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« L’Etat doit toujours aider l’Ecole polytechnique à être compétitive face à ses concurrents internationaux»

Président de l’Ecole polytechnique et de l’Institut polytechnique de Paris, Eric Labaye a su depuis quatre ans développer une école, leader de l’enseignement supérieur français, mais toujours à la poursuite de ses grands concurrents internationaux que sont le MIT ou l’EPFL. Il revient avec nous sur sa stratégie de développement.

Olivier Rollot : Il y a bientôt trois ans qu’a été créé l’Institut polytechnique de Paris, ou IP Paris, que vous présidez. Quel bilan pouvez-vous en tirer ?

Eric Labaye : Premier établissement public expérimental (EPE) créé en France, l’Institut polytechnique de Paris est aujourd’hui dans une dynamique de développement fort. Pour son entrée dans le classement QS World University Rankings 2022, l’Institut Polytechnique de Paris s’est ainsi hissé parmi les 50 premières institutions mondiales, et même au 12ème rang pour l’employabilité de ses diplômés. L’employabilité est dans l’ADN de nos écoles. La création d’lP Paris répondait à une nécessité de les rendre encore plus visibles et, de ce point de vue, l’objectif est atteint.

Le deuxième élément que je mettrais en avant est la création d’une gouvernance efficace, comprenant un conseil d’administration, un comité exécutif, un Conseil Académique et un Comité scientifique international (ISAB). Aussi, nous avons pu mettre en place une Graduate School réunissant 70 parcours de master répartis dans 15 mentions, et 12 PhD Tracks. Plus de 700 étudiants en tout. De même, nous avons commencé à mettre en place une organisation par grands départements de recherche disciplinaires. Dans 10 thématiques, le recrutement des enseignants-chercheurs se fera en commun pour toutes les écoles.

La troisième avancée importante est le développement de plusieurs centres interdisciplinaires : Energy4Climate avec EDF, HI ! Paris sur l’Intelligence artificielle (IA) avec nos amis de HEC, le CIEDS (Centre interdisciplinaire d’études pour la défense et la sécurité) et enfin Engineering for Health que nous allons présenter cette année. Une véritable dynamique interdisciplinaire s’est développée avec le soutien, à hauteur de 30 à 40 millions d’euros par an, d’acteurs externes. Un autre partenariat a d’ailleurs été signé avec l’Inria qui a dédié un centre de recherche IP Paris dans les domaines informatique et mathématiques sur le campus de l’École polytechnique.

Nous publions également une revue, Polytechnique Insights, consacrée aux innovations et aux résultats des recherches et à leurs implications socio-économiques, qui constitue le vecteur principal de notoriété de l’Institut Polytechnique de Paris au niveau mondial.

Je rappellerai également tout le travail réalisé avec l’établissement public d’aménagement Paris-Saclay pour construire un campus attractif, à mobilité douce, qui nous permettra d’attirer les meilleurs professeurs comme les meilleurs étudiants au niveau mondial. Enfin, nous avons conclu notre contrat objectif performances 2022-2026 avec l’Etat qui séquencera notre développement sur 5 ans avec l’ensemble des parties prenantes.

O. R : Quelles relations entretenez-vous encore avec l’université Paris-Saclay ?

E. L : Nous avons de très bonnes relations. Trois fois par an nous nous réunissons pour évoquer l’avenir d’un plateau qui se situe dans le top ten mondial en termes de cluster scientifique, et dont nous sommes les deux « hérauts » à l’international. Nous travaillons ensemble, au sein de la Société d’Accélération du Transfert de Technologie (SATT) pour assurer le développement de la maturation des entités de nouveaux business, ainsi que pour construire des logements et des équipements sportifs. Nous travaillons également toujours ensemble sur les Labex et les Equipex.

