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MOOCs, numérique, apprentissage… comment les pédagogies évoluent à l’université: entretien avec Jean-Loup Salzmann et Gilles Roussel

L’heure est aux évolutions pédagogiques : cours en ligne, numérique, développement de l’apprentissage, formation tout au long de la vie, tout évolue aujourd’hui dans l’université. Président de la Conférence des présidents d’université (CPU) et de l’université Paris XIII, Jean-Loup Salzmann, s’interroge sur le sujet en compagnie de Gilles Roussel, président de la commission et de l’insertion professionnelle de la CPU et de l’université Paris Est Marne-la-Vallée.

Olivier Rollot : L’arrivée des massive open online courses (MOOC), ces cours en ligne massifs et gratuits, a provoqué un véritable électrochoc dans l’enseignement supérieur sans qu’on sache encore s’il s’agit d’un effet de mode ou d’une vraie révolution. Qu’en pensez-vous ?

Jean-Loup Salzmann
Jean-Luc Salzmann

 

Jean-Loup Salzmann : Comme souvent il y a un effet de mode. Comme d’habitude on entend dire qu’il ne faut absolument pas rater le virage. Or ce qui évolue avec les MOOCs ce n’est pas la pédagogie interactive ou la scénarisation, qui existent déjà depuis longtemps, mais le fait d’aller à la rencontre d’un nombre toujours plus grand d’étudiants et d’élargir même au delà le public. Les MOOCs sont en fait , comme l’ont été les QCM ou la vidéo, de bons outils agrémentant la pédagogie de l’enseignant.

Gilles Roussel : Ce qui change vraiment aujourd’hui c’est la capacité que nous avons à traiter des données en grande masse, avec même la possibilité de corrections automatiques. Pour revenir aux MOOCs, ils sont souvent des produits d’appel et de communication. Leur émergence ne va pas transformer à court terme les universités. L’enjeu principal est ailleurs : c’est la place que va occuper le numérique dans les enseignements. Les MOOCs s’inscrivent dans une évolution pédagogique plus large.

O. R : Qu’est ce qui change vraiment aujourd’hui ?

J-L. S :La pédagogie est au premier plan, c’est elle qui oriente et influe tout l’enseignement. l’enseignant revient ainsi au centre du dispositif. Ceux qui rêvent d’un enseignement sans enseignant se trompent.

O. R : Mais a-t-on toujours besoin d’autant d’enseignants à partir du moment où un cours de référence a été enregistré ?

J-L. S : Avoir enregistré le ténor Caruso n’a pas empêché qu’il y ait depuis de multiples nouveaux enregistrements des opéras qu’il a enregistrés. La même musique peut être chantée différemment et surtout, dans le cas de l’enseignement supérieur, évoluer constamment. Déjà la précédente « mode », celle des serious games, donnait la part belle à l’enseignement.

G. R : Sans compter que ce n’est pas tout de donner un cours. Il faut aussi de l’accompagnement autour et l’enseignant est là encore indispensable.

J-L. S : les enseignements proposés en ligne ne remplacent pas la présence d’enseignants, ils permettent aux étudiants de se concentrer davantage sur ce qui est dit en cours, la prise de note est souvent très chronophage surtout en première année. Et puis n’oublions pas  les étudiants salariés, car ils sont nombreux, et les enseignements disponibles en ligne sont très précieux pour eux

O. R : Jean-Loup Salzmann, vous êtes vous-même un médecin et ce sont aujourd’hui les études qui font le plus appel à la vidéo, notamment parce qu’il n’y a pas assez de places dans les amphithéâtres pour recevoir tous les étudiants dans de nombreuses universités. Les étudiants travaillent-ils aujourd’hui différemment ?

J-L. S : Tous nos étudiants peuvent suivre les cours en amphi à Paris XIII. Et depuis que les cours sont filmés ils ne sont pas moins nombreux à y assister. Par contre, ils prennent des notes différemment et le nombre de connexions aux vidéos est faramineux. Chaque étudiant voit chaque cours deux fois après l’amphi. La vidéo n’est donc pas un substitut au cours, ce qu’elle remplace c’est la prise de notes.

