EMPLOI / SOCIETE

A quoi servent vraiment les soft skills ?

Être autonome, ouvert aux autres, savoir s’adapter, être organisé, capable de travailler en équipe, faire preuve d’initiative ou encore de créativité, aujourd’hui les entreprises attendent des diplômés de multiples compétences résumées sous le vocable soft skills (en français plutôt des « compétences transversales » ou encore des « savoirs comportementaux »). Cette année la création du « Grand oral » illustre l’importance donnée aux capacités de communication orales. Mais ces compétences influent-elles sur les trajectoires professionnelles des diplômés du supérieur ? Le Céreq publie justement une note sur Le rôle des compétences transversales dans les trajectoires des diplômés du supérieur. « On se place dans le champ comportemental plutôt que dans celui, plus large, des compétences. Cette importance des soft skills traduit une logique économique pure et dure. Les entreprises demandent que les diplômés soient efficaces et rentables le plus vite possible dans des responsabilités managériales », analyse Maurice Thévenet, ancien délégué général de la Fnege (Fondation nationale pour l’enseignement de la gestion des entreprises), professeur au Conservatoire national des arts et métiers (Cnam) et à l’Essec et auteur d’une vingtaine d’ouvrages sur la culture d’entreprise, le management ou encore le leadership.

Quelle part les recruteurs accordent-ils aux soft skills ? Dans la continuité des études engagées depuis plusieurs années par le Céreq sur les compétences, le Centre associé régional de Dijon a lancé en 2011 un vaste programme de recherche portant sur les compétences de base dans un premier temps, puis sur l’identification et la mesure des compétences transversales dans les parcours scolaires et professionnels. Il apparaît que certaines compétences transversales jouent un rôle non négligeable sur le score que les employeurs attribuent aux CV – fictifs – qui leur sont soumis. Lorsque la capacité à travailler en équipe est mise en avant dans le CV, les recruteurs accordent en moyenne 11 points supplémentaires quels que soient le parcours et les caractéristiques du diplômé, celles du recruteur ou le secteur d’activité considéré. Il s’agit même de la variable ayant le plus de poids dans le score, davantage que le type de diplôme (master universitaire ou grande école) ou la mention obtenue !

De plus, l’engagement dans une association étudiante, qui supposerait le développement de compétences telles que le dynamisme ou la capacité d’organisation, envoie également un signal positif aux recruteurs, qui accordent en moyenne 4 points supplémentaires aux CV qui le mentionnent. Lorsqu’il est demandé aux recruteurs de classer les compétences qu’ils jugent les plus importantes pour recruter un jeune diplômé, ils indiquent d’ailleurs le « travail en équipe » en premier lieu, suivi par la « capacité à s’organiser », le « sens des responsabilités » et la « capacité d’initiative ».

Par ailleurs la post-enquête menée sur la Génération 2010 montre que l’effet des compétences transversales est en général plus élevé pour le haut de l’échelle des salaires. À l’inverse, d’autres dimensions mesurant traditionnellement le capital humain, comme l’obtention d’un master ou l’expérience, « influent plus largement sur le bas de l’échelle des salaires ».

Comment acquérir les soft skills ? Les diplômés de master interrogés par le Céreq assurent que le système de formation permet de développer en premier lieu la capacité à travailler en équipe, puis l’autonomie, l’éthique professionnelle et la curiosité. Maurice Thévenet s’interroge : « Dans le monde du travail, il faut pouvoir travailler avec des personnes qu’on n’apprécie pas forcément dans un univers qui est collaboratif par nature. Et cela ce n’est pas inné, ça s’apprend. C’est souvent ce problème d’adhésion à une vision collective qui conduit les jeunes à se lancer dans la création de start up. Alors comment développer le sens du collectif dans une institution d’enseignement supérieur ? C’est là qu’il faut s’interroger sur la réponse à donner aux étudiants. L’enjeu est de les préparer à ce monde collaboratif aux formes tellement diverses ».

