverture à l’intérieur d’une mission de conseil, qui font partie de leurs qualités, mais avec une contrainte de temps et de ressources. On ne peut pas changer de direction à tout bout de champ comme une start-up de business plan. Le sens de la synthèse leur manque également, mais cela a toujours été le cas. En résumé nous qui sommes très organisés et cartésiens dans nos structures, nous allons bénéficier de leur ouverture d’esprit. A nous de savoir les manager.

V.V : Nous les manageons forcément différemment, car certaines de leurs attentes sont différentes alors qu’ils doivent s’intégrer aux réalités de l’entreprise. Apprendre vite, être agile, respecter les délais et les budgets, c’est efficace de l’avoir appris pendant sa formation.

O. R : Les Grandes écoles sont tout à fait au niveau de vos attentes ?

P. B : Les écoles de commerce sont un peu trop généralistes avec un vernis final de spécialisation. Il faudrait que leurs étudiants s’intéressent à un domaine de manière plus approfondie. Le danger c’est d’être les « Jacks of all trades and masters of none », les « maîtres de rien ». Quand chacun donne son avis sans savoir de quoi il parle c’est antinomique avec la notion même de conseil où il faut argumenter. C’est frustrant pour nous de voir des jeunes sortis des Grandes écoles très à l’aise mais pas assez profonds. Au contraire d’universitaires plus réfléchis mais pas du tout sûrs d’eux.

V.V : Les écoles de commerce forment des généralistes qui savent s’adapter rapidement dans des environnements différents mais sans expertise particulière. Ils doivent apprendre très vite à s’adapter. Les écoles d’ingénieurs forment forcément des profils plus techniques mais auxquels il peut encore manquer des compétences projet et dans les relations clients. En revanche, toutes ont beaucoup progressé sur les capacités d’ouverture et le niveau en anglais de leurs diplômés.

P. B : Une double compétence, un passage par une école de commerce pour un ingénieur, est très appréciable.

V.V : Nous valorisons également les doubles cursus.

O. R : A quels autres points d’un CV êtes-vous particulièrement attentifs ?

P. B : Avoir fait partie d’un junior entreprise c’est un grand atout car c’est avoir déjà évolué dans un environnement conseil, été au contact de clients, managé des équipes, réalisé des missions. Avoir été sportif d’un bon niveau démontre également des qualités de dépassement de soi, comme s’engager dans des actions caritatives. Ce que nous cherchons c’est de l’engagement, des personnalités qui ont été moteurs dans un projet, ont su obtenir des financements, surmonter des difficultés. En fait tout ce qu’on attend d’un chef de projet dans une entreprise de conseil.

V.V : On ne peut pas recruter que des personnes engagées dans des junior entreprises ou des bureaux des élèves. Ce que nous regardons de plus près aussi ce sont les périodes de stage et d’apprentissage. Aujourd’hui nous valorisons de plus en plus l’apprentissage qui est investissement dans la durée dans l’entreprise et qui permet de mettre vraiment le pied à l’étrier.

O. R : Où en êtes-vous dans vos recrutements pour 2021 et à quel niveau se sont-ils établis en 2020 ?

V.V : En 2020-21 nous avons recruté un peu plus de 1000 personnes, y compris en stages et en apprentissage, contre 1500 habituellement. Une baisse donc mais pas une chute. Nous avons particulièrement été attentifs à toujours recruter des apprentis et des stagiaires pour que cette génération soit la moins sacrifiée possible.

En 2021-22 nous pensons recruter entre 1500 et 1700 personnes.

P. B : Nous recrutons en ce moment dans tous nos bureaux dans le monde. Après une première moitié de 2020 difficile, marquée par une stabilisation des effectifs, nous devons nous adapter à une reprise très forte de la demande.

O. R : Les entreprises ont particulièrement besoin de conseils aujourd’hui pour se relancer ?

V.V : Elles réinvestissent dans le futur, les business models se transforment et les transformations s’accélèrent. Autant de thématiques que nous traitons dans nos équipes de conseil.

P. B : La pandémie semble avoir joué un rôle d’accélérateur de tendances. Les achats de véhicules électriques ont décollé. Les grandes entreprises rivalisent d’annonces RSE et DD. Les modes de consommation ont évolué, de même que la frontière entre la sphère privée et professionnelle (télétravail etc…). Face à toutes ces évolutions, toutes ces opportunités en fait, il faut prendre les bonnes décisions. Le conseil apporte une valeur unique, c’est le partenaire naturel des entreprises pour y voir clair, pour hiérarchiser, orienter etc…

O. R : Votre enquête porte également sur les questions de diversité, sociale notamment. Si vos adhérents disent mettre en place des processus de recrutement en faveur de la diversité et de l’inclusion ils disent aussi ne pas recruter spécifiquement des candidats issus de la diversité dans le cadre de leur politique de recrutement.

V.V : Il est probable que les entreprises ont répondu ainsi essentiellement à la question des quotas dans leur recrutement. En France, on ne peut pas faire de discrimination « positive », ce qui ne veut pas dire qu’elles ne prennent pas en compte les questions de diversité. Certaines nous ont même répondu avoir cette volonté dans leur ADN.

P. B : Aujourd’hui les Grandes écoles ne forment pas assez des jeunes issus de la diversité, elles le savent. Or c’est de plus en plus important pour les entreprises d’avoir des équipes de consultants diverses, avec des origines sociales comme géographiques larges. Nous allons être de plus en plus attentifs à jouer un rôle social et pas seulement à reproduire des élites. La diversité comme la parité, c’est aussi une question d’efficacité et de performance

V.V : Les entreprises doivent lutter contre l’autocensure de la part d’étudiants de familles modestes qui n’osent pas postuler. Nous faisons également de larges efforts en faveur de l’égalité hommes / femmes, qui chez les ingénieurs reste un vrai challenge. Mais cela se joue bien avant, sans doute dès le primaire, et cela requiert donc des évolutions profondes de la société.

P. B : Nous allons y contribuer, tout en maintenant la qualité des prestations, le niveau d’expertise, que nous devons à nos clients. Nous devrons sans doute organiser différemment la sélectivité dans nos entreprises avec des tracks spécifiques pour des personnes qui n’auraient pas bénéficiées de toute l’aide pour réussir dès le départ.

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Olivier Rollot est directeur du pôle Information & Data de HEADway Advisory depuis 2012. Il est rédacteur en chef de "l’Essentiel du Sup" (newsletter hebdomadaire), de "l’Essentiel Prépas" (webzine mensuel) et de "Espace Prépas". Ancien directeur de la rédaction de l’Etudiant, ancien rédacteur en chef du Monde Etudiant, Olivier Rollot est également l'un des experts français de la Génération Y à laquelle il a consacré un livre : "La Génération Y" (PUF, 2012).

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