ALTERNANCE / FORMATION CONTINUE, ECOLES DE MANAGEMENT

«On risque de réserver l’apprentissage aux grandes entreprises»: Alice Guilhon, présidente de la Cdefm

Depuis près d’un an l’enseignement supérieur s’interroge : comment France Compétences, l’organisme en charge de l’apprentissage, va-t-il pouvoir continuer à le financer alors qu’il est de plus en plus déficitaire. La présidente de la Conférence des directeurs des écoles françaises de management (Cdefm), Alice Guilhon,  réagit également sur la polémique née après que la Cefdg (Commission d’évaluation des formations et diplômes de gestion) ait présenté son approche compétences.

Olivier Rollot : La Cdefm et le BNEM (Bureau national des élèves en école de management) viennent de publier une tribune (« Apprentissage : ce qu’il faut savoir pour éviter une catastrophe annoncée ») dans laquelle ils dénoncent notamment une « baisse programmée du niveau de financement de l’apprentissage dans les écoles ». Que se passe-t-il exactement ?

Alice Guilhon : Après de nombreux échanges avec la Cour des Comptes, l’Inspection générale de l’éducation, du sport et de la recherche (Igésr) et le ministère de l’Enseignement supérieur, de la Recherche et de l’Innovation (MESRI) nous constatons qu’il y a un projet durable de diminuer le financement de l’apprentissage dans l’enseignement supérieur de la part de France Compétences. Les coûts contrats auxquels les établissements sont rétribués pour former les apprentis sont en baisse.

Constamment sollicitées par France Compétences pour estimer le coût auquel elles valident le financement d’un apprenti pour chaque formation, les branches ne répondent plus. Résultat : France Compétences décide que le coût est le coût plancher de 8 500€. Mais pourquoi demander aux branches de fixer tous les deux mois des coûts qui devaient initialement l’être pour cinq ans ?

De plus France Compétences refuse régulièrement de donner son aval aux fiches de blocs de compétences que les écoles de management lui soumettent. Alors même là encore que l’accord de la Cefdg (Commission d’évaluation des formations et diplômes de gestion) devait initialement être suffisant.

O. R : Mais on sait également que France Compétences devrait afficher un déficit de 2,5 milliards d’euros en 2021. Elle doit bien prendre des mesures pour réduire ses coûts ?

A. G : Ce que la Cdefm demande c’est une vision claire. Jamais France Compétences ne dit qu’elle veut raboter les financements. Ni le reflécher vers le secondaire. Ce qui serait de toute façon sans effet tant l’image de l’apprentissage y est négative. Ils se trompent de projet. Mais nous ne parvenons pas à en discuter avec eux. Que l’Élysée nous dise tout simplement qu’il n’y a plus d’argent dans les caisses ! Au lieu de cela on nous rétorque que si nos dossiers sont retoqués c’est parce qu’ils ne sont pas bons.

En réalité le système a un mauvais dessein et fragilise à la fois les écoles, les étudiants et enfin les petites entreprises qui n’ont pas les moyens de payer la différence entre le coût contrat et celui des écoles. Prenez l’exemple de petites écoles dans les territoires, où les entreprises sont essentiellement des PME, elles peuvent difficilement leur demander de compenser l’écart entre les 15 000€ de leur coût de formation et les 8 500€ auxquels France Compétences les finance. Or ces apprentis jouent un rôle moteur pour toutes ces PME. C’est tout cela que nous avons voulu dénoncer dans cette tribune alors que personne ne veut nous entendre – ni même nous recevoir ! -, que ce soit à France Compétences ou au ministère du Travail.

O. R : Mais alors que proposez-vous pour assurer la pérennité du système ?

A. G : La défiscalisation des droits de scolarité permettrait d’accompagner beaucoup de familles durablement touchées par la crise dans le financement de la scolarité de leurs enfants. Elle permettrait également de monter un peu le prix des cursus universitaires. Ainsi pourrait-on maintenir la part d’apprentis dans les Grandes écoles et ne pas réduire leur ouverture sociale. L’Etat nous répond que cela ferait baisser ses ressources fiscales alors qu’en fait c’est égal. Sinon, pour aider les entreprises à financer l’apprentissage, il faut baisser les charges qui pèsent sur les apprentis. Mais aujourd’hui on n’envisage que de prendre l’argent dans l’enseignement supérieur en sachant pertinemment qu’il ne servira à rien ailleurs. Je ne peux qu’y voir un noir dessein. Une idéologie en décalage total avec les jeunes qui s’engagent de plus en plus dans la voie de l’alternance et les entreprises qui demandent à recruter des apprentis.

