- Tout l’été nous vous proposons de retrouver des grands entretiens publiés sur ce blog en 2014-2015 et qui présentaient des stratégies d’établissements.
Située dans la meilleure ville étudiante de France (selon l’Etudiant), l’université de Caen fait partie des universités de belle taille avec ses 26 000 étudiants répartis dans toutes les disciplines que se doit de proposer une université pluridisciplinaire. A l’heure où elle se rapproche des autres universités normandes dans le cadre de la Comue (communauté d’universités et d’établissements) Normandie Université son président, Pierre Sineux, nous trace le portrait d’une université qui gagne à être connue.
Olivier Rollot (@O_Rollot) : Comment définiriez-vous en quelques phrases l’université de Caen ?
Pierre Sineux : D’abord comme l’une des plus anciennes de France puisque sa fondation remonte à 1432. Et à l’époque c’est une université anglaise, la troisième après Oxford et Cambridge. Ensuite comme une université pluri-disciplinaire avec un fort potentiel de recherche, bien ancrée dans son territoire qui accueille les jeunes de la région dans toutes les disciplines. J’ajouterais : une université tournée vers l’avenir et qui investit. Nous avons ainsi ouvert un tout nouveau pôle de formation et de recherche en santé en 2014 ainsi qu’une nouvelle bibliothèque universitaire dans ce domaine ; nous avons beaucoup de projets, notamment sur l’organisation interne, l’immobilier et l’aménagement des espaces, le développement durable.
L’université de Caen a également un rôle tout particulier à jouer car la Basse Normandie souffre d’un déficit dans l’enseignement supérieur : son taux de poursuite d’études après le bac est inférieur de 4% à la moyenne nationale. Nous attirons aujourd’hui chaque année presque 5000 nouveaux bacheliers grâce à la mobilisation de l’établissement dans toute la région mais nous devons aussi faire à la concurrence de l’Ile-de-France toute proche ou même de Rennes. Plus globalement la question de l’attractivité est pour nous une question majeure.
O. R : L’université de Caen ne fait pas partie de ces universités qui doivent tirer au sort leurs étudiants faute de place dans certaines filières ?
P. S : Non nous avons encore de la place même si la PACES (première année commune aux études de santé) dépasse aujourd’hui les 1300 étudiants. Des capacités d’accueil ont cependant été fixées dans quelques licences.
D’autre part, nos étudiants se répartissent sur les campus caennais mais aussi sur tout le territoire régional ; l’université compte au total 330 000 m2 de locaux, de Caen à Cherbourg et à Saint-Lô, en passant par Vire, Lisieux ou Alençon où sont implantés nos IUT.
O. R : On sait qu’aujourd’hui toutes les universités se battent pour attirer le plus d’étudiants internationaux. Qu’en est-il pour vous ?
P. S : Si l’université de Caen est implantée dans des bâtiments caractéristiques de la reconstruction opérée dans les années 50 (dont une partie classée monument historique) c’est largement grâce à des financements venus de l’étranger. Des liens se sont alors tissés que nous avons su conserver. Récemment nous avons construit un bâtiment qui accueille ce que nous appelons le « Carré international » au cœur duquel sont réunis tous les services de mobilité et d’accueil des étudiants et chercheurs étrangers. Aujourd’hui 10% de nos étudiants sont étrangers et nous cultivons des liens avec 264 universités partenaires dans 50 pays.
Comme de nombreuses universités nous avons des échanges vers l’Amérique du Nord ou l’Asie mais nous avons aussi la particularité d’avoir des liens très forts avec les pays scandinaves et notamment la Norvège dans le cadre d’un Office franco-norvégien et avec un Département d’études nordiques.
O. R : Dans l’autre sens, quel pourcentage de vos étudiants partent à l’étranger et dans quelles destinations ?
P. S : En 2013-2014, 500 étudiants de l’université de Caen ont fait un séjour d’études à l’étranger. Ce n’est pas assez ! Pour l’Europe, les principales destinations sont l’Espagne, le Royaume-Uni, puis l’Allemagne et la Finlande. Hors Europe, ce sont les États-Unis et le Canada. A ces étudiants s’ajoutent ceux qui font faire un stage à l’étranger dans le cadre de leur formation.
O. R : Attirer des étudiants et des professeurs étrangers cela passe aussi par un fort potentiel de recherche. Quels sont les points forts de l’université de Caen ?
P. S : Nous avons un potentiel recherche très fort avec la présence des grands organismes de recherche (CNRS, CEA, Inserm et aussi Inra à un rang moindre) avec lesquels nous partageons la moitié de nos 43 laboratoires dans le cadre d’unités mixtes de recherche. Nous sommes à la fois présents dans le domaine des sciences humaines et sociales (SHS) avec une Maison de la Recherche en Sciences de l’homme comme dans le domaine des Sciences et technologies (en partenariat avec l’EnsiCaen) et celui des Sciences du Vivant (sciences médicales et biologie). Nous bénéficions également d’une forte notoriété en édition numérique par exemple. Beaucoup d’étudiants étrangers nous rejoignent dans tous ces domaines.
O. R : Onze universités se sont fait récemment « ponctionner » par l’État une partie de leurs fonds de roulement. L’université de Caen n’en fait pas partie mais quelle est aujourd’hui sa situation financière ?
