ECOLE D’INGÉNIEURS

«Une gestion qui n’est pas à la hauteur des ambitions de l’École»: la Cour des Comptes publie un rapport sans concession sur l’X

Le rapport annuel de la Cour des Comptes consacre un chapitre entier à l’Ecole polytechnique. En résumé ça va mal ! : « Le modèle historique de l’École polytechnique a progressivement perdu de sa cohérence interne. Dans le même temps, afin de faire face à la compétition internationale, elle a entamé une mutation stratégique, dont la pertinence reste à démontrer alors même que la mise en place d’IP Paris implique un changement d’échelle. Cette ambition paraît déconnectée de la situation financière préoccupante de l’École et des insuffisances constatées dans sa gestion. »

Quand la Cour des Comptes tweete pour stigmatiser la gestion de l’Ecole polytechnique

Cinq exercices déficitaires consécutifs. Les chiffres sont là. Les résultats comptables de l’École polytechnique font apparaître cinq exercices déficitaires consécutifs, de 2014 à 2018, se traduisant par une perte cumulée de près de 20 M€, « malgré un soutien financier accru de l’État à partir de 2016 pour mettre en œuvre les nouvelles orientations stratégiques ». Or a tutelle n’a, à aucun moment, « envisagé la mise en place d’un plan de retour à l’équilibre, alors que cela lui était, à tout le moins, imposé par le code de l’éducation depuis le passage de l’École au statut d’établissement public à caractère scientifique, culturel et professionnel (EPSCP) en 2015 » stigmatisent les experts de la rue Cambon.

Et ça risque de ne pas s’arranger. L’X prévoit ainsi, de nouveau, un déficit pour l’exercice 2019, à hauteur de 5,3 M€, alors que la réduction de la subvention pour charges de service public à (85,3 M€ en 2020 et 82,6 M€ en 2021) n’est pas intégrée dans les prévisions de l’école qui « compte, au contraire, sur un maintien de la subvention de l’État à plus de 89 M€ en 2020 et 2021 ».

Une tutelle laxiste. Si tout le monde en prend pour son grade c’est au premier chef le ministère des Armées qui est contesté en raison d’une tutelle « peu diligente, voire passive ». Certains sujets importants, comme la réforme des modalités de remboursement des frais d’entretien et d’études, ont été traités avec « retard et de manière incomplète ». Le ministère n’aurait ainsi « ni anticipé, ni tiré les implications des difficultés financières majeures rencontrées par l’École (résultat déficitaire pendant cinq exercices consécutifs) ». Quant aux orientations les plus fondamentales, comme la sortie de Polytechnique du projet Paris-Saclay, elle relèveraient souvent de « décisions prises sous l’influence de l’association des anciens élèves ».

Résultat l’école n’est pas « aujourd’hui en situation de piloter dans de bonnes conditions le développement de l’institut polytechnique de Paris, dont les grandes ambitions paraissent aujourd’hui déconnectées de la situation financière dégradée de son navire amiral ».

Une réforme « tardive et aux contours incertains ». Si l’École polytechnique « n’est pas restée inerte face aux évolutions de l’enseignement supérieur et de la recherche » le processus demeure « inachevé alors qu’il était supposé aboutir en 2019 (…) dans le cadre de l’institut polytechnique de Paris dont les objectifs sont ambitieux mais la feuille de route encore floue » stigmatisent les auditeurs de la Cour des Comptes qui regrettent particulièrement le départ de Paris-Saclay : « Bénéficiant d’une tutelle généreuse et conciliante, mais sous-informée, l’École polytechnique, exploitant des marges de manœuvre qui lui sont trop largement consenties au-delà de son autonomie statutaire, a refusé l’intégration au sein de Paris-Saclay ce qui constitue un choix singulier et exigeant ». Il resterait maintenant à « démontrer qu’IP Paris est plus qu’un regroupement de circonstance, destiné à justifier la sortie de Paris-Saclay ».