Mais pourquoi ne nous laisse-t-on pas travailler directement avec les entreprises et nos CFA (centres de formation d’apprentis) ? Qu’apporte un organisme de contrôle sinon des coûts supplémentaires ? Quant aux organismes de formation qui tricheraient, ils sont très peu nombreux et l’argument ne tient pas.

O. R : Vous avez le sentiment qu’on risque d’aller vers un apprentissage à double vitesse, entre les entreprises qui peuvent payer le « reste à charge », et les autres

A. G : L’apprentissage irrigue tout le territoire et amène des ressources de bon niveau dans toutes les entreprises. La CGPME (Confédération générale des petites et moyennes entreprises) peut être particulièrement inquiète de voir ses entreprises adhérentes ne plus pouvoir recruter d’apprentis à l’avenir. Aujourd’hui on risque de réserver l’apprentissage aux grandes entreprises.

O. R : Un autre sujet inquiète aujourd’hui tout particulièrement les Grande écoles de management : la façon dont la Cefdg (Commission d’évaluation des formations et diplômes de gestion)  semble donner aux IAE (institut d’administration des entreprises) la main sur la démarche compétences. Est-ce logique que les écoles soient poussées à s’appuyer sur la démarche des IAE pour remplir leurs propres dossiers ?

A. G : A la demande du ministère de l’Enseignement supérieur, de la Recherche et de l’Innovation les IAE ont établi des fiches pour les diplômes nationaux. Au sein de la Cefdg la responsable de la démarche compétences a proposé de réfléchir ensemble et de regarder si le cadrage des diplômes nationaux des IAE était un cadre possible. De notre côté nous avons été questionnés par la Cefdg pour envisager comment les écoles pouvaient conserver leurs spécificités. Cela n’aurait pas de sens que les écoles entrent dans le cadre général des diplômes nationaux et les différentes parties prenantes le savent.

La communication faite autour de ce projet a pu donner le sentiment que le cadre posé par les IAE allait s’imposer à tout le monde. Ce n’est pas le cas et les écoles sont prêtes à réfléchir avec la Cefdg. Dire que pour faire un master en finance il faut être bon en mathématiques et en statistiques, cela  n’a rien de contraignant. C’est juste du bon sens. Les IAE n’imposent rien et il n’y a pas à craindre de standardisation de nos formations si nous pouvons conserver la diversité des parcours dans nos écoles.

O. R : Mais il y a bien une approche compétences à respecter par les écoles ?

A. G : C’est très positif de repenser nos programmes en fonction des compétences. Entre autres parce que cela va éliminer des formations déconnectées de la réalité. C’est bien pour cela d’ailleurs que le MESRI a poussé les universités à s’inscrire dans un cadre opérationnel. Cela touche beaucoup moins les écoles qui sont déjà inscrites dans cette approche. Cela ne va donc pas changer grand-chose pour nous. Cela ne permettra juste d’être plus clairs. Il n’y pas lieu de s’inquiéter. Le cadre restera très souple et c’est seulement la façon dont il a été présenté qui a pu être maladroite.

 

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Olivier Rollot est directeur du pôle Information & Data de HEADway Advisory depuis 2012. Il est rédacteur en chef de "l’Essentiel du Sup" (newsletter hebdomadaire), de "l’Essentiel Prépas" (webzine mensuel) et de "Espace Prépas". Ancien directeur de la rédaction de l’Etudiant, ancien rédacteur en chef du Monde Etudiant, Olivier Rollot est également l'un des experts français de la Génération Y à laquelle il a consacré un livre : "La Génération Y" (PUF, 2012).

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