ALTERNANCE / FORMATION CONTINUE

Apprentissage : quelles sont les grandes évolutions depuis la réforme de 2018 ?

En 2018 le « big bang » de la formation professionnelle et de la loi éponyme a profondément bouleversé le monde de l’alternance. Aux craintes des uns ont succédé le triomphe des autres alors qu’on attend à ce que le nombre de contrats d’apprentissage signés en 2022 soit encore en hausse, avec de 830 000 à 850 000 contrats signés. Soit près d’un millions de jeunes en contrat d’alternance si on y ajoute les contrats de professionnalisation. Rançon du succès, la question du financement de l’apprentissage est particulièrement sensible pour France Compétences, dont le déficit cumulé depuis 2020 atteint les 11 milliards  d’euros. Son Rapport sur l’usage des fonds de la formation professionnelle éclaire de nombreux points que beaucoup s’interrogent sur la pertinence de certaines formations (lire dans Challenges Chômage des jeunes, pratiques illégales… ce que cachent les milliards de l’apprentissage).

Les aides aux employeurs sont financées par le budget de l’État, tandis que les ressources affectées au financement des contrats sont constituées principalement des recettes de France Compétences, les entreprises participant dans une moindre mesure à la prise en charge des contrats d’apprentissage (tableau France Compétences).

Qui sont ces nouveaux apprentis ? Fin 2021, ce sont 7,2% des jeunes de 16 à 29 ans qui suivent leur cursus en apprentissage et très précisément 711 983 sont entrés en apprentissage cette année-là. Un développement de l’apprentissage qui s’est accompagné d’une diversification du profil des apprentis. Les apprentis sont de plus en plus âgés – 20 ans en moyenne en 2021 – et les apprentis de 26 ans ou plus représentent 7% du total des entrées.

Si l’augmentation des flux d’entrées en apprentissage concerne tous les niveaux, la dynamique du nombre d’entrées en apprentissage est en effet en grande partie portée par les apprentis de l’enseignement supérieur, qui sont dorénavant majoritaires. 61 % des entrants préparent des certifications de niveau 5 à 8 (équivalent à bac+2 ou plus), contre 38 % en 2018. 15 % préparent des formations de niveau 4 (équivalent bac) et 23 % un CAP.

Alors qu’un contrat d’apprentissage correspond à un engagement de près de 23 400 euros pour les fonds publics en 2021 (pour 17, 7 mois en moyenne), les aides à l’embauche représentent 45% de ce montant et dépassent les coûts pédagogiques limités aux à 42% (tableau France Compétences)

Pour tous les niveaux de formation, les apprentis bénéficient d’une meilleure insertion sur le marché du travail que les autres. Mais plus le diplôme est élevé, moins l’écart du taux d’insertion est important Pour les diplômés du supérieur l’avantage de l’apprentissage ne réside pas dans un meilleur taux d’emploi, mais dans une « amélioration de la qualité de l’emploi obtenu (type de contrat, rémunération, conditions d’emploi, adéquation et satisfaction à l’égard de leur emploi) » selon France Compétences.

Dans sa deuxième édition de son Baromètre de l’alternance, l’Observatoire de l’alternance de l’association Walt a justement interrogé un panel représentatif de près de 600 entreprises ayant recours à l’alternance et de plus de 500 alternants. Les entreprises sont 88% à se dire « satisfaites » voire « très satisfaites » par leur recours à l’alternance. Côté alternants, ils sont 87 % à être « satisfaits » voire « très satisfaits » de leur alternance…

En 2021, la France a consacré 21,6 milliards d’euros au financement de l’apprentissage contre 10,5 milliards en 2018. Une hausse de 105% due à la croissance exceptionnelle du nombre d’entrées en apprentissage (+132% comparé à 2018).

