ECOLES DE MANAGEMENT

« Les planètes se sont bien alignées pour l’EDHEC »: entretien avec Emmanuel Métais

Dans le contexte difficile que l’on sait une école de management s’est particulièrement distinguée en 2020 : l’Edhec. La vente pour 200 millions d’euros de sa filiale Scientific Beta a montré l’excellence de son positionnement en recherche. Sa progression dans les classements la pertinence de son modèle académique. L’analyse de son directeur Emmanuel Métais.

  • Cet entretien est paru pour la première fois dans le magazine « l’Essentiel Prépas » qui a fait, en 2020, d’Emmanuel Métais son « directeur de l’année ».

Olivier Rollot : Progression dans les classements des écoles de management, progression dans les vœux des élèves de prépas, vente de votre filiale Scientific Beta, 2020 a été une grande année pour l’Edhec. Comment l’analysez-vous ?

Emmanuel Métais : Nous avons vécu une année très spéciale marquée par la crise de la Covid-19 que nous avons dû surmonter. Mais lorsque l’on se retourne sur 2020, on constate que les planètes se sont bien alignées pour l’EDHEC, le fruit d’un travail que nous avons effectué dans la durée.

Vous évoquez la vente de notre filiale Scientific Beta. Nous avons tout d’abord construit il y a vingt ans un pôle d’excellence, dans le domaine de la recherche sur les risques financiers : EDHEC-Risk Institute. Progressivement, ce centre a acquis une réputation mondiale, notamment en produisant des indices financiers utilisés par les plus grandes entreprises françaises et internationales. En 2012, dans la lignée de ce succès, nous avons créé Scientific Beta, pour commercialiser ces indices qui se révèlent plus pertinents que les indices traditionnels. Le fonds de pension de la police de New York comme beaucoup d’autres investisseurs de par le monde les répliquent. Depuis sa création, Scientific Beta a connu une croissance exceptionnelle (50 Milliards de $ d’actifs sous gestion). Profitant de cette croissance, nous avons finalement cédé Scientific Beta à la bourse de Singapour, au profit de la Fondation EDHEC. Nous avons conservé 6% du capital, car l’acquéreur souhaitait continuer à travailler avec l’EDHEC.

Nous nous situons dans les sciences appliquées. Si elle est de qualité, la recherche doit être non seulement publiée mais aussi commercialisée. A travers cette opération financière, nous poursuivons deux objectifs : continuer à produire une recherche utile à l’économie et aux entreprises et trouver les moyens d’investir pour la développer.

O. R : L’Edhec se classe cette année quatrième dans le Classement des écoles de management du Figaro. Et beaucoup estiment qu’elle a également dépassé emlyon dans les choix des élèves de classes préparatoires en 202, même si la statistique n’a pas été publiée cette année. C’est un accomplissement pour l’EDHEC ?

E. M : Major Prépa a creusé la question et estime qu’au vu du rang du dernier admis, et des désistements croisés tels qu’ils se déroulent ces dernières années, une majorité des élèves qui avaient le choix entre nos deux écoles ont choisi l’EDHEC.

C’est un mouvement comme on n’en avait jamais vu dans le top 5 des écoles de management en France sur un temps très long, où nous savions que nous progressions régulièrement. Depuis plusieurs années, le Financial Times nous classe d’ailleurs à cette même quatrième place. Mais au fond, ce n’est pas une fin en soi. En fait, nous nous sommes d’abord demandé ce que nous pouvions faire de mieux pour les élèves de classes préparatoires, nos futurs étudiants. Ensuite ce fut un long travail pour transformer notre programme Grande école.

Nous nous sommes appuyés sur nos points forts : la finance avec un pôle reconnu dans le monde entier, le droit ou encore l’entrepreneuriat avec l’un de nos incubateurs installés à Station F à Paris, une marque de reconnaissance lorsque l’on sait que seules trois écoles de management y sont accueillies : HEC, l’Insead et l’EDHEC. Nous nous appuyons également sur nos nombreux accords de d’échanges et de doubles diplômes avec les meilleures universités dans le monde, de Stanford à la Corée du Sud. Sans oublier notre programme GETT avec la Business School de Berkeley. En résumé notre progression continue dans les classements français et internationaux est la récompense d’un travail collectif de longue haleine des équipes et des professeurs.

O. R : En 2020 vous avez également présenté un nouveau plan stratégique et une nouvelle identité de marque. Comment définiriez-vous l’identité de l’EDHEC aujourd’hui ?

