ECOLE D’INGÉNIEURS, POLITIQUE DE L'ENSEIGNEMENT SUPERIEUR

« Soit nous obtenons des dotations en hausse, soit nous faisons plus participer l’étudiant »: Marc Renner (Cdefi)

Que ce soit pour les étudiants étrangers ou pour les étudiants français la question de l’augmentation des frais d’inscription se pose de plus en plus. Le président de la Conférence des directeurs des écoles françaises d’ingénieur (Cdefi), Marc Renner, revient sur les enjeux des différentes réformes en cours.

Olivier Rollot : Les besoins de financement de l’enseignement supérieur, et singulièrement des écoles d’ingénieurs, sont de plus en plus importants. L’Etat est-il en capacité de leur donner les moyens de leurs ambitions ?

Marc Renner : Nous sommes dans un étau qui se resserre et notamment en termes de masse salariale dans des écoles dont le nombre d’étudiants par enseignant est bien plus faible que dans les universités. Former des ingénieurs, quels que soient les modalités pédagogiques, requiert du face à face et travailler en mode projet n’y change rien. Or la masse salariale est directement imputée aux établissements – ainsi que le fameux « glissement vieillesse technicité » – depuis le passage aux Responsabilités et compétences élargies (RCE) qui est intervenu à partir de 2009. Aujourd’hui nous nous rendons compte que nous sommes pris à la gorge quand le ration masse salariale / fonctionnement dépasse les 85%. Il nous faut une bouffée d’oxygène sinon nous allons devoir agir sur le dispositif de formation et réduire les degrés de spécialisation, par exemple.

Et il ne faut pas imaginer que la solution viendra des financements des Programmes d’investissement d’avenir (PIA). Même si nous nous félicitons de leur existence ils peuvent même avoir un impact négatif quand ils arrivent à terme et qu’un établissement n’a plus les moyens de conserver les personnels qu’il a embauchés dans le cadre de la démarche d’excellence.

O. R : La solution est-elle dans une augmentation des frais de scolarité ?

M. R : Il n’y a pas de secret. Soit nous obtenons des dotations en hausse, soit nous faisons plus participer l’usager, l’étudiant, en augmentant les droits de scolarité. En 2018 cela a déjà été le cas pour l’ensemble des Ecoles Centrale mais aussi des Mines Nancy, une école interne à l’université de Lorraine, dans lesquelles les droits sont passés de 600 à 2 500€ sur la base d’un projet déposé par les écoles. C’est un signal très important car cela signifie que dans les écoles sous tutelle du ministère de l’Enseignement supérieur, de la Recherche et de l’Innovation (MESRI), après les écoles sous d’autres tutelles, les hausses sont possibles.

O. R : Que se passe-t-il pour les boursiers si les droits augmentent ?

M. R : Dans les cas que je viens de citer les boursiers restent boursiers et ne payent rien que les droits soient à 600 ou à 2 500€. Pour les catégories socialement favorisées 2500€ ne sont pas un problème. Et même un excellent investissement. Souvent moins cher qu’une année en crèche ! Le tout est qu’il n’y ait aucun étudiant qui ne puisse intégrer une école faute de moyens suffisants de ses parents. C’est aux écoles – ou à leurs fondations – d’envisager leur accompagnement par des bourses et des réductions de droits.

Si on parle de bourses délivrées par les écoles il y a une question d’accompagnement en matière de règlementation. Aujourd’hui nous n’avons pas la faculté de déroger massivement aux montants des droits d’inscription comme peut par exemple le faire Sciences Po. D’ailleurs des écoles consultent aujourd’hui les instituts d’études politiques (IEP) pour comprendre comment ils ont créé différents niveaux de droits : jusqu’à onze à Sciences Po Paris.

O. R : Un montant de droits de 2 500€ par an vous paraît-il le niveau à atteindre ?

M. R : Ce serait assez logique puisque, à l’occasion des élections présidentielles de 2017, nous avons fait le constat que les écoles d’ingénieurs devraient bénéficier d’une dotation supplémentaire de 2000€ par étudiant pour bien faire leur travail. C’est bien de cet ordre de grandeur qu’il est question quand on évoque une augmentation des droits d’inscription dans les écoles du MESRI.

O. R : Toutes les écoles souhaitent une telle augmentation ?

M. R : Beaucoup d’écoles y sont favorables mais l’assemblée générale de la Cdefi ne s’est pas prononcée pour l’instant. Il y a un débat car certains considèrent qu’il n’y a pas de raison de faire contribuer l’usager et d’autres qu’il n’y a pas d’autres solutions. Mais tout le monde est bien d’accord pour ne pas nuire à l’attractivité des écoles en omettant de proposer suffisamment de bourses à des jeunes de milieux défavorisés qui ont déjà du mal à se représenter ce que sont les études d’ingénieurs. Je rappelle que si nous avons 25 à 40% de boursiers dans les écoles d’ingénieurs, ce sont moins de 10% des boursiers du secondaire intègrent nos écoles. Certes les recteurs peuvent fixer des taux minimum de boursiers d’après la loi ORE, mais encore faut-il qu’il y ait des candidats. A ce jour, nous veillons à admettre au moins le même pourcentage de boursiers que de boursiers parmi les candidats.

