POLITIQUE DE L'ENSEIGNEMENT SUPERIEUR

Peut-on sauver le soldat « Saclay » ?

C’était l’idée de Thierry Mandon pour « sauver » l’Idex de Paris-Saclay. Un « noyau dur » d’établissements et d’organismes de recherche de Paris-Saclay a présenté mardi 18 avril ses conclusions au Premier ministre sur une réforme de Paris-Saclay. Ecartant de facto l’Ecole polytechnique et les écoles de l’Institut Mines Télécom au profit d’un projet réduit aux acteurs les plus engagés dans l’intégration au sein de Paris-Saclay que sont l’université Paris-Sud et l’ENS Paris-Saclay (parmi les autres membres du « noyau dur », CentraleSupélec semble encore partagée quand les deux autres membres académiques, Agro ParisTech et Ensae ParisTech, paraissent plus réticents), ce nouveau périmètre est-il à même de convaincre un jury des Idex qui avait accordé son imprimatur à un tout autre projet ? D’autant que l’alternance politique à venir va fondamentalement changer les rapports de force.

Pourquoi aller si loin ?

Beaucoup se demandent aussi au sein de Paris-Saclay pourquoi il faudrait aller plus loin dans l’intégration que ne le font les membres de PSL, eux aussi soumis en octobre 2017 au verdict du Commissariat général à l’investissement. « On ne peut pas forcer le mouvement. Sinon on va au clash. D’autant qu’il n’y a pas d’instances arbitrales même si l’Etat a la possibilité d’orienter les financements. Mais il ne contrôle pas les conseils d’administration » confie le directeur de l’une des écoles membres, qui analyse : « En fait Paris-Saclay c’est de la géopolitique appliquée à un territoire avec beaucoup d’acteurs, de l’Ecole polytechnique au CEA en passant par l’université Paris-Sud, eux-mêmes traversés par des courants (les personnels, les alumni, les personnalités qualifiées, les différents représentants de l’Etat…). Et nous sommes aussi dans un univers où la collégialité est une valeur essentielle. En fait nous sommes dans un système complexe type ONU mais sans Conseil de Sécurité ».

Résultat : on n’en finit pas de se déchirer du côté du plateau de Saclay. La faute est-elle du côté d’une Ecole polytechnique qui, à la suite de la publication du rapport Attali, se berce d’illusion sur sa capacité à « faire bonne figure au niveau mondial avec le soutien de quelques vassaux » selon un observateur engagé du système, un autre se demandant « comment l’Ecole polytechnique a-t-elle pu considérer qu’elle pouvait créer son bachelor sans en prévenir sa Comue ? ». Ou de Paris Sud qui, sachant qu’elle va perdre sa personnalité morale, veut imposer aux autres membres d’en faire de même ? Ou du CNRS finalement pas trop fâché de voir l’édifice s’écrouler ? Ou tout simplement de l’incapacité à se comprendre entre acteurs très différents dépendant de tutelles puissantes ?

Mais la faute ne serait-elle pas originelle ? Quand Christian Blanc, alors secrétaire d’Etat, imagine en 2008 le développement du plateau de Saclay c’est d’abord dans une optique d’aménagement du territoire. Les questions académiques sont loin de ses préoccupations. Autre faute, alors que la question des transports constitue un préalable indispensable pour beaucoup ce n’est qu’en 2024 qu’ils permettront de relier correctement le plateau. Un projet de télécabines reliant le plateau aux différentes stations de RER a beau être aujourd’hui mis en avant par Thierry Mandon pour y palier, il ne semble pas soulever l’enthousiasme, notamment du côté de la région Ile-de-France.

Et après les élections ? S’ils ont obéi aux injonctions de Thierry Mandon, les membres du « noyau dur » semblent réticents à s’engager définitivement à quelques jours et semaines d’alternances politiques suite aux élections présidentielle plus législatives. Un Jean-Yves Le Drian nommé Premier ministre d’Emmanuel Macron ne risque-t-il pas de redonner la main à l’Ecole polytechnique (les deux ministres étaient présents ensemble fin 2015 sur le campus de l’X pour présenter son plan de relance et les 60 millions de prêts accordés, encadrant un Thierry Mandon déconfit…). Et si c’était Valérie Pécresse pour François Fillon serait-elle toujours aussi favorable aux universités qu’elle l’était du temps où elle était ministre de l’Enseignement supérieur et lançait leur processus autonomie ? On ne sait pas trop ce que ferait Marine Le Pen mais Jean-Luc Mélenchon dissoudrait tout simplement toutes les Comue…

Olivier Rollot (@ORollot)

  • Le « noyau dur » est composé de Vincent Berger, directeur de la recherche fondamentale au CEA et ancien conseiller enseignement supérieur et recherche de François Hollande ; Hervé Biausser, directeur général de CentraleSupélec ; Alain Fuchs, président du CNRS ; Philippe Mauguin, PDG de l’Inra, Julien Pouget, directeur de l’Ensae ParisTech ; Sylvie Retailleau, présidente de l’université Paris-Sud ; Pierre-Paul Zalio, président de l’ENS Paris-Saclay.
  • On a beaucoup parlé du « droit de véto » qu’aurait le président de PSL sur le budget des établissements membres. Pour être précis ce droit de véto est limité à la non attribution des crédits de l’Idex à un établissement qui ne respecterait pas ses engagements budgétaires.
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Olivier Rollot est directeur du pôle Information & Data de HEADway Advisory depuis 2012. Il est rédacteur en chef de "l’Essentiel du Sup" (newsletter hebdomadaire), de "l’Essentiel Prépas" (webzine mensuel) et de "Espace Prépas". Ancien directeur de la rédaction de l’Etudiant, ancien rédacteur en chef du Monde Etudiant, Olivier Rollot est également l'un des experts français de la Génération Y à laquelle il a consacré un livre : "La Génération Y" (PUF, 2012).

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