Au sein de la fondation mathématiques Jacques Haramard, nous avons une école doctorale commune en mathématiques. En compagnie du CNRS, du CEA et de l’Inria, nous investissons dans le développement d’un centre interdisciplinaire sur le développement de la physique quantique qui va demander des investissements considérables. Nous sommes également partenaires dans certains projets comme le Paris Saclay Cancer Cluster, qui vient d’être créé avec Sanofi, l’Institut Gustave Roussy et l’Inserm. Ensemble, nous irons de la recherche fondamentale jusqu’au développement des traitements. C’est un projet commun dans lequel 2 acteurs académiques unissent leurs forces dans un projet d’importance nationale

O. R : Où en est la collaboration d’IP Paris avec HEC Paris ?

E. L : Nous sommes très proches et très complémentaires dans nos disciplines avec des masters en commun, par exemple en entrepreneuriat.

Notre master commun X-HEC Data Science for Business occupe le 3ème rang mondial en recevant un tiers d’étudiants de l’École polytechnique, un deuxième tiers de HEC et enfin un tiers issus d’autres institutions de premier plan. Nous devons continuer ensemble à développer des masters sur ces domaines des data science.

Avec HI! Paris, que j’ai mentionné, nous rassemblons déjà cinq mécènes importants (Capgemini Kering l’Oréal Rexel et TotalEnergies), qui vont nous permettre de développer un centre de visibilité mondiale. L’objectif est d’apporter les perspectives d’une recherche de pointe et d’alimenter les formations dans ces domaines de Data Science, couvrant à la fois la science, la technologie, le management et la société. Nous commençons également à répondre ensemble à des appels à projets de l’Etat où nos compétences sont complémentaires.

O. R : La pandémie semble presque derrière nous. Quels enseignements avez-vous pu en tirer pour les écoles d’IP Paris et l’École polytechnique en particulier ? Quelle part de distanciel allez-vous par exemple conserver dans vos enseignements ?

E. L : La pandémie a démontré que l’on pouvait développer de nombreuses actions avec le digital. Nous étions déjà en avance sur le développement des MOOC, mais cela ne concernait finalement que très peu de professeurs. Aujourd’hui, tout le monde a pris conscience de la force du digital. Chaque professeur doit trouver un juste équilibre entre le présentiel et le distanciel et nous avons renforcé notre équipe pédagogique pour les y aider. Pour un étudiant, visionner un cours en asynchrone, avant de se retrouver pour des cours en petites classes avec beaucoup d’interactions, c’est très positif.

Cette possibilité de suivre des cours à distance peut également accélérer le développement des universités européennes, comme l’alliance EuroTech dont nous faisons partie.

O. R : Après de longs débats, TotalEnergies a finalement pris la décision d’implanter son nouveau centre de recherche en dehors de votre campus. Comment jugez-vous la polémique qui s’est fait jour ? Ne marque-t-elle pas la difficulté qu’ont parfois les établissements de recherche français à constituer des clusters d’activité à l’image de ce qui se passe dans les grands campus américains ?

E. L : C’est un dossier que j’ai trouvé à mon arrivée à la présidence de l’École polytechnique et sur lequel le degré de concertation initial n’avait sans doute pas été assez poussé. Depuis le dépôt du projet, toute une série de recours avait été déposée contre lui. Après quatre ans pour finaliser une nouvelle solution que je trouvais satisfaisante, TotalEnergies a préféré se retirer et stopper son implantation sur le parc d’innovation sur lequel il devait installer son centre de R&D. Je le regrette, mais nous sommes heureux de conserver de forts partenariats en cours avec TotalEnergies .

Aujourd’hui, nous avons lancé tout un travail sur le développement de notre parc d’innovations. Le MIT comme l’EPFL ont pris vingt ans pour développer ces parcs. Nous avons aujourd’hui reçu des expressions d’intérêt de beaucoup d’industriels. Et nous sommes évidemment très clairs sur l’indépendance de notre recherche vis-à-vis des entreprises partenaires.