 

Le bachelor patine. Sur le papier c’était une superbe idée. Dans les faits le développement du bachelor de l’X se révèle très difficile. Non seulement les étudiants ne sont pas au rendez-vous (le modèle économique a été calculé pour être à l’équilibre financier à 160 étudiants par promotion, on en est à 82 en 2019) mais les dépenses ont été sous-évaluées : le niveau actuel des frais d’inscription (12 000 € pour les étudiants français ou européens, et 15 000 € pour les étudiants internationaux) ne couvre pas les coûts complets de la formation (il manque environ 2 000 € par étudiant).

Une réforme de la pantoufle « inapplicable en l’état ». L’École polytechnique est la seule grande école d’ingénieurs publique dont les élèves ingénieurs, de nationalité française, sont rémunérés (à hauteur de 900 € bruts par mois). A compter de la promotion admise en 2015, tous les élèves ingénieurs, qu’ils choisissent d’intégrer un corps de l’État ou non, doivent effectuer une obligation de service public de dix ans. Or l’école ne « dispose d’aucun suivi des anciens élèves » ce qui rend la réforme « inapplicable en l’état ».

Supprimer toute rémunération des élèves ? La justification de la rémunération des élèves est qu’elle constitue la contrepartie de leur engagement en tant qu’élève officier de l’École polytechnique pendant la durée de leur scolarité. Un engagement très limité qui ouvre la voie à plusieurs perspectives d’évolution pour la Cour jusqu’à la « suppression de la rémunération des élèves ingénieurs et sa transformation en système de bourses sur critères sociaux ».

36 370 € par an et par étudiant. Huit ans après le dernier référé de la Cour, l’Ecole polytechnique n’a pas été en mesure de fournir un coût complet de la scolarité des élèves du cycle ingénieur, faute de « disposer d’une comptabilité analytique aboutie ». La Cour a estimé le coût de la scolarité d’un élève, hors rémunération, à au moins 36 370 € par an. Il s’agit là d’un minimum. Un coût bien plus élevé que celui des autres écoles d’ingénieurs publiques qui s’élevait, en moyenne, à 20 078 € par an et par étudiant selon un rapport du Contrôle général économique et financier (CGEFI). Un coût qui s’explique, entre autres, par le taux d’encadrement élevé dont bénéficient les élèves : 8,6 élèves pour un enseignant, contre 11 en moyenne dans les écoles d’ingénieurs publiques.

Une faible diversité. Les statistiques font apparaître un recrutement très peu diversifié des élèves français du cycle ingénieur tant en termes de genre que d’origine sociale. La proportion de femmes stagne depuis dix ans (21,9 % en 2018, mais 17,9 % en 2019, soit quasiment au niveau constaté en 2009, de 17,3 %).

Le recrutement est par ailleurs « excessivement concentré parmi les enfants de familles de cadres et professions intellectuelles supérieures » au sens de l’Insee (73 % des admis au concours 2019). La proportion de boursiers (11,4% pour la promotion 2019) a baissé au cours des dernières années (16,8% en 2011). Une proportion plus faible que celle observée en moyenne dans les écoles d’ingénieurs (26%) ou dans les classes préparatoires aux grandes écoles (28,8%). De surcroît 55% des admis en 2019 viennent de cinq classes préparatoires de la région parisienne.

  • Les parties prenantes prises à partie par la Cour des Comptes lui répondent à la fin du rapport.
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Olivier Rollot est directeur du pôle Information & Data de HEADway Advisory depuis 2012. Il est rédacteur en chef de "l’Essentiel du Sup" (newsletter hebdomadaire), de "l’Essentiel Prépas" (webzine mensuel) et de "Espace Prépas". Ancien directeur de la rédaction de l’Etudiant, ancien rédacteur en chef du Monde Etudiant, Olivier Rollot est également l'un des experts français de la Génération Y à laquelle il a consacré un livre : "La Génération Y" (PUF, 2012).

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