36 000 inscrits au MOOC du Cnam Du manager au leader, 10 000 pour les MOOCs Effectuation : l’entreprenariat pour tous de l’EM Lyon, Gestion de projet de Centrale Lille ou Philosophie et modes de vie de l’université Paris Ouest. Même si seulement 10% des inscrits vont jusqu’au bout de leurs cours gratuits en ligne, jamais ces universités et grandes écoles n’auront enseigné à autant d’étudiants à la fois. Car c’est bien le « M» de MOOC, ce fameux « massif » qui fait la différence avec tout le e-learning développé depuis trente ans. Aujourd’hui tout le monde peut suivre en ligne les meilleurs cours des meilleurs professeurs des meilleures institutions d’enseignement supérieur. Pour autant beaucoup s’interrogent sur leur modèle économique.
Une nouvelle façon d’apprendre
La montée en puissance des MOOCs semble d’autant plus inexorable qu’ils sont beaucoup plus que les simples cours filmés. La plupart des MOOCs présents sur plateforme France Université Numérique (FUN) donnent lieu à de petits quiz. Le MOOC « Des rivières et des hommes » que prépare Grenoble INP comprendra de nombreuses cartes ou animations. « Mais ce qui est vraiment nouveau avec les MOOCs c’est la possibilité pour ceux qu’on appelle les « apprenants » d’échanger ensemble sur les forums et de créer ainsi un réseau qui leur servira longtemps », explique Florence Michau, en charge du projet à Grenoble INP.
Constatant un peu par hasard qu’un groupe d’étudiants en ligne construisait son propre savoir, deux chercheurs canadiens George Siemens et Stephen Downes, en ont fait une théorie : le connectivisme. « Ce qu’il faut c’est apprendre à construire un parcours en collaboration avec d’autres. Aujourd’hui on sait que 1000 personnes réunies créent du savoir mais on ne sait pas encore si c’est le cas avec 5 000 ou 10 000 », se demande Jean-Marie Gilliot, professeur à Télécom Bretagne et créateur du premier MOOC français, ITyPA, en 2012. La solution de MOOCs Claroline, adoptée par Orange, qui vient de lancer sa propre plateforme de MOOCs, Solerni, est fondée sur ce concept : faire travailler ensemble des « apprenants » pour aller plus loin que le simple cours d’un professeur même excellent.
L’importance de la communauté
La possibilité de créer une communauté, notamment grâce à la mobilisation des enseignants, fait partie des grands atouts des MOOCs. Mais ce n’est pas suffisant. Forte de sa bientôt dizaine de MOOCs, l’Institut Mines Télécom pense aujourd’hui à embaucher un modérateur de MOOCs à temps plein. « On estime qu’il faut 5000 inscrits pour créer une communauté et la faire vivre sans intervention extérieure », remarque Jean-Marc Hasenfratz, responsable du MOOC Lab Pédagogique de l’Institut national de recherche en informatique et en automatique (Inria), qui a créé la plateforme FUN.
Pour autant Jean-Marc Hasenfratz n’a pas de théorie absolue sur ce qui fait ou pas le succès d’un MOOC : « J’ai pu constater qu’un MOOC très bien animé par les enseignants et un autre, sur lequel on se contentait de diffuser leurs vidéos, connaissaient finalement tous les deux le même succès ».
« Animer un MOOC c’est aussi prendre garde à ne pas donner trop vite de réponse absolue, sinon on tue les interactions entre les apprenants », reprend Jean-Marie Gilliot, persuadé que les MOOCs ne vont pas pour autant tuer les campus réels : « Les MOOCs vont être un campus global relayé par des rencontres sur des campus locaux ».
La force de la certification
Face à l’émergence de nouveaux acteurs, les grandes institutions d’enseignement supérieur gardent une force fondamentale : celle de pouvoir donner des certificats de valeur. Pour la troisième édition de son MOOC Gestion de projet, qui a démarré le 10 mars, l’École Centrale de Lille propose ainsi d’obtenir une certification. « Dans la deuxième édition, nous avions travaillé avec l’Agence universitaire de la francophonie pour utiliser leurs centres d’examen « physiques », nous allons continuer à le faire dans certains pays mais aussi faire passer les examens sous le contrôle d’un organisme qui suit le travail des candidats avec la caméra de l’ordinateur », explique Etienne Craye, le directeur de Centrale Lille, lors d’un débat organisé par l’association de promotion des formations et métiers du numérique Pasc@line.