E. M : La stratégie « EDHEC for Future Generations » marque notre volonté de mettre nos programmes et notre recherche au service de grandes causes sociétales. C’est un mouvement auquel on assiste un peu partout. Les business schools doivent faire en sorte que le business devienne une solution aux grands défis qui se posent : le changement climatique, les inégalités de richesses, l’inclusion ou encore le bon usage de la technologie.

La RSE n’est plus une notion superflue que l’on plaque sur les entreprises. Et les jeunes tiennent à voir ces dimensions portées par les écoles. Il s’agit d’une véritable inflexion plébiscitée par la société comme par des étudiants, qui veulent voir le monde progresser. Par sa signature « Make an Impact », l’EDHEC a d’ailleurs été la première à l’inscrire au fronton de l’école. D’une certaine manière, c’est dans son ADN depuis sa fondation au sein de l’Université catholique de Lille.

O. R : C’est un vrai changement de paradigme pour une école qui a beaucoup été marquée par la dimension finance ces dernières années.

E. M : En réalité, nous avons trois grandes aspirations. La première est de devenir la référence mondiale en matière de « finance durable ». Pour cela, nous accélérons le développement de notre nouvelle filiale Scientific Infra, avec pour ambition de devenir le leader mondial sur les investissements en infrastructures : ce sont des investissements très lourds, très longs et dont le rendement et le risques sont très difficiles à estimer. Nous sommes là dans la finance du réel. Notre centre de recherche à Singapour travaille sur de grandes bases de données composée de plus de 1,000 projets d’infrastructure, pour produire des indices que nous allons vendre aux investisseurs pour guider leurs choix. En y incluant des indicateurs d’empreinte carbone, d’empreinte au sol, que l’IA nous permet de mesurer.

Nous voulons, ainsi que nos professeurs et chercheurs, résolument basculent vers une finance soutenable, encore plus utile à la société. Si demain les banques ne prêtaient plus aux entreprises qui ne gèrent pas leur empreinte carbone, ce serait un levier considérable. Aujourd’hui la moitié des indicateurs de Scientific Beta intègrent déjà des données « ESG » et l’impact est visible.

O. R : Quelles sont les deux autres grandes aspirations de votre plan stratégique ?

E. M : La deuxième aspiration est l’hybridation des programmes. Dans un monde de plus en plus complexe, nous voulons ouvrir nos étudiants à de nouveaux champs disciplinaires, en leur proposant des parcours de formation croisés avec d’autres institutions académiques, écoles d’ingénieurs, IEP ou autres. Enfin, la troisième aspiration est la tech et la data : ces dix dernières années nous avons investi 150 millions d’euros sur nos campus qui sont absolument magnifiques. Dans les dix à vingt ans à venir, ce sera plutôt dans le digital qu’il faudra investir. Pour cela nous devons nous penser comme des plateformes. Nous pouvons pour cela nous appuyer sur l’expertise d’EDHEC Online, notre filiale dédiée au digital qui compte quarante personnes chargées de concevoir des programmes à distance. Nous nous sommes associés avec huit autres grandes institutions d’enseignement supérieur du monde entier, dont Imperial College et Johns Hopkins, dans le cadre de l’alliance FOME (Future of Management Education) – pour créer des parcours communs et bénéficier des technologies de pointe développées par l’alliance.

Demain deux modèles vont donc cohabiter, le présentiel et le distanciel. Il ne faut pas les opposer car ils correspondent à des attentes totalement différentes. Les étudiants veulent venir sur nos campus, veulent avoir accès à des salles de cours et rencontrer leurs professeurs. EDHEC Online s’adresse à tous ceux qui ne peuvent pas se rendre sur nos campus pour des raison d’emploi du temps, d’éloignement géographique ou de handicap. En 2025 nous estimons qu’EDHEC on line représentera 10% de notre chiffre d’affaires. Nous avons d’ailleurs nommé Benoit Arnaud, qui dirigeait EDHEC Online, à la direction de tous nos programmes pour entamer un rapprochement progressif, que l’épidémie de Covid-19 a accéléré. EDHEC Online propose des programmes de la même qualité et au même prix que ceux que nous délivrons sur nos campus.

O. R : Que faites-vous des 200 millions d’euros qu’a rapporté à l’EDHEC la vente de Scientific Beta ?

E. M : Avec la Fondation EDHEC qui gère ce capital nous prenons notre temps pour décider. Nous allons en utiliser une partie pour financer des bourses d’études, dont le montant atteint aujourd’hui 10 millions par an. Nous allons également le réinvestir dans les « petites sœurs » de Scientific Beta, dont EDHEC Infra et également créer un fonds d’investissement EDHEC Ventures pour soutenir des start-up portant des projets durables. Nous pensons également créer un centre de recherche mondial sur la finance et l’économie du climat.