O. R : Filmer des cours c’est aussi particulièrement utile pour les personnes en formation professionnelle.

J-L. S : Beaucoup de nos étudiants sont salariés. Soit on demande à l’enseignant de revenir après 20 h pour leur assurer des cours en dehors de leurs heures de travail, soit on les filme et on met leurs cours à disposition.

O. R : Mais tout cela ne se fait pas encore partout. Il y a encore des réticences chez beaucoup d’enseignants ?

J-L. S : Il n’y a pas de réticences s’ !i n’y a que les étudiants inscrits qui aient accès aux cours filmés. Ensuite, il est clair qu’on ne parle pas à 100 étudiants comme à la terre entière. Moi-même j’aime bien faire rire pendant mes cours parce que c’est efficace pour apprendre. C’est bien plus difficile dans le cadre d’un MOOC.

O. R : Les MOOCs sont aussi un apport très intéressant pour toucher les étudiants francophones et notamment en Afrique.

J-L. S : C’est un enjeu essentiel, pour toucher un public francophone, par exemple aux États-Unis où vivent autant de Français que dans deux départements français réunis, il en va de même pour l’ensemble des pays francophones. Il y a déjà aujourd’hui beaucoup d’enseignements en ligne, notamment grâce à l’Agence universitaire de la francophonie.

O. R : Faut-il aussi réaliser des MOOCs en anglais ?

J-L. S : Beaucoup de cours gagnent à être dispensés en anglais pour permettre ensuite aux étudiants de suivre des cursus internationaux. L’anglais est devenue la langue internationale de communication en science.

O. R : Au-delà des MOOCs c’est aujourd’hui la pédagogie qui évolue avec le numérique. Est-ce plus difficile d’enseigner aux étudiants aujourd’hui qu’il y a vingt ans ?

J-L. S : Non mais il faut créer de plus en plus de dispositifs pour retenir l’attention. Même dans un cours très théorique il faut toujours surprendre son public.

G. R : Être enseignant c’est être aussi un peu acteur. Les outils numériques peuvent nous permettre de faire évoluer notre enseignement.

O. R : L’apparition des MOOCs, et plus largement du numérique, ce n’est pas une révolution contrairement à ce que dit par exemple Michel Serres ?

J-L. S : Oui mais c’est la 225 733ème révolution. Je parlerais plutôt d’un changement de plus avec une vraie nouveauté qui est la capacité de massification du public. Je suis plus fasciné par ce qu’on appelle la « réalité augmentée» comme ce que met par exemple en place l’Université européenne de Bretagne avec des écrans qui donnent vraiment l’illusion d’être face à son interlocuteur alors qu’il se trouve à des centaines de kilomètres. Les outils transforment l’enseignement et ce qui reste c’est la pédagogie, une fois de plus c’est l’humain qui prédomine !

O. R : Un des défis auxquels le numérique peut également répondre est financier avec la nécessité d’accueillir de plus en plus d’étudiants dans les années à venir.

J-L. S : Aux États-Unis il existe depuis longtemps des universités virtuelles, par exemple en droit aux USA. En France cela n’a pas de sens en dehors de la formation professionnelle continue. Aujourd’hui les deux tiers des fonds qui lui sont affectés – 21 milliards d’euros ! – sont utilisés pour payer les salaires de ceux qui se forment. Avec le numérique, on pourrait réaffecter une grande partie de ces fonds à la formation.

O. R : Les universités en font elles aujourd’hui assez en formation continue ?

J-L. S : Elles auraient du mal à en faire moins ! Or nous sommes parfaitement légitimes vis-à-vis d’autres structures dont la puissance intellectuelle ne peut pas nous effrayer. Tout le problème c’est que les universités, si on excepte le CNAM, ne sont pas historiquement présentes en formation continue alors qu’elle fait partie de leurs missions. De plus, une partie de nos enseignants est rétive à un type de pédagogie nécessaire face à un public très exigeant.

Gilles Roussel

G. R : La formation professionnelle comme l’apprentissage demandent à l’enseignant un investissement plus important et une grande ouverture vers l’entreprise. Le tout permettant une meilleure insertion professionnelle de nos diplômés. Les universités sont mures aujourd’hui pour s’investir et considérer que la formation professionnelle est aussi noble que la formation initiale et la recherche. Les enseignants doivent aussi faire évoluer leurs méthodes, notamment en prenant en compte les compétences acquises dans les entreprises.

