ECOLES DE MANAGEMENT

« Nous sommes entrés dans la troisième phase du développement des business schools » : Emeric Peyredieu du Charlat (Audencia BS)

Quelques semaines après son arrivée à la tête d’Audencia business school, Emeric Peyredieu du Charlat fait le point sur son projet pour une école qui fait partie des toutes meilleures, est triple accréditées (AACSB, Equis, Amba) et se diversifie de plus en plus avec des programmes bachelors et une école de communication tout en cultivant son partenariat avec Centrale Nantes et l’Ensa Nantes.

Emeric Peyredieu du Charlat

Olivier Rollot : Après vos diplômes de Centrale Lille et l’Essec, la plus grande partie de votre carrière s’est déroulée chez PSA Peugeot Citroën avant, en 2010, que vous vous tourniez vers le monde académique en prenant la direction de l’Association des diplômés du Groupe Essec. Pourquoi avoir choisi aujourd’hui de poursuivre dans cette voie en prenant la direction du groupe Audencia business school ?

Emeric Peyredieu du Charlat : Les business schools sont des entreprises comme les autres sur ce secteur magnifique qu’est l’éducation. J’ai eu la chance d’en appréhender très concrètement le fonctionnement ces dernières années à la direction de l’Association des diplômés de l’Essec qui est associée de près à la gouvernance de l’école. Le caractère innovant d’Audencia m’a beaucoup intéressé et j’y apporterai mes compétences managériales tout en m’appuyant sur la direction académique.

J’en profite pour remercier Christophe Germain qui a assuré l’intérim de la direction générale pendant neuf mois et a fait un excellent travail pour porter notre projet Audencia 20/20 et créer un campus en Chine, à Shenzhen que nous venons également d’inaugurer et que va diriger Christophe Germain. En plus de son poste de directeur adjoint il a accepté celui de directeur des programmes le temps que nous en recrutions un nouveau et je lui suis très reconnaissant pour son travail.

O. R : Où en est le modèle des business schools à la française selon vous ? On sait qu’elles sont à la fois encensées dans les classements internationaux et d’une santé financière parfois fragile.

E. P du C : Pour notre part nous avons une situation financière très saine avec 0€ d’endettement. Mais aussi l’obligation d’être innovants avec des subventions amenées à disparaître alors qu’elles représentent encore 3 à 4% de notre budget.

Plus largement nous sommes entrés dans la troisième phase du développement des business schools. Dans la première elles ont appris à travailler avec les entreprises pour former des cadres. Dans la deuxième, elles ont découvert l’international, l’alignement sur les standards internationaux, les rankings et cela leur a coûté très cher d’embaucher des enseignants-chercheurs de haut niveau. Aujourd’hui elles sont attendues sur l’éthique, la transdisciplinarité, les enjeux sociétaux. Nous sommes justement très bien placés dans la dimension RSE (responsabilité sociétale de l’entreprise) qui irrigue la totalité de nos cours car on comprend que la maximisation des profits coûte très cher à terme.

O. R : Plutôt que la voie de la fusion qu’ont choisi certaines écoles de management vous avez opté pour le rapprochement avec Centrale Nantes et l’Ensa Nantes au sein de L’Alliance. Pourquoi cette stratégie ?

E. P du C : Nous sommes favorables à la transdisciplinarité et à l’hybridation plutôt qu’à des fusions qui représentent des coûts de transaction considérables. Former des ingénieurs/managers, des managers/ingénieurs ou encore se rapprocher de l’Ensa pour organiser des événements en commun pour nos étudiants cela répond aux attentes de la société. Prenez le réchauffement climatique : il ne sera résolu que par des équipes pluridisciplinaires.

Audencia BS a aussi la chance d’être situé sur un territoire qui le soutient qu’il s’agisse de Nantes Métropole, la chambre de commerce et d’industrie (CCI) ou encore la région.

Enfin nous travaillons également avec d’autres business schools françaises sur des projets précis comme par exemple avec Toulouse BS avec laquelle nous proposons un DBA (Doctorate of Business Administration) et réfléchissons à la création d’un PHd.

O. R : Vous envisagez de changer de statut pour devenir un établissement d’enseignement supérieur consulaire (EESC) comme l’est déjà HEC par exemple. Pourquoi ?

E. P du C : Nous réfléchissons au passage à ce statut qui assure à notre CCI une part majoritaire du capital (51%) et permet de développer de nouveaux projets, notamment immobiliers, avec des garanties à proposer. Nous aurons ainsi la pleine propriété de nos bâtiments. Ce statut montre également notre vocation d’intérêt général qui est au cœur de la mission de l’EESC.

O. R : Comment imaginez-vous le développement des activités d’Audencia BS ? 

E. P du C : En fait nous n’avons pas encore actionné certains leviers. Regardez nos droits de scolarité qui restent à 35 000 € pour trois ans quand des écoles proches en réputation vont jusqu’à 45 000€ et qu’HEC annonce une augmentation de ses frais de 8% par an dans les cinq prochaines années. Bien sûr nous n’augmenterons pas nos droits comme des brutes mais c’est une vraie source de rentabilité. Nous pouvons également augmenter nos effectifs. Notre école Sciences Com monte en puissance avec 20% d’étudiants supplémentaires cette année et bientôt de nouveaux locaux dédiés au centre de Nantes où les étudiants bénéficieront même des équipements de TéléNantes.