O. R : Plus largement, IP Paris et l’École polytechnique ont-elles aujourd’hui les moyens de leur développement face à de grands concurrentes comme le MIT ou l’EPFL ? L’Etat joue-t-il son rôle ? Comment les fondations vous soutiennent-elles ?

E. L : Les grands acteurs que vous citez ont des moyens plus importants que les nôtres. L’EPFL, c’est un milliard d’euros de budget pour 11 500 étudiants. Le MIT 2,6 milliards pour le même nombre. Le budget d’IP Paris est de 400 millions d’euros pour 8 000 étudiants. Notre ratio est de un à deux avec l’EPFL, de un à six avec le MIT. Notre ambition est de doubler notre surface financière dans les dix prochaines années pour, in fine, se donner les moyens d’attirer les meilleurs chercheurs, les meilleurs étudiants, dans des infrastructures de premier ordre.

Pour cela nous devons travailler sur tous les axes de financement. Avec les entreprises – nous travaillons déjà avec 5/6 grands entreprises sur nos centres interdisciplinaires-, nous signons également de plus en plus de contrats de recherche, et des mécénats qui se positionnent déjà, pour certains, au niveau de l’EPFL en termes de niveau de soutien financier, c’est-à-dire un million d’euros par an.

Nous avons un second axe avec les alumni et les grands donateurs. Chaque année, le MIT obtient 700 millions d’euros de son endowment, des donations. Avec la Fondation de l’École polytechnique et des autres écoles d’IP Paris qu’elle abrite, l’objectif est de dépasser les 200 millions d’euros de dons lors de la prochaine campagne. Pour la précédente nous nous situions à 87 millions d’euros.

En troisième axe, nous répondons également aux appels à projets européens et français, ERC comme PIA4 ou France 2030. Nous pouvons encore nous améliorer dans ces appels à projets

Le développement des masters, des DNM d’état jusqu’à des mastères très professionnalisant, doit également nous apporter plus de ressources avec les droits de scolarité.

Dernier point, l’Etat doit continuer à nous soutenir. Nous nous situons aujourd’hui à deux tiers de financement pérenne pour un tiers sur projet. Ces financements pérennes doivent être préservés. Il ne faut jamais oublier que les deux tiers du financement de l’EPFL proviennent de l’Etat fédéral suisse. L’Etat doit toujours nous aider à être compétitifs face à nos collègues internationaux. C’est une question d’attractivité et de taille critique, incluant les rémunérations que nous pouvons proposer à nos professeurs et l’environnement, les laboratoires, l’équipement, les équipes, etc.

O. R : L’École polytechnique vient de publier son Plan climat. Elle fait partie des écoles les plus en pointe sur ce sujet. Quelles sont vos grandes ambitions en la matière ?

E.L : C’est l’aboutissement d’un travail qui a démarré en 2019, au moment de la célébration de nos 225 années de contribution au développement de la société. Aujourd’hui, le futur de l’École se situe clairement dans le développement durable. Le Plan Climat est un travail collectif entre les professeurs, les élèves, les personnels. Pour cela, nous avons fixé 10 objectifs réalisables à 5 ans pour transformer en profondeur les comportements et contribuer à l’avènement d’une prospérité responsable et soutenable. Nous allons multiplier par trois les heures de formation aux enjeux de durabilité dans tous les cours. Nous allons former tous nos personnels à appliquer la transition écologique au quotidien.

Surtout, nous allons développer un campus démonstrateur de la transition en nous assurant que 50% de nos commandes sont effectuées sous des critères d’achats responsables. Notre responsabilité, c’est aussi de réduire de 20% nos émissions dans les cinq années à venir. Pour cela, nous allons passer à une mobilité douce sur notre campus. Nous nous sommes vraiment saisis collectivement du sujet.

O. R : Les « très grandes écoles » comme les vôtres sont régulièrement pointées du doigt pour leur manque de diversité sociale. Quelles sont vos avancées sur ce sujet ?

