ECOLES DE MANAGEMENT

« Ce n’est pas un bon débat d’opposer la recherche et l’enseignement »: Carole Drucker-Godard (CEFDG)

La présidente de la Commission d’évaluation des formations et diplômes de gestion (CEFDG), Carole Drucker-Godard, entend bien faire évoluer les critères d’évaluation de sa commission. Des annonces en ce sens devraient même être faites dans les semaines à venir. Son sentiment sur l’évolution actuelle du monde des écoles de management.

Olivier Rollot : Quels sont selon vous les grands défis que vont affronter les écoles de management dans les années à venir ?

Carole Drucker-Godard : Après des préoccupations en termes de ressources, le premier défi sera la pédagogie. Dans les années à venir nous allons raisonner plus en termes de compétences et d’objectifs qu’à travers des maquettes pédagogiques rigides. L’étudiant sera amené à créer son propre parcours et l’enseignant devra l’accompagner le mieux possible pour faire en sorte que ce parcours corresponde à un projet professionnel. La montée en puissance du digital amène à repenser toute la pédagogie. Demain, l’enseignant n’aura probablement plus à dispenser le même nombre d’heures en présentiel.

Toujours dans la formation on voit de plus en plus d’hybridation entre les disciplines. Les écoles de management créent des programmes et des double diplômes avec des écoles d’ingénieurs. Cela permet aux étudiants d’élargir le champ de leurs compétences et de collaborer avec des modèles différents, ça peut être très riche. Les entreprises ont d’ailleurs besoin de ces profils pour servir les nouveaux métiers. Le but étant toujours de former des étudiants responsables, dont les compétences correspondent le mieux possible aux attentes et besoins des entreprises.

O.R : Dans ce cadre quelle place faut-il donner à la recherche ?

C. D-G : C’est justement le deuxième défi. Aujourd’hui on est forts en recherche à l’université mais aussi dans les écoles. Pour répondre aux critères des accréditations et des classements il y a eu un énorme virage dans les écoles de management qui ont aujourd’hui des chercheurs de renom et de grande qualité. Maintenant il faut aussi rendre cette recherche plus visible à l’international et notamment en Europe.

Mais attention à ne pas tomber dans une dérive qui éloignerait trop les enseignants-chercheurs des étudiants. La recherche doit aussi servir les étudiants, enrichir leurs savoirs et on va prendre en compte cette double dimension dans nos évaluations. Quand nous évaluons une école nous ne regardons pas que ses publications, même si ce critère reste indispensable pour le grade de master.

J’ajoute que les écoles de management doivent plus largement appartenir à des écoles doctorales. L’idée est d’inculquer l’esprit recherche à ses étudiants, ils peuvent être de futurs doctorants.

O.R : Cela a été au cœur du projet en accédant à la présidence de la CEFDG : il faut penser avant tout aux étudiants.

C. D-G : C’est le troisième défi des écoles de management : toujours garder les étudiants au cœur de leurs préoccupations. Il faut notamment mettre en avant les soft skills, rendre les étudiants curieux, veiller à leur santé ; ce sont aussi des priorités.

O.R : Mais c’est la qualité de leur recherche qui reste prédominante dans l’évaluation des enseignants-chercheurs… De plus les publications ont tellement d’importance dans les business schools que certains enseignants-chercheurs y sont très essentiellement, voire uniquement, chercheurs.

C. D-G : La ministre de l’Enseignement supérieur, de la Recherche et de l’Innovation, Frédérique Vidal, débute des concertations pour enfin reconnaître dans le déroulement des carrières l’investissement des enseignants en pédagogie, c’est une excellente chose. Quant à la question de la répartition de la recherche et de l’enseignement il faut savoir qu’à l’université elle ne se pose pas : la recherche fait partie du service d’un enseignant chercheur au même titre que l’enseignement. Les primes ou décharges pour publier ne sont même pas une question. Dans les écoles aussi nous allons être attentifs à ce qu’il n’y ait pas dans une formation des enseignants-chercheurs qui ne délivrent aucun cours.

O.R : Vous pensez faire évoluer les critères d’évaluation de la CEFDG ?