O. R : Le modèle de recherche que vous avez appliqué avec Scientific Beta est-il applicable à d’autres domaines ?M : Certainement, mais c’est une mayonnaise compliquée à faire prendre car il faut des professeurs capables de s’investir dans la recherche de haut-niveau mais aussi dans le développement industriel et commercial. Aujourd’hui nous appliquons par exemple ce modèle au droit également avec la création du EDHEC Augmented Law Institute cette année.

 O. R : Comment se traduit votre implication dans la maîtrise du changement climatique dans vos enseignements ?

E. M : Nos nouveaux entrants font leur rentrée en participant à un hackathon autour de la question du changement climatique, suivie par la réalisation d’une « Fresque du Climat ». Tout au long de leur scolarité et dans toutes les disciplines, les étudiants suivent des cours qui les sensibilisent aux enjeux environnementaux. Nous leur proposons également un MSc axé sur le développement durable en partenariat avec Butagaz, une entreprise qui précisément doit intégrer ces questions à sa stratégie. Enfin, avec Mines ParisTech nous venons de créer un Msc en finance durable « Climate Change & Sustainable Finance ».

O. R : Mais quand des étudiants vous disent « c’est trop cher » pour suivre un enseignement à distance, que leur répondez-vous ?

E. M : Baisser les frais de scolarité mettrait en difficulté beaucoup d’écoles. Nous sommes une association à but non lucratif, reconnue d’intérêt général, dont tout le profit est réinvesti dans l’école. Pas vers des actionnaires. Si l’enseignement supérieur coûte cher, il faut comprendre que 80% de nos frais sont des coûts fixes et notamment des coûts de main d’œuvre.

Par ailleurs, la gestion de la pandémie nous a beaucoup coûté, en particulier pour financer la bascule des enseignements en ligne. Nos équipes ont produit un travail considérable pour assurer la continuité des enseignements. Quant à nos campus ils restent ouverts, les étudiants peuvent accéder aux bibliothèques comme à un grand nombre de nos services. Nous avons créé un fonds pour venir en aide aux élèves en difficultés financières doté de 450 000€. Même si nous pouvons comprendre la frustration des étudiants dans cette crise qui dure, rembourser une partie des frais de scolarité est donc impossible, sachant que nos étudiants vont malgré la Covid obtenir un diplôme de valeur, qui leur sera utile dans un marché de l’emploi forcément difficile.

O. R : Les écoles de management françaises ont-elles aujourd’hui les moyens de leurs ambitions sur un marché ultra-concurrentiel ?

E. M : Les écoles sont confrontées, dans la compétition internationale, à des investissements toujours croissants et dans le même temps à des ressources qui diminuent. En France, on observe que les ressources tirées de la taxe d’apprentissage sont en question, que la formation continue est réformée et que les financements de l’Etat se tarissent.

Alors quelles pistes pour se développer ? La formation continue : l’EDHEC a une vraie légitimité en la matière, mais ce n’est pas possible pour tout le monde, surtout s’il s’agit d’être profitable. Les fonds d’investissement ? Nous ne souhaitons pas renoncer à notre indépendance et nous soumettre à des actionnaires souvent orientés vers le court terme.

Sans compter que la compétition mondiale s’exacerbe, avec l’émergence de nouveaux concurrents potentiels, comme par exemple les GAFAM.

L’EDHEC a trouvé sa voie, celle d’une école indépendante, qui s’est toujours développée de manière autonome. Nous savons équilibrer nos comptes grâce notamment à l’apport de la recherche et grâce à une bonne gestion. Encourager une recherche utile, « for future generations » est une piste de réponse. Il n’y a qu’en assurant la production d’une recherche à forte valeur ajoutée pour les entreprises et pour la société que nous continuerons à progresser.

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Olivier Rollot est directeur du pôle Information & Data de HEADway Advisory depuis 2012. Il est rédacteur en chef de "l’Essentiel du Sup" (newsletter hebdomadaire), de "l’Essentiel Prépas" (webzine mensuel) et de "Espace Prépas". Ancien directeur de la rédaction de l’Etudiant, ancien rédacteur en chef du Monde Etudiant, Olivier Rollot est également l'un des experts français de la Génération Y à laquelle il a consacré un livre : "La Génération Y" (PUF, 2012).

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