Quant à nos bachelors à bac+3 et bac+4 (Bachelor in Business Administration, BBA) ils accueillent de 140 à 160 étudiants par promotion quand ils sont 400 à 450 dans l’Essec BBA. Il y a une vraie réflexion à avoir sur des bachelors qui ont soit du potentiel essentiellement régional, à bac+3, soit plus large avec des BBA qui sont une vraie alternative à la prépa pour des étudiants qui ne veulent pas arrêter toute vie sociale. Nous avons également à revisiter notre programme grande école et à avoir une vision internationale et prospective pour notre formation continue.

O. R : C’est votre particularité d’être une business school qui possède des programmes qui ne sont pas dans le spectre habituel d’une business school comme Sciences Com.

E. P du C : Une business school ne peut être pérenne si elle ne se développe pas au-delà de son programme grande école dont les ratios d’excellence académique coûtent très cher. Il faut absolument profiter de ce terreau d’excellence pour développer d’autres formations. Mais toujours en maintenant l’excellence car tout réagit sur la marque Audencia. Si une marque est défaillante, la grande école en pâtit forcément. Nous sommes dans la logique d’une marque de luxe ombrelle qui doit bien prendre garde à conserver son excellence dans tout ce qu’elle développe.

O. R : Vous venez de l’évoquer. Vous lancez une business school à Shenzhen, dans le sud de la Chine, tout près de Hong Kong. Avez-vous d’autres projets ?

E. P du C : La Shenzhen Audencia Business School (SABS) est le fruit d’un partenariat entre Audencia Business School et l’Université de Shenzhen. L’objectif est de lancer en 2017 trois programmes : un MBA, un DBA et un Master. D’ici trois ans, nous souhaitons y recevoir 500 étudiants, majoritairement internationaux, auxquels nous délivrerons exactement les mêmes programmes qu’en France. Cet accord est signé pour 20 ans et la totalité des coûts est pris en charge pour l’université de Shenzhen. Il vient après d’autres déjà passés en Chine avec par exemple l’université Tsinghua de Pékin ou le Beijing Institute of Technology.

Mais nous sommes également présents en Afrique au sein de l’Institut national polytechnique Félix Houphouët-Boigny de Côte d’Ivoire. Nous commencerons par y travailler plutôt sur le développement de notre formation continue en ayant en tête l’idée d’en faire une porte d’entrée pour toute l’Afrique.

O. R : La formation continue est un relais de croissance dont tout le monde parle aujourd’hui. Quels sont vos objectifs ?

E. P du C : Aujourd’hui la formation continue ne représente que 2 M€ sur un chiffre d’affaires de 39 M€. C’est insuffisant et nous avons recruté un nouveau directeur, William Hurst, pour relever un challenge qui est de doubler ce chiffre d’affaires pour qu’il représente 10% de notre budget à terme. Après 4000 m2 installés au centre de Nantes, nous venons d’inaugurer de nouveaux bâtiments à Paris pour la développer et recevoir nos alumni. Les écoles ont aujourd’hui un avantage dans ce domaine dans la mesure où elles permettent d’obtenir un diplôme.

Mais attention, la formation continue c’est l’équivalent du crash test automobile pour un professeur : il doit s’adapter à un public différent, expérimenté, qui attend un vrai dialogue. C’est pour cela que je dis souvent qu’un bon professeur doit être un « triathlète » de l’enseignement capable aussi bien de professer, que d’effectuer des travaux de recherche et enfin d’être impliqué dans la vie de la structure.

O. R : Vous avez dirigé les alumni de l’Essec. Quel poids doivent avoir les alumni dans la gouvernance d’une business school ?

E. P du C : Sans aller jusqu’à Harvard ou Yale, où les alumni représentent 100% du conseil d’administration, les anciens sont largement porteurs de la marque et d’innovation. Mais si on veut qu’ils soient de bonne volonté encore faut-il les rencontrer régulièrement et leur proposer des services. On ne peut pas juste leur demander de l’argent pour soutenir une fondation – 9,7 M€ récoltés de 2010 à 2015 -, il faut leur proposer des services à la personne toute leur vie. Leur permettre d’être aidés tout au long de leur carrière professionnelle.

O. R : Les alumni seront d’autant plus attachés à leur école qu’ils auront été des étudiants heureux. Comment les aidez-vous ?

E. P du C : Nous proposons tout un processus d’accompagnement à nos étudiants pour leur donner peu à peu des compétences comportementales avant de passer aux techniques de recherche d’emploi. Chaque année 800 étudiants passent ainsi un entretien individuel. Nous les aidons également à entreprendre et nous pensons même à prendre des participations dans certaines start up que nous aiderons également en les faisant accompagner par nos professeurs.

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Olivier Rollot est directeur du pôle Information & Data de HEADway Advisory depuis 2012. Il est rédacteur en chef de "l’Essentiel du Sup" (newsletter hebdomadaire), de "l’Essentiel Prépas" (webzine mensuel) et de "Espace Prépas". Ancien directeur de la rédaction de l’Etudiant, ancien rédacteur en chef du Monde Etudiant, Olivier Rollot est également l'un des experts français de la Génération Y à laquelle il a consacré un livre : "La Génération Y" (PUF, 2012).

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