Cela va devenir de plus en plus facile car, avec la montée en puissance de l’apprentissage, formation initiale et continue se rapprochent. La réflexion autour de la formation tout au long de la vie est beaucoup plus présente. Reste un handicap à surmonter pour former le plus grand nombre : de plus en plus les formations pour les personnes en recherche d’emploi se font après un appel d’offre et nos universités ne sont pas toujours bien préparées pour y répondre.

 

O. R : Donc l’université évolue dans ses missions.

J-L. S : L’enseignant est très attaché à son rôle social. L’esprit qui régnait dans les années 70 était de faire partager la connaissance et disons d’assurer sa propre pérennité intellectuelle. Aujourd’hui, nous devons participer au développement économique de la nation et permettre à chacun de nos diplômés de trouver un emploi. Ce qui était « impur » est devenu un rôle social et même les syndicats étudiants y adhèrent. Nous avons beaucoup appris de nos IUT qui étaient très en avance sur le reste de l’université.

G. R : Les IUT ont effectivement été des précurseurs qui ont joué le jeu du rapprochement avec les entreprises et ont permis une large diffusion de leurs pratiques dans toute l’université.

O. R : Dans le cadre de la réforme de la formation professionnelle, les règles qui régissent l’apprentissage vont changer. Quel regard portez-vous sur les évolutions à venir ?

J-L. S : Quand on dit qu’il faut doubler le nombre d’apprentis à l’université je ne peux que m’en réjouir. Si la taxe d’apprentissage doit d’abord aller vers les apprentis c’est parfait. Quand on parle de simplifier sa collecte, on ne peut qu’être d’accord.

O. R : On parle également d’un « fléchage » des ressources vers les niveaux les moins élevés, CAP, bac pro, au détriment de l’enseignement supérieur post bac+2.

J-L. S : Flécher l’apprentissage vers le niveau V c’est très bien mais qui dit apprentissage dit entreprises et on manque, à ces niveaux, d’entreprise souhaitant des apprentis. Là où on peut vraiment développer l’apprentissage aujourd’hui c’est en licence ou en master. L’avenir de l’apprentissage est à l’université. La France a besoin de jeunes formés avec un haut niveau de qualification si elle veut se battre avec ceux qu’on appelait les pays en voie de développement. Or beaucoup de nos étudiants ne seraient jamais allés à l’université s’ils n’avaient pas pu y bénéficier des mécanismes liés à l’apprentissage.

G. R : L’université Paris-Est Marne-la-Vallée que je préside est celle qui a le plus d’apprentis en France : un peu moins d’un quart de nos effectifs avec certains masters à 100% en apprentissage. Ces 25% sont un cap qui paraît aujourd’hui indépassable car la formule de correspond pas à tous les profils. Ailleurs, aller bien au-delà de 3% est tout à fait envisageable, même en histoire ou en lettres. D’autant que cela représente un vrai enjeu en termes de rapprochement avec les entreprises. Et pas seulement des grandes entreprises. L’apprentissage permet à des PME d’employer un ingénieur ou un étudiant de master qu’elles ne pourraient certainement pas rémunérer sinon.

J-L. S : En cinq ans Paris XIII a doublé le nombre de ses apprentis à pour passer à 10% des effectifs. Les universités pluridisciplinaires, situées en périphérie urbaine, au milieu d’un tissu économique important ont une belle carte à jouer. C’est sans doute beaucoup plus difficile pour des universités de sciences humaines implantées dans des centres villes. Pour conclure sur la réforme à venir, les universités ont tout à gagner à ce que la collecte de la taxe d’apprentissage soit demain plus transparente.

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Olivier Rollot est directeur du pôle Information & Data de HEADway Advisory depuis 2012. Il est rédacteur en chef de "l’Essentiel du Sup" (newsletter hebdomadaire), de "l’Essentiel Prépas" (webzine mensuel) et de "Espace Prépas". Ancien directeur de la rédaction de l’Etudiant, ancien rédacteur en chef du Monde Etudiant, Olivier Rollot est également l'un des experts français de la Génération Y à laquelle il a consacré un livre : "La Génération Y" (PUF, 2012).

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