Les nouveaux visages des CFA. « Après de inquiétudes sur le financement, un fort développement quantitatif, de nouveaux acteurs, une concurrence qui n’existait pas, l’appropriation par les entreprises mais toujours des inquiétudes pour la pérennité des financements. » Le directeur de la formation professionnelle (DIFPRO) de l’UPEC, Marc Poncin, résumait ainsi dans un atelier de L’Université d’hiver de la formation professionnelle (UHFP) ce qui a essentiellement changé pour les CFA (centres de formation d’apprentis) la réforme de 2018. Si une explosion du nombre d’apprentis en a résulté, elle a également mis à mal le modèle économique des plus anciens. Témoin le directeur général du CFA Sup 2000, devenu Supalia, Eric de Maria, qui a lancé en 2020 une large réflexion sur les nouvelles réalités de l’économie et de la loi pour relancer son activité : « Alors que nous travaillions essentiellement avec les universités jusque-là nous nous sommes ouverts aux entreprises qui ressentent le besoin d’accroitre leurs compétences dans un environnement de métiers en tensions ».

Globalement les CFA sont rentables. Selon le rapport de France Compétences, leur résultats bénéficiaire a progressé de 426 millions à 702 millions entre 2020 et 2021 leur permettant d’afficher un taux de marge moyen de 11% (en hausse de 2,7 points par rapport à 2020). Mais avec de fortes diversités puisque seulement six CFA sur dix présentent un résultat excédentaire. Les CFA du public et ceux du privé sont plus rentables que les CFA consulaires ou associatifs. Cette meilleure rentabilité s’observe aussi pour les CFA qui développent d’autres activités. La rentabilité d’un CFA semble aussi avoir tendance à diminuer avec le nombre total d’apprentis accueillis.

La structure du « coût de revient d’un apprenti » est relativement stable entre 2020 et 2021 : 90 % correspondent aux charges moyennes de fonctionnement (pédagogie, accompagnement, structure et communication, charges exceptionnelles et provisions en lien avec les formations) ; entre 4 et 6 % aux dotations aux amortissements : 3 % aux frais annexes (transport, hébergement, restauration) ; le reste de la composition du coût est dédié aux charges non incorporables (charges financières, exceptionnelles et autres charges hors fonctionnement).

Ces résultats excédentaires vont permettre aux CFA d’investir. « 600 millions d’euros sont prêts à être investis par les CFA quand les régions ont de leur côté 300 millions d’euros et les OPCO 100 millions d’euros à investir dans l’innovation pédagogique», spécifie Nicolas Rivier, directeur de l’alternance et de la transformation de l’Opco Atlas l’opérateur de compétences des entreprises, salariés des services financiers et du conseil. « La difficulté que nous avons pour soutenir l’innovation est que les enveloppes de financement ne couvrent que la partie d’investissement en matériel quand l’innovation c’est d’abord du temps de cerveau qui reste à charge du CFA », s’interroge Nicolas Rivier, qui soutient des CFA qui ont justement peu de besoins en matériel lourd. Pour vérifier les résultats de ces innovations l’OPCO Atlas organise des visites dans les CFA : « Cette année nous avons fait le bilan des appels à projet de 2020 en essayant d’être plus souvent dans les CFA ».

Mais un CFA reçoit des étudiants de nombreux OPCO qui ne le financent que s’ils ont… suffisamment d’apprentis. « Pourquoi les OPCO ne se concertent-il pas ? » demandent plusieurs CFA. « Les branches ont des politiques de branches et des priorités que nous suivons et qui ne sont pas forcément les mêmes », répond Nicolas Rivier, qui rappelle que « nous sommes qu’au début de l’histoire ».

Les nouvelles relations entreprises / CFA. La loi de 2018 permet à une entreprise de créer son CFA. Aujourd’hui une centaine d’entreprises ont franchi le cap mais une autre solution s’est développée ces quatre dernières années : le « CFA support ». « Prenons l’exemple d’un poste de téléopérateur pour lequel une PME ne trouve pas de référentiel à jour. Il va se poser la question de créer ou pas son CFA. Mais c’est trop compliqué pour lui. Il va donc chercher un CFA support dans lequel sera créée une classe spécifique. En apparence ce sera comme si l’entreprise avait créé son propre CFA », prend comme exemple Marc Poncin.