TBS Education remet ainsi un certificat Soft Skills à ses étudiants qui est une première dans les écoles de Commerce et a pour objectif de « répondre au besoin des entreprises : recruter des leaders responsables, dotés de savoir-être et d’éthique et capables de maîtriser les relations interpersonnelles ». Excelia va plus loin cette année en créant un « observatoire des compétences » qui mesurera les compétences acquises par les étudiants tout au long de ces missions. « Ainsi nous allons pouvoir créer des « portefeuilles de dispositifs expérientiels » et mesurer comment les étudiants progressent à partir de notre pédagogie singulière qui fait constamment le lien entre les apports de la salle de cours et ceux des expériences auxquelles se prêtent nos étudiants durant leurs parcours », insiste le directeur d’Excelia BS, Sébastien Chantelot, dont l’école met de plus en place une Direction de l’expérientiel apprenant pour mesurer tout ce qui se fait dans et en dehors de la salle de classe.

Sur un public précis, tout de suite dans le bain de l’entreprise, les apprentis, l’Essec va bientôt utiliser l’application COSS by 5Feedback, déjà déployée dans plus de 25 pays et en 6 langues. Avec elle chaque étudiant pourra obtenir des retours sur ses soft skills et attester son niveau dans plus de 20 compétences transverses. Pour cela l’étudiant sélectionne les compétences transverses qu’il souhaite mesurer, il interroge son entourage : étudiants, corps enseignant et professionnels lors de ses stages ou alternances. « Les compétences techniques deviennent rapidement obsolètes alors que les compétences transverses deviennent le fil conducteur des carrières. Notre mission est de permettre à chacun de mesurer et attester objectivement les compétences clés de son employabilité », assure Bertrand Ponchon, co-fondateur de 5Feedback.

Prendre goût au travail en groupe. La bonne maîtrise du travail en équipe est sans doute aujourd’hui la première qualité qu’attendent les entreprises des jeunes qu’elles recrutent. Une soft skill absolument essentielle ! Et il importe de la stimuler dès le début du cursus. Depuis quatre ans la rentrée des étudiants d’Audencia, tout juste sortis de leur classe prépa, se fait ainsi sous le signe de l’innovation managériale. L’idée des « Talent Days » : répondre en groupe aux défis des entreprises pendant deux jours et présenter ses idées sur scène. Pas de quoi désarçonner Blandine, tout juste issues d’une khâgne, et Lucille, d’une prépa ECS et toute leur équipe : « Nous savions que nous allions vite être mis dans le bain du travail en groupe comme de l’oral et cela s’est très bien passé avec d’autres élèves que nous ne connaissions absolument pas. Avec un vrai esprit de camaraderie ! ».

L’« action learning » est au cœur du projet de l’ISC. Qui entend aujourd’hui aller encore plus loin dans cette voie comme l’explique le directeur général de l’ISC Paris, Jean-Christophe Hauguel : « En 1963, sous la direction de son créateur, Paul Icard, l’ISC a inventé le stage. On doit à son successeur, Claude Riahi, la création des « entreprises étudiantes » qui sont toujours au cœur de notre pédagogie en permettant de systématiser la vie associative tout en donnant des objectifs de développement de chiffre d’affaires. Le grand tournant que nous prenons aujourd’hui c’est d’introduire 50% d’action learning dans tous nos programmes. C’est-à-dire que les stages, la vie associative, l’entreprenariat, les business games et, bien sûr, l’alternance vont représenter 50% du temps de formation de nos étudiants ».