E. L : Nous avons entrepris des dizaines d’actions en ce sens. Mais ce n’est pas toujours facile. Nous voulions par exemple accorder un bonus aux 5 ½ boursiers, les étudiants qui passent trois années en classes préparatoires, et le Conseil d’Etat l’a refusé au nom de la rupture d’égalité devant l’accès à l’emploi public.

Nous avons également institué la transparence pour tous de nos oraux pour ne pas donner de prime aux seuls lycées organisés spécifiquement pour les préparer. Nous renforçons également le recrutement dans les filières universitaires. Pendant leur formation humaine et militaire, 40 de nos étudiants font du coaching d’élèves boursiers en classes préparatoires pour les aider à intégrer l’École.

Quant à l’Opération Monge, que l’École polytechnique a lancée en 2020, elle mobilise nos élèves pour échanger avec 20 000 lycéens, répartis dans 400 lycées, afin de les sensibiliser aux études scientifiques et techniques d’excellence et les inciter à s’y orienter. Nous discutons également de la création d’un Cycle pluridisciplinaire d’études supérieures (CPES) sur le plateau de Saclay.

Mais il faut aussi réfléchir à l’évolution même des classes préparatoires. Dans nos analyses, nous avons été frappés de constater que le seul lycée dans lequel élèves de classes préparatoires boursiers et non boursiers ont les mêmes taux de réussite est le lycée Fermat de Toulouse. Or, il propose un suivi personnalisé des élèves tout en ayant un internat ouvert toute l’année quand il ferme les week-ends pratiquement partout ailleurs. Il faudrait peut-être s’en inspirer ?

Les étudiants polytechniciens défilent sur leur campus (©École-polytechnique-J.-Barande)

O. R : Quel pourcentage de boursiers et de femmes l’École polytechnique reçoit-elle aujourd’hui ?

E. L : Entre 12 et 13% de boursiers et 18 à 20% de femmes. Mais en master comme en bachelor le pourcentage de ces dernières passe à 35%. Notre problème c’est le manque de candidatures de femmes en cycle ingénieur.

O. R : Où en est le développement du bachelor de l’École polytechnique ? Rappelons le premier bachelor d’une école d’ingénieurs à avoir reçu le grade de licence.

E. L : Nous recevons aujourd’hui 160 étudiants par promotion, dont 70% d’internationaux, ce qui était notre objectif. Au sein de la première promotion, 94% des diplômés ont poursuivi leurs études dans des universités de premier plan, le MIT, l’EPFL, etc. et quelques-uns à l’École polytechnique. Toutes les institutions qui les reçoivent se félicitent de leur niveau.

O. R : Et la formation continue ? Où en en est son développement ?

E. L : Comme tous les établissements, nous avons subi un petit ralentissement avec la pandémie. Nous allons doubler les promotions de notre Executive Master en technologie et innovation – 40 étudiants chaque année aujourd’hui – qui s’adresse à des cadres de plus de 15 ans d’expérience qui veulent maîtriser les nouvelles technologies et nouveaux business models. C’est un master avec des visites internationales sur les campus de grandes universités à Munich, Berkeley ou Singapour pour saisir la dynamique mondiale.

Nous proposons également des certificats plus classiques et des programmes autour de la data et de l’innovation. En tout, la formation continue contribue à hauteur de 6 à 8 millions d’euros par an au budget de l’École, avec une dynamique de développement de 10 à 15% par an.

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Olivier Rollot est directeur du pôle Information & Data de HEADway Advisory depuis 2012. Il est rédacteur en chef de "l’Essentiel du Sup" (newsletter hebdomadaire), de "l’Essentiel Prépas" (webzine mensuel) et de "Espace Prépas". Ancien directeur de la rédaction de l’Etudiant, ancien rédacteur en chef du Monde Etudiant, Olivier Rollot est également l'un des experts français de la Génération Y à laquelle il a consacré un livre : "La Génération Y" (PUF, 2012).

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