C. D-G : Nous y travaillons mais il est encore trop tôt pour en parler. La recherche doit de toute façon rester un critère d’évaluation très rigoureux – notamment pour l’obtention du grade de master – mais on peut élargir notre champ de vision. Ce n’est pas un bon débat d’opposer la recherche et l’enseignement, d’opposer des écoles qui devraient être des « teaching schools » à d’autres, plus élitistes, qui seraient des « research schools ». A partir du moment où nous donnons le grade de master –notamment à partir de 0,5 publication par an et par professeur permanent publiant (le critère du HCERES) – la recherche est avérée.

O.R : Vous mesurez la dimension internationale des écoles dans vos évaluations ?

C. D-G : Nous nous efforçons de valider l’envergure internationale et les modalités d’échanges de chacune des écoles que nous évaluons. Nous vérifions que l’étudiant part à l’étranger avec un contrat d’études et qu’il a des points réguliers avec l’équipe pédagogique. Quand il s’agit d’un campus de l’école à l’étranger les mêmes règles doivent s’appliquer qu’en France mais si c’est un partenariat il faut être vigilant. C’est pour cela qu’il faut très bien connaître ses partenaires étrangers, veiller à leur qualité, aux retours des étudiants, plutôt que de signer des partenariats à tout va. Nous insistons donc sur cette dimension du choix des partenaires, souvent accrédités d’ailleurs, mais les écoles sont très conscientes de cela.

O.R : Vous vous intéressez à ce que font les grands accréditeurs internationaux, l’EFMD et l’AACSB (Association to Advance Collegiate Schools of Business) notamment ?

C. D-G : C’est important de connaître les autres méthodes d’évaluation même si dans ce cas il s’agit d’accréditations. Si nous nous comparons au processus de l’AACSB nous constatons par exemple que nous donnons plus de place à l’histoire de l’école. Le tout en gardant bien sûr aussi en tête des critères objectifs et quantifiables pour assurer une vraie équité. Nous regardons si les écoles ont ou pas obtenu ces accréditations internationales, elles le précisent d’elles-mêmes d’ailleurs mais ce n’est pas un critère. Pas plus que le fait que l’école soit ou pas un EESPIG (établissement d’enseignement supérieur privé d’intérêt général). En résumé la CEFDG est bienveillante pour toutes les écoles tout en garantissant la rigueur et l’équité de ses évaluations. Qui que vous soyez. Ce n’est pas parce que vous êtes une « très Grande Ecole » que tout vous est acquis !

O.R : La CEFDG n’a guère de moyens pour remplir ses missions. Surtout si on la compare à sa consœur du côté ingénieur, la Commission des titres d’ingénieurs (CTI). Vous faut-il plus de moyens pour remplir votre tâche ?

C. D-G : Tous les membres de la CEFDG sont bénévoles et elle fonctionne très bien comme cela. Bien-sûr, c’est toujours plus simple avec des moyens. Nous voudrions surtout faire mieux connaître la commission et nous travaillons pour cela à la création d’un nouveau site, plus lisible, et d’un nouveau logo. Nous allons aussi faire en sorte que les écoles communiquent plus sur ce qu’est le visa ou le grade de master. Nous ferons des propositions rapidement.

O.R : Vous n’avez pas le sentiments que les accréditations conduisent les cursus à s’uniformiser pour rentrer dans les clous des évaluateurs ?

C. D-G : Nous sommes aussi attentifs à ce que les écoles aient des positionnements distinctifs. Notamment, pour certaines, en étant très ancrées sur leur territoire. Encore une fois une école doit raconter une histoire forte tout en présentant des diplômes cohérents avec son positionnement et sa stratégie.

O.R : Quelle est votre opinion sur la création éventuelle d’un grade de licence ?

C. D-G : Je comprends la nécessité d’apporter une visibilité aux bachelors de bonne qualité, au-delà du visa que nous donnons aujourd’hui, sur un marché de plus en plus encombré et international. Il faut y réfléchir car si le grade de licence devait exister, les critères devraient être tels qu’ils permettent, pour les familles, une lisibilité juste et réelle de l’offre.

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Olivier Rollot est directeur du pôle Information & Data de HEADway Advisory depuis 2012. Il est rédacteur en chef de "l’Essentiel du Sup" (newsletter hebdomadaire), de "l’Essentiel Prépas" (webzine mensuel) et de "Espace Prépas". Ancien directeur de la rédaction de l’Etudiant, ancien rédacteur en chef du Monde Etudiant, Olivier Rollot est également l'un des experts français de la Génération Y à laquelle il a consacré un livre : "La Génération Y" (PUF, 2012).

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