O. R : Un débat vient de voir le jour sur le montant des droits que devront verser à l’avenir les étudiants étrangers non communautaires : 2 270 euros en licence et 3 770 euros en master et doctorat. Quelle est la position de la Cdefi sur ce sujet ?

M. R : La première question est de savoir si on peut s’affirmer à l’international en proposant des coûts minimalistes quand ailleurs dans le monde il y a une notion de valeur-prix. Nos établissements peuvent-ils encore se permettre de financer la scolarité d’étudiants dont le pays ne contribue pas à la scolarité ?

Il convient en tout cas privilégier les accords de réciprocité comme avec le Québec. En Amérique latine nous avons monté des filières Fitec qui sont un véritable pont avec la France au point que les élèves ingénieurs brésiliens viennent plus en France qu’aux Etats-Unis. Il faut les préserver. Il faut être très vigilants à ce qu’une procédure un peu brutale comme celle-là ne nous coupe pas de ce type de dispositifs. Nous allons maintenant voir comment vont être considérés les accords entre établissements dans le cadre d’une hausse qui est un électrochoc et que la Cdefi va devoir gérer avec ses écoles membres.

J’ajoute que si on va plus loin que la hausse des frais de scolarité il y avait dans le discours du Premier ministre la mention de dispositifs de bourses en hausse mais aussi d’un soutien aux implantations des établissements français à l’international. Des crédits seraient dégagés par l’Etat mais aussi tout un accompagnement pour les reconnaissances mutuelles des diplômes qui sont un énorme chantier.

O. R : Une autre réforme est en cours : celle de l’apprentissage. Que va-t-il advenir des formations en apprentissage dans les écoles d’ingénieurs ?

M. R : Les écoles d’ingénieurs ont depuis longtemps comme objectif de faire passer à 25% de leurs effectifs les élèves ingénieurs sous contrat d’apprentissage contre 15,5% aujourd’hui. Nous sommes plutôt rassurés par la nouvelle forme de contribution qui a succédé à la taxe d’apprentissage « hors quota » ou « barème » et permet aux entreprises de participer au financement des écoles. En revanche nous restons vigilants sur le montant auquel nos formations par apprentissage seront remboursées de leurs coûts. Or l’enseignement supérieur n’est pas représenté dans le tour de table qui va fixer ces coûts. On nous explique que nous sommes le « modèle vertueux » de l’apprentissage et n’avons pas à nous inquiéter. Mais je vois mal comment nous pourrions demain expliquer à nos étudiants en formation sous statut d’étudiant qu’ils cofinanceront celles des apprentis faute de moyens. C’est aux branches professionnelles et aux entreprises de le faire.

O. R : Dernier « gros » dossier pour vous : les futurs « regroupements » d’universités et de grande écoles qui vont être permis par une ordonnance qui sera bientôt publiée. Que faut-il en attendre ?

M. R : Indépendamment du processus législatif les établissements ont bien avancé sur le sujet avec un objectif d’excellence et d’une meilleure visibilité des établissements. On ne peut sortir de ces nouveaux regroupements que par le haut ! Mais attention : leur seul objectif ne peut pas être de grimper dans le Classement de Shanghai ! Apparaître plus forts dans les futurs établissements expérimentaux est forcément un vrai plus. Les écoles d’ingénieurs ont beaucoup à apporter en termes d’échanges internationaux par exemple.

O. R : Les écoles pourront conserver leur autonomie ?

M. R : L’ordonnance est vertueuse car elle laisse la liberté aux sites d’agir, l’Etat veillant à ce que cela soit dans les limites des prérogatives d’un établissement public. Dans ce cadre les établissements conserveront leurs personnalités morale et juridique. Déjà les écoles internes aux universités jouent pleinement le jeu de l’université globale et se mêlent aux autres composantes dans les pôles d’ingénierie.

Si tout le monde trouve un intérêt à ce que les diplômes d’ingénieur soient co-signés par un établissement prestigieux je ne vois pas le problème. Tout le but de cette ordonnance est de tirer fortement vers le haut tout le système. Le tout est de prendre suffisamment le temps de discuter en interne avec tous les acteurs.

O. R : Mais jusqu’où peut-on expérimenter sans tomber dans des travers que le Conseil d’Etat ne manquera pas de sanctionner ?

M. R : L’expérimentation n’a de sens que si la créativité est possible. Sinon nous avons déjà des Comue (communautés d’universités et d’établissements) dont nous sommes conscients qu’elles ne suffisent pas à nous donner une visibilité internationale. Il faut aller plus loin maintenant.

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Olivier Rollot est directeur du pôle Information & Data de HEADway Advisory depuis 2012. Il est rédacteur en chef de "l’Essentiel du Sup" (newsletter hebdomadaire), de "l’Essentiel Prépas" (webzine mensuel) et de "Espace Prépas". Ancien directeur de la rédaction de l’Etudiant, ancien rédacteur en chef du Monde Etudiant, Olivier Rollot est également l'un des experts français de la Génération Y à laquelle il a consacré un livre : "La Génération Y" (PUF, 2012).

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