P. S : En 2012-2013 nous avons eu des difficultés, comme en ont eu beaucoup d’universités qui sont devenues autonomes, avec un gonflement de la masse salariale dû essentiellement à ce qu’on appelle le « glissement vieillesse technicité » pas compensé par l’État. Fin 2012, nous avions alors un fonds de roulement très faible que nous nous sommes appliqués à reconstituer. Aujourd’hui notre situation est en voie d’assainissement avec un excédent de 2,25 millions d’euros pour 2014 et un fonds de roulement global équivalent à 21 jours de fonctionnement.
Mais cela ne s’est fait qu’au prix d’efforts importants sur la masse salariale et sur des frais de fonctionnement d’autant plus élevés que nous gérons une multiplicité de sites. La communauté toute entière a fait des efforts avec l’obligation de geler certaines postes alors que certaines disciplines souffraient déjà de sous-encadrement.
O. R : On évoque beaucoup aujourd’hui la force de la pluridisciplinarité dans l’enseignement supérieur. Qu’en pensez-vous ?
P. S : La pluridisciplinarité doit être une force qui permet de faire émerger des projets originaux. A titre d’exemple, dans le domaine des formations, nous avons créé un master Valorisation des innovations biologiques qui réunit des enseignants de biologie et des juristes autour de la question de la valorisation de la recherche. Pour aller plus loin nous regroupons aujourd’hui nos composantes : par exemple, les UFR (unités de formation et de recherche) de géographie et de sciences économiques vont fusionner en septembre 2015 pour devenir une seule UFR avec des projets communs. De la même façon nous créons une composante Humanités et Sciences sociales, et rapprochons nos facultés de médecine et de pharmacie, Sciences et Biologie tandis que les IUT, l’école d’ingénieurs interne et l’IAE travaillent en commun sur la formation professionnelle. Il faut décloisonner !
O. R : Votre IAE, qui propose de nombreux masters très réputés, semble avoir été perturbé ces derniers temps par une crise interne au terme de laquelle sa direction a démissionné. Où en est-on aujourd’hui ?
P. S : Nous avons beaucoup dialogué pour relancer la dynamique et une nouvelle équipe a pris le relais. A mon sens il s’agissait d’une crise de croissance et nous soutenons totalement un IAE qui possède des formations très bien reconnues mais manque de moyens notamment dans la formation continue. La formation continue est inscrite dans les gènes de notre IAE et il ne faut pas casser la confiance qu’ont pour lui les entreprises de la région.
O. R : D’autant que le ministère de l’Éducation nationale, de l’Enseignement supérieur et de la Recherche vous encourage à développer la formation continue.
P. S : Ce n’est sans doute pas un hasard si cette crise est intervenue au moment où la formation continue est devenue un grand chantier national. Si nous voulons que les universités s’y développent il va bien falloir faire sauter un certain nombre de verrous, notamment réglementaires, et en les accompagnant financièrement.
Nous réalisons aujourd’hui, toutes disciplines confondues, un chiffre d’affaires de 6 millions d’euros en formation continue, ce qui nous place dans les dix premières universités. Demain il faudra pouvoir développer la formation continue dans toutes les disciplines mais, pour cela, il nous faut mieux analyser nos coûts et développer des offres de formation spécifiques. La formation continue ne doit pas être considérée comme une nouvelle ressource des universités mais comme une de ses missions à part entière !
O. R : Où en est la mise en place de votre Comue ?
P. S :Toute l’université de Caen se projette dans la Comue Normandie Université avec une dynamique collective déjà bien enclenchée dans le cadre d’unités multi-sites. Trente spécialités de master sont déjà co-habilitées par plusieurs universités. Toutes les écoles doctorales seront réunies en 2017 au sein de la Comue qui a vocation à délivrer le doctorat. La Comue pourra aussi nous aider à nous développer à l’international, notamment avec les pays de l’arc Manche dont nous sommes très proches, mais chaque entité doit conserver ses liens historiques avec ses partenaires.
O. R : La « marque » Normandie est un véritable atout à l’international !
P. S : C’est même le deuxième nom de région le plus connu dans le monde après la Californie ! Il faut nous appuyer sur cette notoriété, largement liée au débarquement de juin 1944 et à la bataille de Normandie, pour faire connaître la région et ses capacités à se tourner vers l’avenir.
O. R : Vous avez concouru, mais sans succès pour l’instant, dans l’appel à projet du deuxième programme Investissements d’avenir (PIA2). Ce n’est pas trop décourageant de ne pas être retenus et de devoir de nouveau présenter son projet en 2016 ?
P. S : Avec l’ensemble de nos partenaires de la Comue nous avons réalisé un travail considérable pour répondre à cet appel à projet et il y a eu bien sûr un moment de dépit. Maintenant nous allons réfléchir sur le fait de le représenter en 2016 alors que nous avons la conviction d’avoir su définir des thématiques différenciantes, avec un appui fort sur des réussites avérées, une capacité à allier proximité et excellence ainsi qu’une relation très forte avec le territoire.
Il faut aussi que le pouvoir politique se demande si on peut laisser se dessiner une carte de France coupée par une diagonale entre Bordeaux et la Lorraine où ce qui est à l’Est de cette ligne obtient les moyens du PIA au détriment de la partie Ouest, totalement délaissée, si on excepte Lille et l’IDF. Quelle place reste-t-il encore pour la Bretagne, la Normandie, le Centre ou la Champagne au sein de ce PIA2 ?