ECOLES DE MANAGEMENT

« Neoma veut challenger les pratiques établies du secteur »

« Se développer pour devenir le challenger innovant des plus grandes business schools internationales » : Neoma Business School vient de dévoiler son plan stratégique 2022. Présidée depuis quelques mois par Michel-Edouard Leclerc, l’école va notamment investir dans de nouveaux locaux dans ses fiefs historiques, Reims et Rouen, mais aussi à Paris. Les explications de sa directrice générale, Delphine Manceau.

Olivier Rollot : Pourquoi Neoma BS se lance-t-elle dans un nouveau plan stratégique ?

Delphine Manceau : Nous voulons challenger les pratiques établies du secteur de l’enseignement supérieur de management pour mieux former des jeunes qui avaient 4 ans quand Facebook a été lancé, qui ont grandi avec un smartphone, qui ont cliqué avant de lire, liké avant d’aimer. Des jeunes qui ont un rapport nouveau à la connaissance et à l’information. Notre rôle aujourd’hui est d’aider nos étudiants à faire face à la surabondance de données disponibles en leur apprenant à trier l’information et en leur donnant toutes les clés conceptuelles pour la transformer en véritable connaissance.

La deuxième évolution à laquelle nous sommes attentifs est la montée en puissance d’une recherche de sens chez nos étudiants. Les entreprises sont d’ailleurs de plus en plus soucieuses de RSE (responsabilité sociale des entreprises). Les écoles doivent accompagner ces questionnements, sans apporter de réponses toutes faites mais en donnant les repères aux futurs managers pour faire face à des situations complexes sans se perdre soi-même.

Nous devons également considérer que 80% des métiers de 2030 n’existent pas encore. Qu’une grande partie des tâches que vont effectuer nos diplômés sera aidée par des machines et des dispositifs d’intelligence artificielle (IA). Un environnement dans lequel les « soft skills » – agilité, capacité à contextualiser, créativité, empathie, compréhension interculturelle, esprit collaboratif – sont essentielles et où la culture devient particulièrement importante. Il faut des repères philosophiques et historiques pour faire face à des situations qu’on n’anticipe pas forcément.

O.R : Comment avez-vous procédé pour concevoir ce nouveau plan stratégique ?

D. M : La première étape a consisté à définir ce qu’est Neoma aujourd’hui et ce que nous voulons être demain, au travers d’un processus que nous avons appelé « ImagiNEOMA », élaboré avec un cabinet spécialisé en innovation, FaberNovel. L’ensemble des parties prenantes de l’école : étudiants, alumni, professeurs et collaborateurs, ont participé à la démarche. D’abord à partir d’une consultation en ligne sur le thème « Pour vous Neoma c’est quoi ? », puis avec une série de cinq « hackathons » pour imaginer le Neoma de demain.

Nous avons travaillé tous ensemble sur ce que devaient être le campus du futur, l’expérience étudiante, les pédagogies de demain ou encore les métiers de l’avenir… Nous en avons tiré quatre convictions qui représentent les quatre points cardinaux qui incarnent notre projet pour demain : la synergie des liens, le courage de l’incertitude, la fabrique des possibles et la force de l’humain.

O.R : Les repères culturels que vous évoquez sont au centre de l’enseignement en classes préparatoires. Comme d’autres écoles de management, vous travaillez sur le « continuum » qui doit s’effectuer dans de meilleures conditions entre la classe préparatoire et la Grande école. Comment procédez-vous ?

D. M : Nous avons renforcé dès cette année l’enseignement des humanités avec un dispositif pluriel. En première année, nous donnons un cours sur les humanités et le management, sur le thème du travail dont nous explorons les évolutions sur toutes les dimensions : philosophiques, ethnologiques, sociologiques, économiques…

Nous avons également développé un « Itinéraire philosophique et artistique » qui va se construire autour de deux grandes expositions artistiques organisées sur nos campus au printemps. Il s’agit de faire davantage entrer l’art à l’Ecole.

Enfin, et sous l’impulsion de Michel-Edouard Leclerc, nous organisons des conférences sur la thématique de l’utilité sociale des entreprises. Avec des personnalités comme Bruno Le Maire – qui vient le 12 décembre à Rouen inaugurer ce cycle -, Emmanuel Faber, le P-DG de Danone, le philosophe Gaspard Koenig, Louis Gallois ou Jean-Dominique Senard.

Le travail en pédagogie immersive : l’une des spécialités de Neoma

O.R : Au-delà de votre plan stratégique beaucoup auront surtout retenu votre plan immobilier : 300 millions d’euros d’investissement ! Avec notamment un tout nouveau campus à Paris.

D. M : Les trois nouveaux campus que nous allons bâtir dans les cinq ans seront conçus pour porter nos innovations éducatives. Ils vont permettre et incarner les projets et les transformations que j’évoquais précédemment ! A Paris nous allons quitter nos locaux actuels, près de Saint-Lazare, pour nous installer en 2021 dans un bâtiment de 6500 m2 au cœur du 13ème arrondissement de Paris. Un investissement de 80 millions d’euros pour recevoir 1500 étudiants. Nous allons y ouvrir de nouveaux Mastères Spécialisés et MSc, à destination des étudiants internationaux, mais aussi nos programmes postbac.