Avec son nouveau modèle Supalia n’entend quant à lui ne plus être uniquement un intermédiaire entre les entreprises, les étudiants et les formateurs en proposant une offre « d’apprentissage en reconversion ». « Nous créons notre propre offre de formation destinée à des jeunes de moins de 29 ans, titulaires d’un diplôme de niveau bac+2/3 qui ne correspond pas à leur projet professionnel et qui veulent se reconvertir vers des métiers en tension », détaille Eric de Maria.

Dans ce cadre le processus est en quelque sorte inversé. Ce sont les entreprises qui viennent présenter leurs besoins de formation et Supalia, un peu comme un recruteur, va à la recherche des candidats possibles en leur faisant passer des tests. Un première expérimentation a lieu dès cette année avec une promotion d’une centaine de jeune se formant au métier de responsables clientèle dans la banque et l’assurance. « Les entreprises nous demandent de former des promotions entières de conseillers bancaires et patrimoniaux mais aussi de développeurs en Intelligence artificielle (IA) », reprend le directeur qui aujourd’hui « choisit des titres RNCP pour leur valeur ajoutée avant de créer ses propres titres ».

De nouvelles pratiques pédagogiques. Pendant la période Covid plus de 90% des CFA ont été en capacité de mettre à disposition des moyens de formation à distance (75% avant le Covid). « Aujourd’hui des approches telle que la simulation, la réalité virtuelle, commencent à se développer. Les outils se sont démocratisés et leur coût à diminué avec la concurrence entre les prestataires », se félicite Olivier Kirsch, directeur et cofondateur de l’association GIFOD qui réunit des CFA et des organismes de formation, qui n’en constate pas moins qu’on a « souvent du mal à passer de l’expérimentation à sa généralisation quand on teste beaucoup de méthodes ». La question du numérique responsable se pose également.

Autant de questions auxquelles Solveig Fernagu, directrice de recherche en sciences de l’éducation et de la formation au CESI, s’est attaquée dans son guide pratique sur La pédagogie de l’alternance. Résultat de trois enquêtes menées auprès d’une centaine d’acteurs (responsables de CFA ou organisations professionnelles, organisations syndicales, formateurs, enseignants-chercheurs, tuteurs, etc.) et de plus de 1 700 alternants issus de tout niveau de qualification, cette étude entend définir ce qu’est la pédagogie de l’alternance, puis dans un second temps, d’identifier des pratiques favorables au développement de l’alternance, avec l’objectif de les « valoriser et de les diffuser ». Les acteurs interrogés convergent vers l’idée qu’une « bonne » pédagogie de l’alternance est une pédagogie qui « permet, grâce aux pratiques pédagogiques mobilisées, de se positionner sur l’apprentissage d’un métier (employabilité), qui cherche à réduire les écarts entre la pratique et la théorie (réflexivité, synchronisation des apprentissages), s’appuie sur l’expérience de formation (individualisation), construit des parcours soutenants (accompagnement, pour aider les jeunes à devenir des adultes éclairés (autonomie) ». CQFD…

  • Les contrats de professionnalisation ne sont pas morts ! L’année 2021 a même été marquée par une légère reprise, après une forte baisse entre 2019 et 2020, avec 120 562 contrats signés. Le coût unitaire engagé s’élève à 14 763 euros pour une durée moyenne de 12,4 mois. Les aides à l’entreprise représentent plus de la moitié de ce coût.
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Olivier Rollot est directeur du pôle Information & Data de HEADway Advisory depuis 2012. Il est rédacteur en chef de "l’Essentiel du Sup" (newsletter hebdomadaire), de "l’Essentiel Prépas" (webzine mensuel) et de "Espace Prépas". Ancien directeur de la rédaction de l’Etudiant, ancien rédacteur en chef du Monde Etudiant, Olivier Rollot est également l'un des experts français de la Génération Y à laquelle il a consacré un livre : "La Génération Y" (PUF, 2012).

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