Conscient des limites de la méthode – quelqu’un peut toujours souffler les réponses au candidat même s’il est surveillé – Etienne Craye estime que Centrale Lille doit pourtant continuer à avancer et à être pionnier. En plus de la certification, Centrale Lille accordera d’ailleurs des crédits ECTS aux certifiés : un ou deux selon la formule choisie. Une option qui reste contestable pour ceux qui estiment que des ECTS ne peuvent être accordés qu’à des étudiants inscrits dans l’établissement tout au long de leur cursus. Est-ce le cas dans un MOOC ?
Vers l’émergence d’acteurs « low cost »?
Dans son livre « Le Tsunami numérique » (Stock) Emmanuel Davidenkoff, le directeur de la rédaction de l’Etudiant, évoque un numérique qui pourrait avoir « un effet radical, comme lorsqu’il a investi des secteurs, comme la librairie ou la musique ». Il estime que « les progrès de l’intelligence artificielle et du big data donneront aux machines la possibilité de suivre un nombre illimité d’étudiants » et donc d’industrialiser l’éducation au point de pouvoir faire émerger ce qu’il appelle une éducation « low cost » (lire son entretien au Monde).
Utilisant les MOOCs des grandes universités comme « fond de sauce », on pourrait ainsi voir apparaître de nouveaux acteurs dans l’enseignement supérieur, notamment aux États-Unis où le coût des études devient dissuasif. Écartelés entre ces nouveaux entrants et les acteurs les plus puissants beaucoup d’institutions seraient en péril. « Avec la montée en puissance des programmes en ligne des grandes business schools, la moitié des business schools américaines pourraient avoir disparu dans les dix ans, voire dans les cinq ans», estimait récemment Richard Lyons, le dean de la Haas School of Business (UCLA).
Quelle économie pour les MOOCs ?
180€ pour un certificat professionnel « classique », 270€ pour un « avancé », les apprenants du MOOC gestion de projet sont sollicités au portefeuille. « Nous allons enfin essayer de gagner de l’argent », confie Etienne Craye, qui a eu la grande intelligence de laisser toute une équipe s’investir dans le projet et espère aujourd’hui en tirer les fruits. Parce qu’il suffirait qu’un millier d’étudiants se certifient pour commencer à créer une économie du MOOC. La principale plateforme dans le monde, Coursera, annonce ainsi que les certifications lui rapporteront au moins cette année 4 millions de dollars de revenus (lire sur le site du Times Higher Education).
Pionnier de la mise à disposition de ressources numériques en France avec « Le site du zéro », l’ancêtre de l’actuel OpenClassrooms, Pierre Dubuc est en voie d’en trouver un modèle économique et a su convaincre des investisseurs de le suivre. Après avoir commencé par vendre des bannières publicitaires pour financer le développement de contenus numériques essentiellement destinés aux professionnels, il s’inspire aujourd’hui des sites de musique ou de vidéo comme Deezer ou Netflix : « Pour un abonnement mensuel qui démarre à 6,99€ par mois nous mettons à disposition des particuliers et des entreprises tout un contenu qui leur permet de se former ». Mais l’économie numérique peut également prendre des allures très classiques avec toute une série de livres d’informatique qu’édite OpenClassrooms.
Rentabilité aléatoire, risque de cannibalisation par des acteurs « low cost », coûts difficiles à estimer et en évolution constante, on comprend qu’universités et grandes écoles françaises soient encore relativement timides dans la création massive de MOOCs.
Comme l’explique Bernard Ramanantsoa, son directeur général (lire l’entretien complet), si HEC a par exemple décidé de franchir le pas sur la plateforme Coursera c’est pour « comprendre ce qui se passe avec les MOOCs et apprendre en quoi c’est différent d’enseigner dans un environnement totalement ou partiellement (ce qu’on appelle le « blended learning ») numérique. Il y a de nouveaux savoirs faire à acquérir et une question à se poser : la gestion peut-elle s’apprendre à distance comme par exemple la chimie ? ».