Aider les autres. L’organisation d’événements étudiants est une autre occasion d’apprendre, non seulement à travailler en groupe, mais aussi avec des entreprises qui en sont les sponsors. Et le mieux est alors de travailler pour les autres dans le cadre d’un projet à but humanitaire. SKEMA Business School a organisé ainsi en 2020 un #SKEMAunited, un challenge sportif dont l’objectif est de financer des bourses sociales pour les étudiants. Pendant un mois les étudiants, les collaborateurs de SKEMA, les diplômés et les entreprises partenaires de l’école étaient invités à participer à ce grand challenge sportif soutenu par de grands champions Individuellement et en équipes. Chaque kilomètre parcouru générait 1€ de dons venant abonder le fonds de dotation destiné à financer des bourses sociales soutenu par Société Générale, le groupe mondial Roquette et Axa Assurances, entreprises membres du réseau des grands partenaires de SKEMA.

Parmi les apports essentiels aujourd’hui sur un CV avoir vécu une expérience humanitaire ou associative figure en bonne place. Dans ce contexte les écoles mettent de plus en plus en avant la possibilité pour les étudiants, pendant leur cursus, de remplir des missions humanitaires. Après son célèbre Humacité© Excelia a ainsi lancé en 2020 un tout nouveau Climacité© qui répond à ses engagements au niveau environnemental. Après avoir commencé à tester ce nouveau challenge au sein de son programme Bachelor Business, aujourd’hui tous ses programmes, de toutes ses écoles, sont concernés. « Avec Humacité© nous avons été les pionniers en la matière sur la question de l’engagement social des étudiants. Nous tenons à ce ces derniers puissent mettre en œuvre une triple performance dès leur diplomation : une performance économique, sociale, et environnementale dont nous savons qu’elle constitue dès à présent le cœur du développement des organisations », explique encore Sébastien Chantelot.

Etre international et multiculturel. L’imprégnation multiculturelle et internationale fait également partie des soft skills les plus essentielles. Point fort des Grandes écoles de management, récemment boostée dans les écoles d’ingénieurs avec l’obligation nouvelle d’un séjour à l’étranger, elle a été largement remise en cause depuis le début de la pandémie. Aux universités du bout du monde se sont largement substituées des universités européennes. Voire pas d’université du tout ! En novembre 2020, la Commission des titres d’ingénieur (CTI) avait recommandé aux écoles de lever l’obligation de séjour à l’international pour les élèves-ingénieurs pour l’année académique 2020-2021.

Même nécessité de s’adapter du côté des écoles de management. « Il fallait s’adapter sans perdre le contact avec nos partenaires plus lointains. Nos étudiants d’Orléans ont ainsi pu suivre les mêmes cours en entreprenariat que des étudiants mexicains de Monterey. Ensemble ils ont travaillé sur des créations d’entreprises sans prendre un seul avion, sans un seul visiting professor ! », signifie le directeur général de l’ISC Pairs, Jean-Christophe Hauguel, qui estime qu’il faut compléter l’expérience obligatoire à l’étranger par un « international at home ».

  • D’où viennent les soft skills ? Comme le résument les chercheurs du Céreq : « Parmi les nombreux fondements théoriques et empiriques à l’origine de cette notion, une part importante découle de travaux en psychologie cognitive, dont une des représentations les plus répandues est la taxonomie de la personnalité des « Big Five ». On distingue généralement, parmi ces compétences, une dimension intra personnelle renvoyant au rapport à soi, à l’atteinte d’objectifs ou la gestion des émotions (estime de soi, autonomie, gestion du stress, etc.), et une dimension interpersonnelle renvoyant au rapport à autrui (capacité à travailler en équipe, à communiquer, leadership, etc.).
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Olivier Rollot est directeur du pôle Information & Data de HEADway Advisory depuis 2012. Il est rédacteur en chef de "l’Essentiel du Sup" (newsletter hebdomadaire), de "l’Essentiel Prépas" (webzine mensuel) et de "Espace Prépas". Ancien directeur de la rédaction de l’Etudiant, ancien rédacteur en chef du Monde Etudiant, Olivier Rollot est également l'un des experts français de la Génération Y à laquelle il a consacré un livre : "La Génération Y" (PUF, 2012).

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