Les programmes postbac ont en effet un public plus local. Nous dispenserons donc la première année de notre Global BBA à Paris, en plus de Reims et Rouen, et les deux dernières sur ces deux campus après une deuxième année qui s’effectue à l’international. Même logique pour les programmes TEMA et CESEM. Notre programme Grande école restera, lui, dispensé uniquement à Reims et Rouen.

O.R : Quels sont vos projets sur vos deux campus historiques ?

D. M : A Reims, nous allons également déménager sur un tout nouveau campus qui regroupera tous nos étudiants – aujourd’hui ils sont sur deux bâtiments – et permettra même d’en recevoir 1000 de plus (ils sont 4300 aujourd’hui). Ce sera sans doute dans le quartier de Port Colbert derrière la gare de Reims. A Rouen, enfin, nous ne savons pas encore si nous déménagerons ou rénoverons les bâtiments existants.

O.R : Comment allez-vous concevoir ces nouveaux bâtiments pour répondre au développement de vos nouvelles méthodes pédagogiques ?

D. M : Nous sommes en train de tester sur nos campus actuels de nouveaux espaces pédagogiques – salles de créativité, « augmented learning rooms», ressource rooms permettant de faire de l’impression 3D ou d’analyser des méta données… Nous les déploierons ensuite à grande échelle sur nos nouveaux campus : nous suivons l’approche « test & learn », même en matière de locaux. Dans les nouveaux campus, il y aura toujours un grand amphithéâtre mais les salles standard seront 100% modulables pour permettre des travaux en petits groupes et des dispositifs pédagogiques alternés.

Des étudiants sur le campus rouennais de Neoma

O.R : Et à l’étranger. Allez-vous également y construire des campus ?

D. M : Non. A l’instar de nombre d’institutions de renom, le modèle de Neoma repose sur l’immersion culturelle des étudiants dans les meilleures universités de chaque pays. Nous continuons dans cette logique avec l’ambition d’avoir 400 universités partenaires dans cinq ans (elles sont 300 aujourd’hui).

Nous créons de plus trois nouveaux dispositifs tout à fait inédits. « Entrepreneurs sans frontières » va permettre à nos étudiants entrepreneurs d’être reçus pendant six mois dans les incubateurs des plus grandes universités comme Jiaotong à Shanghai ou FGV au Brésil. Une sorte de réseau des incubateurs académiques qui permet d’avoir des cours sur place sur l’entrepreneuriat, d’échanger avec des étudiants incubés du pays et les écosystèmes locaux, et ainsi de construire des start-ups « born global » comme disent les entrepreneurs.

Dans le même esprit, le dispositif « Vie associative sans frontières » va permettre à nos étudiants les plus impliqués dans nos associations – qui suivent des cours le matin pour se consacrer à leur association l’après midi – de rejoindre les associations de nos universités partenaires. L’association Enactus, qui se consacre à l’entrepreneuriat social, est ainsi présente dans le monde entier. Là encore, le dispositif intègre des cours sur les sujets d’activité de l’association délivrés dans l’université d’accueil et une immersion dans les associations de l’université.

Enfin « Apprentissage sans frontières » donne la possibilité à nos apprentis de poursuivre leur mission dans la filiale locale d’une entreprise française tout en suivant les cours de Neoma en e-learning. J’ai toujours regretté que les étudiants d’école de commerce soient souvent contraints de choisir entre l’apprentissage et l’international : chez nous, ce n’est plus le cas !

Une vue du campus rémois de Neoma

O.R : L’apprentissage fait partie des priorités de Neoma ?

D. M : Un quart de nos étudiants sont apprentis en 2ème et 3ème année du Programme Grande Ecole. C’est un outil de diversité sociale important. C’est dire si nous sommes vigilants sur le montant qui nous sera versé pour chaque contrat dans le cadre de la réforme de l’apprentissage qui va être mise en en œuvre.

J’ajoute que nous avons 15% d’étudiants boursiers et que nous souhaitons augmenter ce pourcentage. Une campagne de fundraising va être lancée pour pouvoir accorder davantage de bourses à 100%.

O.R : Vous allez recruter de nouveaux professeurs ?

D. M : Cette année, nous avons recruté 17 nouveaux professeurs soit neuf de plus dans notre faculté puisqu’il y a eu huit départs. Nous avons aujourd’hui 160 professeurs permanents et nous monterons à 200 d’ici quatre ans. Dans ce cadre nous travaillons à la création de pôles d’expertise interdisciplinaires – par exemple en « Fintech et cryptofinance » ou « Mobilité » – pour analyser toutes les dimensions d’un sujet : ressources humaines, RSE, systèmes d’information, supply chain, marketing, etc. Quatre nouveaux professeurs travaillent également sur les questions d’entrepreneuriat et s’appuient pour leurs recherches sur des données collectées dans nos trois incubateurs et deux accélérateurs de start-ups. Nous regardons dans quels domaines nous sommes déjà à un bon niveau (recherche, programmes, Executive Education, partenariats) et nous nous renforçons dans les autres aspects.

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Olivier Rollot est directeur du pôle Information & Data de HEADway Advisory depuis 2012. Il est rédacteur en chef de "l’Essentiel du Sup" (newsletter hebdomadaire), de "l’Essentiel Prépas" (webzine mensuel) et de "Espace Prépas". Ancien directeur de la rédaction de l’Etudiant, ancien rédacteur en chef du Monde Etudiant, Olivier Rollot est également l'un des experts français de la Génération Y à laquelle il a consacré un livre : "La Génération Y" (PUF, 2012).

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