- On les appelle les « mooceurs »
- Pionniers du développement des MOOCs en France ils s’appellent entre eux les « mooceurs ». Voici les principaux créateurs de MOOCs français :
- Rémi Bachelet (@R_Bachelet), docteur en sciences de gestion et enseignant à Centrale Lille a rendu les MOOCs populaires en France grâce à son MOOC Gestion de projet créé en 2013.
- Mathieu Cisel (@MatthieuCisel), doctorant en biologie à l’ENS Cachan, a participé au lancement du MOOC Gestion de projet. Aujourd’hui il travaille à la réalisation d’un MOOC consacré à la… création de MOOCs qui devrait bientôt voir le jour et anime le blog La révolution MOOC.
- Jean-Marie Gilliot (@jmgilliot), enseignant-chercheur à Télécom Bretagne il a lancé le premier MOOC français, ITyPA, en 2012 en compagnie de Christine Vaufrey et Morgan Magnin. Il fait aujourd’hui le tour des écoles de l’Institut Mines Télécom pour faire comprendre les enjeux des MOOCs à des écoles qui en ont déjà produit plusieurs sur la plateforme FUN. Il anime le blog Techniques innovantes pour l’enseignement supérieur
- Mathieu Nebra (@m_nebra) est le co-fondateur d’OpenClassrooms avec Pierre Dubuc. Bien avant que démarre l’ère des MOOCs il lance en 1999 – il a 12 ans ! – le « Site du zéro ».
- Christine Vaufrey (@cvaufrey), rédactrice en chef du site Thot Cursus, premier magazine d’information francophone sur les technologies, l’éducation et la formation, fait partie des fondateurs du site ITyPA. Elle est notamment consultante auprès d’Orange pour la réalisation de son premier MOOC public « Le digital, vivons-le ensemble » sur Solerni, la plateforme de MOOCs que vient de créer Orange.
- Citons également : Thierry Curial, qui est la base de la création de la plateforme de MOOCs d’Orange, Solerni ; Cécile Dejoux, créatrice du MOOC Du manager au leader du Cnam; Gilles Dowek, qui a piloté la création de FUN à l’Inria ; Catherine Mongenet, chargée de mission France Université Numérique (FUN) au sein du ministère de l’Enseignement supérieur et de la Recherche ; François Taddei, directeur du Centre de recherches interdisciplinaires auquel on doit le premier « MOOC camp ».
Bonjour
Je vous remercie pour cet article. Je suis française et je m »investis autour du développement des MOOCs. J’ai participé aux premiers MOOCs mis en place par Stephen Downes et George Siemens en 2008 qui étaient les inventeurs de ce concept. J’ai participé au développement du premier MOOC francophone piloté par Stephen Downes sur les ressources libres en 2013-2014
Le lien http://rel2014.mooc.ca/
A propos de MOOC, je vous transmets l’article que j’ai rédigé pour la revue Ludovia en 2011 en lien avec mes travaux de ma thèse en sciences de l’information et de la communication.
Du champ instrumental collectif au «MOOC» : des opportunités pour la professionnalisation
http://www.ludovia.com/2011/05/les-pratiques-du-socialbookmarking-pour-leducation/
Pour en savoir plus sur moi
http://resumup.com/micheledrechsler
https://www.vizify.com/michele-drechsler/career
https://www.vizify.com/michele-drechsler/education
Ma bibliographie
http://www.michele-drechsler.com/cv/portfolios
Me retrouver sur Twitter : (@mdrechsler
Cordialement
Michèle Drechsler
Bonjour,
Merci pour cet article, bien documenté et qui dresse un portrait fidèle de ce qui se joue avec les MOOCs. Je précise juste que je n’ai pas « rejoint les équipes de Solerni », je suis actuellement consultante auprès d’Orange pour la réalisation de son premier MOOC public « Le digital, vivons-le ensemble » (http://solerni.org) mais je travaille avec différents organismes, pour mon plus grand bonheur 🙂